Résiliation tacite du contrat – Comportement de la personne publique révélant qu’elle a mis fin aux relations contractuelles

Catégorie

Contrats publics

Date

January 2021

Temps de lecture

4 minutes

CE 11 décembre 2020 Société Copra Méditerranée, req. n° 427616 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

La société Euphémie s’est vue confier par la commune de Plan-de-Cuques la réalisation d’une zone d’aménagement concertée. La convention d’aménagement conclue le 13 février 1995 prévoyait la construction de quatre-vingt-quatorze logements en quatre tranches successives. La réalisation de la première tranche s’est achevée en 2000. Les trois autres tranches n’ont jamais été réalisées.

En effet, à la suite d’une étude hydraulique faisant état de risques d’inondation sur le territoire de la commune, celle-ci a fait part de sa volonté de mettre fin à l’aménagement.

La société Copra Méditerranée, venant aux droits de la société Euphémie, a saisi le tribunal administratif de Marseille aux fins d’obtenir réparation du préjudice subi du fait de la résiliation de la convention d’aménagement. Le tribunal a rejeté sa demande par un jugement du 12 juillet 2017. Par un arrêt du 26 novembre 2018, la cour administrative d’appel de Marseille a ensuite rejeté l’appel par la société Copra Méditerranée contre ce jugement, en considérant notamment qu’aucune résiliation tacite n’était intervenue.

Par un arrêt du 11 décembre 2020, le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la CAA de Marseille sur ce point, apportant des précisions sur la résiliation tacite d’un contrat par l’administration (1) et les conditions de l’indemnisation du cocontractant (2).

1.    La mise en œuvre de la résiliation tacite d’un contrat par l’administration

1.1

L’article L. 6 5° du code de la commande publique, codifiant la jurisprudence 1)CE 2 mai 1958 Distillerie de Magnac Laval : Rec. Lebon – CE 2 février 1983 Union des transports publics urbains et régionaux, req. n° 34027 : Rec. Lebon, prévoit que l’autorité contractante peut résilier unilatéralement le contrat et lorsque la résiliation intervient pour un motif d’intérêt général, le cocontractant a droit à une indemnisation, sous réserve des stipulations du contrat.

Si la résiliation est par principe expresse, le juge administratif admet que certains comportements sans équivoque de la personne publique ont pour effet de caractériser la résiliation tacite du contrat (CE 27 février 2019 Département de Seine Saint Denis, req. n° 414114).

Dans son arrêt du 11 décembre 2020, le Conseil d’Etat confirme donc sa jurisprudence précédente en affirmant à son troisième considérant :

« en l’absence de décision formelle de résiliation du contrat prise par la personne publique cocontractante, un contrat doit être regardé comme tacitement résilié lorsque, par son comportement, la personne publique doit être regardée comme ayant mis fin, de façon non équivoque, aux relations contractuelles ».

1.2

Dans un tel cas, il appartient au juge administratif de s’assurer que le comportement de la personne publique était suffisamment « non-équivoque » pour mettre fin aux relations contractuelles. Ce faisant, le juge fait application de la technique du faisceau d’indices.

Ainsi, dans son arrêt du 11 décembre 2020, le Conseil d’Etat indique que le juge administratif apprécie souverainement l’existence d’une résiliation tacite du contrat au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, et en particulier des éléments suivants :

  • des démarches engagées par la personne publique pour satisfaire les besoins concernés par d’autres moyens que le contrat en cause ;
  • de la période durant laquelle la personne publique a cessé d’exécuter le contrat, compte tenu de sa durée et de son terme ;
  • de l’adoption d’une décision de la personne publique qui a pour effet de rendre impossible la poursuite de l’exécution du contrat ou de faire obstacle à l’exécution, par le cocontractant, de ses obligations contractuelles.

En l’espèce, une étude hydraulique, réalisée après la signature de la convention d’aménagement puis confirmée par des études complémentaires, fait état du risque d’inondation de la commune de Plan-de-Cuques. La commune a alors informé la société Copra Méditerranée par un courrier du 12 janvier 2012 de sa volonté de stopper l’aménagement pour le motif d’intérêt général représenté par le risque d’inondation.

Dans ses conclusions, Madame Sophie Roussel, rapporteure publique relève que le courrier du 12 janvier 2012 mentionne expressément « l’arrêt de l’aménagement » pour « motif d’intérêt général », ce qui traduit selon elle la volonté de la commune de mettre fin à la convention d’aménagement conclue en 1995.

Suivant ces conclusions, le Conseil d’Etat analyse ce courrier comme traduisant la résiliation tacite de la convention d’aménagement de façon « non équivoque ». Il annule donc l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille, considérant : « En jugeant, en dépit du contenu de ce courrier et de la durée durant laquelle la commune avait cessé d’exécuter le contrat, qu’aucune résiliation tacite de la convention d’aménagement conclue en vue de réaliser la zone d’aménagement concertée ne pouvait être caractérisée en l’espèce, la cour a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ».

2.   L’indemnisation en raison de la rupture unilatérale du contrat

L’article L. 6 point 5° du code de la commande publique prévoit que lorsque la résiliation unilatérale intervient pour un motif d’intérêt général, le cocontractant a droit à une indemnisation, sous réserve des stipulations du contrat.

Dans un tel cas, le cocontractant peut, en vertu de la jurisprudence dite Béziers II, contester la validité de la résiliation du contrat litigieux aux fins de reprise des relations contractuelles, et ce dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle il a été informé de la mesure de résiliation (CE 21 mars 2011 Commune de Béziers, req. n° 304806 : Rec. Lebon).

Afin d’équilibrer le pouvoir exorbitant de droit commun dont dispose l’administration, le cocontractant peut également solliciter l’indemnisation de son préjudice du fait de la résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général. Il est cependant de jurisprudence constante que le manque à gagner ne peut être indemnisé que lorsqu’il revêt un caractère certain en ce qu’il porte sur un minimum garanti 2)Voir par exemple CE 10 octobre 2018 Docteur J. Franc req. n° 410501 : Rec. Lebon.

En l’espèce, la société Copra Méditerranée ne conteste pas la résiliation du contrat par la commune de Plan-de-Cuques et ne demande donc pas la reprise des relations contractuelles. Elle sollicite en revanche l’indemnisation de son préjudice du fait de la rupture unilatérale du contrat par la commune pour un motif d’intérêt général.

Or, il résulte des termes de la convention que la société Copra Méditerranée n’avait aucun droit à la réalisation des quatre tranches. En effet, la poursuite des travaux pour les trois autres tranches prévues dans la convention d’aménagement nécessitait que les parties s’entendent expressément sur la poursuite de la réalisation du programme.

Le Conseil d’Etat relève qu’aucune dépense n’aurait été engagée par la société Copra Méditerranée pour la réalisation de ces tranches, de sorte que le préjudice allégué par la société Copra Méditerranée revêt, pour le juge administratif, un caractère purement éventuel qui ne permet pas l’indemnisation.

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References   [ + ]

1. CE 2 mai 1958 Distillerie de Magnac Laval : Rec. Lebon – CE 2 février 1983 Union des transports publics urbains et régionaux, req. n° 34027 : Rec. Lebon
2. Voir par exemple CE 10 octobre 2018 Docteur J. Franc req. n° 410501 : Rec. Lebon

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