Suspension partielle de l’autorisation environnementale du “cluster des médias” des Jeux olympiques et paralympiques de 2024

Catégorie

Environnement

Date

April 2021

Temps de lecture

6 minutes

CAA Paris 6 avril 2021 Mouvement national de lutte pour l’environnement-93 et nord-est parisien et autres, n° 21PA00910 

Dans un arrêt du 6 avril 2021, la Cour administrative d’appel de Paris 1)Compétente, depuis le 1er janvier 2019, en vertu de l’article R. 311-2, 5° du code de justice administrative issue de l’article 1er du décret n° 2018-1249 du 26 décembre 2018, pour connaitre, en premier et en dernier ressort, des litiges relatifs aux opérations d’urbanisme, d’aménagement et de maitrise foncière afférents aux Jeux olympiques de 2024. suspend en partie l’exécution de l’arrêté préfectoral valant autorisation environnementale de la ZAC « cluster des médias », réalisée dans le cadre de la préparation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024.

Plusieurs associations et particuliers ont saisi le juge des référés pour demander la suspension de l’exécution de l’arrêté n° 2020-2637 du 12 novembre 2020 valant autorisation environnementale de la ZAC « cluster des médias », réalisée par la société de livraison des ouvrages olympiques (SOLIDEO) sur les communes du Bourget, de Dugny et de la Courneuve dans le département de la Seine-Saint-Denis, cet arrêté tenant lieu également :

  • d’autorisation au titre des installations, ouvrages, travaux et activités mentionnés à l’article L. 214-3 du code de l’environnement ;
  • de dérogation à l’interdiction d‘atteinte à des espèces protégées au titre du 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ;
  • d’autorisation de défrichement au titre des articles L. 214-13 et L. 343-3 du code forestier ;
  • d’absence d’opposition au titre du régime d’évaluation des incidences Natura 2000 en application du VI de l’article L. 414-4 du code de l’environnement.

Rappelons qu’en vertu de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés peut, s’il est saisi d’une demande en ce sens, ordonner la suspension de l’exécution d’une décision administrative qui fait l’objet d’une requête en annulation sur le fonds, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

En l’espèce, il appartenait ainsi au juge de vérifier la constitution de ces deux conditions pour prononcer ou pas la suspension de l’arrêté litigieux.

  • Sur la condition d’urgence

Classiquement, le juge des référés réalise une mise en balance des intérêts, en confrontant l’urgence du demandeur à obtenir la suspension de l’acte litigieux et le préjudice que subirait l’Administration ou les tiers si celui-ci était suspendu 2)CE 28 février 2001 Préfet des Alpes-Maritimes, req. n° 229562..

Après avoir rappelé que « l’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre », la Cour administrative de Paris souligne que l’arrêté préfectoral « comporte la dérogation, prévue par l’article L. 411-2, 4° du code de l’environnement, aux fins de destruction d’individus de quatre espèces, de sites de reproduction ou d’air de repos de vingt-trois espèces et la perturbation intentionnelle de spécimen de trente-cinq espèces, ces atteintes concernant au moins neuf espèces protégées », ainsi que « l’urbanisation partiel de l’Air des Vents, qui constitue aujourd’hui un espace naturel ».

En défense, le ministre de la transition écologique faisait valoir l’urgence à poursuivre les travaux en vue de la réalisation du projet, eu égard aux conséquences des retards qui seraient engendrés par la suspension du chantier, notamment sur l’image internationale de la France, mais surtout qui imposeraient de trouver de nouvelles solutions d’hébergement alternatives pour les journalistes et techniciens, et impacteraient sur les finances publiques et sur le territoire concerné qui ne serait plus en mesure de bénéficier des financements de l’Etat nécessaires à la réalisation du projet d’aménagement, en l’absence de justification olympique.

De façon surprenante, la Cour estime qu’il aurait suffi aux personnes publiques responsables d’intégrer en amont, dans leur calendrier de travaux, la possibilité de recours juridictionnels contre les décisions administratives les autorisant, ce qui leur aurait permis de paliers aux risques de retard. Elle constate en outre que la loi relative à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques 3)Loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques 2024. n’a prévu aucune disposition dérogeant à la législation environnementale, ce qui aurait pu prévenir voire limiter le risque de tels recours. Par ailleurs, elle estime que les engagements pris auprès des autorités olympiques, s’agissant de la livraison des équipements litigieux, l’ont été en pleine connaissance du droit applicable. Enfin, la question de la perte des financements publiques ne relève, selon la Cour, que de simples considérations de gestion et de décisions d’opportunité étrangères à la légalité. Ainsi, aucun des éléments avancés par le ministre ne sont de nature à constituer, en l’état de l’instruction, l’urgence à poursuivre les travaux.

Au contraire, elle considère que, eu égard au caractère irréversible des atteintes portées aux espèces protégées et des conséquences résultant des opérations de défrichement et de celles de la future urbanisation partielle de la zone, la condition d’urgence est satisfaite.

  • Sur les doutes sérieux de nature à justifier la suspension de l’arrêté 

Après avoir rappelé que l’arrêté portant dérogation à la protection d’espèces protégées est soumise à l’obligation de motivation en vertu de la loi du 11 juillet 1979 4)Conformément à la jurisprudence constante : voir pour exemple CAA Nantes 5 mars 2019, n° 17NT02791 ; CAA Lyon 16 décembre 2016, n° 15LY03097., et qu’elle doit donc « comporter l’énoncé distinct et cumulatif des considérations de fait » exposant les trois conditions ci-après mentionnées, la Cour administrative d’appel de Paris considère que ces exigences ne sont, en l’espèce, pas remplies, l’arrêté préfectoral se bornant à justifier l’absence de solution alternative satisfaisante par la « seule évolution régressive de l’emprise du projet », ce qui ne présente, selon elle, « aucun rapport logique ou pertinent au regard de la condition légale applicable », et qui ne permet pas à l’administré de comprendre les motifs de l’arrêté litigieux.

Sur le fond, le juge des référés rappelle la possibilité de délivrer des dérogations à la protection d’espèces protégées sous réserve de la réunion de trois conditions cumulatives 5)L’article L. 411-1, I du code de l’environnement prévoit un ensemble d’interdictions visant à assurer la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats, dont il est possible de déroger sous réserve de l’observation des conditions prévues par l’article L. 411-2, I, 4° du même code. :

  • l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur ;
  • l’absence d’une solution alternative satisfaisante ;
  • le fait que la dérogation ne nuise pas au maintien dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

Après avoir constaté que la réalisation du village des médias répond à une raison impérative d’intérêt public majeur, en raison tant de l’utilisation des équipements projetés dans le cadre des jeux olympiques que de leur insertion dans un projet local de rénovation urbaine, alors même que ces équipements étaient envisagés dès 2010, soit avant la connaissance de la candidature de la France et qu’ils répondaient ainsi à une volonté d’aménagement local, le juge des référé considère en revanche qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les auteurs du projet auraient véritablement recherché l’existence d’une solution alternative satisfaisante en d’autres lieux, et que la réalisation du programme immobilier prévu par le projet n’aurait pu être satisfaite par des solutions alternatives permettant de limiter l’atteinte portée aux espèces protégées et d’éviter l’urbanisation de la frange sud-ouest de l’aire des Vents.

Dès lors, le juge des référés en conclut que ces moyens sont de nature à faire naitre un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté préfectoral contestée, ce qui justifie sa suspension. Cependant, la Cour apporte plusieurs précisions sur la portée de cette suspension.

  • Sur la portée de la suspension

Si l’article L. 521-1 du code de justice administrative autorise le juge des référés à suspendre seulement « certains » effets de la décision attaquée, il est cependant peu commun que le juge en module autant les effets, comme il le fait en l’espèce.

En effet, constatant que l’ensemble des vices constatés n’affectant l’autorisation environnementale qu’en tant qu’elle accorde la dérogation au titre de l’interdiction de porter atteinte à des espèces protégées, et ces dispositions étant divisibles du reste de l’arrêté, le juge des référés précise que la suspension de l’arrêté préfectoral ne doit être prononcée que dans cette limite.

Par ailleurs, il invite le préfet de Seine-Saint-Denis, s’il s’y croit fondé, à modifier les motifs de l’arrêté litigieux de manière à régulariser le vice tiré de l’insuffisance de motivation, puis de saisir le juge des référés de la Cour afin que ce dernier modifie, le cas échéant, la portée de la suspension prononcée, s’il estime que cette modification est de nature à régulariser ledit vice.

Dans ce cas de figure, si le juge des référés constate que ce vice est régularisé, alors la suspension pourra être réduite au seul territoire de l’air des Vents, dès lors que le vice tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 411-2, 4° du code de l’environnement, portant sur l’exigence d’absence de solution alternative satisfaisante, n’est susceptible d’affecter que cette partie du territoire de la zone d’aménagement concerté.

 

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References   [ + ]

1. Compétente, depuis le 1er janvier 2019, en vertu de l’article R. 311-2, 5° du code de justice administrative issue de l’article 1er du décret n° 2018-1249 du 26 décembre 2018, pour connaitre, en premier et en dernier ressort, des litiges relatifs aux opérations d’urbanisme, d’aménagement et de maitrise foncière afférents aux Jeux olympiques de 2024.
2. CE 28 février 2001 Préfet des Alpes-Maritimes, req. n° 229562.
3. Loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques 2024.
4. Conformément à la jurisprudence constante : voir pour exemple CAA Nantes 5 mars 2019, n° 17NT02791 ; CAA Lyon 16 décembre 2016, n° 15LY03097.
5. L’article L. 411-1, I du code de l’environnement prévoit un ensemble d’interdictions visant à assurer la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats, dont il est possible de déroger sous réserve de l’observation des conditions prévues par l’article L. 411-2, I, 4° du même code.

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