Régularisation d’un vice entachant une autorisation d’urbanisme : la contestation du sursis à statuer face à l’interdiction de soulever des moyens nouveaux prévue à l’article R. 600-5 du code de l’urbanisme

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

July 2022

Temps de lecture

5 minutes

Conseil d’Etat 24 juin 2022 M. A et Mme G, req. n° 456348

M. A et Mme G se sont vus délivrer un permis de construire pour la réalisation d’une maison individuelle sur la commune de Roquefort-la-Bédoule (13830) le 9 mai 2014.

Ce permis est devenu définitif faute d’avoir été contesté dans le délai de deux mois 1)« Il est constant que ce permis de construire est devenu définitif, faute d’avoir été contesté dans un délai de deux mois » (CAA Marseille 8 juillet 2021, req. n° 18MA05375 et 19MA05816.

Par un arrêté du 3 août 2015, le maire de la commune a ordonné l’interruption des travaux au motif que l’ « implantation altitudinale » du bâtiment n’était pas conforme au PC délivré le 9 mai 2014.

M. A et Mme G ont alors sollicité, puis obtenu le 21 septembre 2015, un permis de construire modificatif (PCM) portant sur l’augmentation de la surface de plancher sans modification de l’emprise au sol, la modification des façades, la rectification du dessin du terrain naturel et l’implantation du dispositif d’assainissement non collectif.

Les requérants (la SCI des Centaures, Mme B et M. F) ont contesté ce PCM devant le TA de Marseille.

Par un premier jugement du 11 octobre 2018, le TA de Marseille a sursis à statuer sur leur demande en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme et a imparti un délai de 4 mois à M. A et Mme G pour justifier de la délivrance d’un PCM venant régulariser le vice retenu, à savoir l’absence de consultation de l’architecte des bâtiments de France 2)TA Marseille 11 octobre 2018, req. n° 1602293.

Le PCM de régularisation a alors été délivré le 20 décembre 2018.

Ce PCM a été contesté par les requérants dans le cadre de cette même instance comme l’exige l’article L. 600-5-2 du code de l’urbanisme 3)« Lorsqu’un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation intervient au cours d’une instance portant sur un recours dirigé contre le permis de construire, de démolir ou d’aménager initialement délivré ou contre la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue et que ce permis modificatif, cette décision modificative ou cette mesure de régularisation ont été communiqués aux parties à cette instance, la légalité de cet acte ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance ».

Par un second jugement du 21 novembre 2019, le TA de Marseille a constaté que les vices relevés par le premier jugement avaient été régularisés et a, en conséquence, rejeté la demande des requérants 4)TA Marseille 7 novembre 2019, req. n° 1602293.

Sur appel des requérants, la CAA de Marseille a toutefois annulé, sans surseoir à statuer, les deux jugements du TA de Marseille, ainsi que les arrêtés des 21 septembre 2015 et 20 décembre 2018 au motif que le permis de construire initial méconnaissait les dispositions de l’article UD7 du PLU relatives à la marge de recul à respecter par les bâtiments à l’égard des limites séparatives et que le PCM aggravait la méconnaissance de cette règle d’implantation 5)CAA Marseille 8 juillet 2021 précité.

M. A et Mme G, bénéficiaires du PC initial ainsi que des deux PCM annulés, se sont alors pourvus en cassation contre cet arrêt.

Pour annuler l’arrêt de la CAA de Marseille au motif que le moyen tiré de la méconnaissance de l’article UD7 « ne pouvait qu’être regardé comme irrecevable », le Conseil d’Etat raisonne en deux temps et vient ainsi préciser l’articulation qu’il convient d’opérer entre la cristallisation automatique des moyens prévue à l’article R. 600-5 du code de de l’urbanisme et la procédure d’appel contre le jugement avant dire droit rendu dans le cadre du sursis à statuer ouvert par l’article L. 600-5-1 du même code.

Premièrement, le Conseil d’Etat rappelle que l’auteur d’un recours formé contre le jugement avant dire droit, par lequel le TA fait usage de la faculté de surseoir à statuer issue de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme pour inviter à régulariser un vice entachant la légalité d’un permis de construire, peut contester le jugement, d’une part, en ce qu’il écarte comme non fondés les moyens dirigés contre l’autorisation initiale ainsi que, d’autre part, en ce qu’il fait application de l’article L. 600-5-1.

Cependant, comme il l’avait déjà affirmé en 2017 6)CE 19 juin 2017, req. n° 394677, le Conseil d’Etat rappelle qu’à compter de la délivrance d’un PCM de régularisation des vices relevés dans le cadre de ce sursis à statuer, les conclusions dirigées contre ce jugement en tant qu’il a fait usage de cet article sont privées d’objet.

Deuxièmement, si le requérant peut cependant toujours contester la légalité du PCM de régularisation par des moyens propres et notamment au motif que le PC initial n’était pas régularisable, le Conseil d’Etat précise toutefois que l’article R. 600-5 du même code interdit aux parties d’invoquer des moyens nouveaux à l’appui de leurs conclusions passé un délai de deux mois à compter de la communication, aux parties, du premier mémoire en défense concernant ledit PCM.

Or, et c’est là l’apport de l’arrêt, alors même que l’article R. 811-6 du CJA prévoit que le délai d’appel contre le jugement avant dire droit court jusqu’à l’expiration du délai d’appel contre ce second jugement, le délai de cristallisation prévu à l’article R. 600-5 précité doit trouver à s’appliquer au recours dirigé contre le jugement avant dire droit recourant à l’article L. 600-5-1.

Autrement dit, la circonstance que le délai de recours contre le jugement avant dire droit ne serait pas expiré compte tenu de l’article R. 811-6 ne fait pas obstacle à l’intervention de la cristallisation des moyens dirigés contre ce jugement avant dire droit.

Au cas présent, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article UD7 du règlement PLU (que la CAA de Marseille avait accueilli pour annuler le PCM délivré le 21 septembre 2015 et par voie de conséquence le PCM délivré le 20 décembre 2018) a été soulevé pour la première fois par les appelants à l’appui de leurs conclusions dirigées contre le jugement avant dire droit rendu par le TA de Marseille dans leur mémoire en réplique du 11 juillet 2019.

Toutefois, comme relevé par le Conseil d’Etat, ce moyen n’a été présenté qu’après l’expiration du délai prévu à l’article R. 600-5 précité et ne pouvait donc qu’être regardé comme irrecevable.

Le Conseil d’Etat applique ainsi la solution ci-dessus évoquée : il importe peu que le délai d’appel ouvert contre le jugement avant dire droit ne soit toujours pas expiré faute pour le second jugement d’être intervenu, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article UD7 du règlement du PLU ayant été soulevé après l’expiration du délai prévu à l’article R. 600-5, la CAA de Marseille aurait dû le rejeter comme irrecevable.

Relevons par ailleurs que ce même moyen, dirigé cette fois non contre le jugement avant dire droit mais contre le jugement du 21 novembre 2019 mettant fin à l’instance en admettant la régularisation devient inopérant. Ce jugement met en effet fin à l’instance du point de vue de l’usage même de la faculté de régularisation ouverte par l’article L. 600-5-1 et l’auteur du recours n’a alors d’autre choix que de contester la légalité même du permis par des moyens propres ou en soutenant que l’autorisation initiale ne pouvait être régularisée.

 

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References   [ + ]

1. « Il est constant que ce permis de construire est devenu définitif, faute d’avoir été contesté dans un délai de deux mois » (CAA Marseille 8 juillet 2021, req. n° 18MA05375 et 19MA05816
2. TA Marseille 11 octobre 2018, req. n° 1602293
3. « Lorsqu’un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation intervient au cours d’une instance portant sur un recours dirigé contre le permis de construire, de démolir ou d’aménager initialement délivré ou contre la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue et que ce permis modificatif, cette décision modificative ou cette mesure de régularisation ont été communiqués aux parties à cette instance, la légalité de cet acte ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance »
4. TA Marseille 7 novembre 2019, req. n° 1602293
5. CAA Marseille 8 juillet 2021 précité
6. CE 19 juin 2017, req. n° 394677

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