Une commune peut voir sa responsabilité sans faute engagée en cas de renonciation à l’acquisition d’un bien après exercice du droit de préemption urbain

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

June 2022

Temps de lecture

4 minutes

CE 13 juin 2022 Société Immotour, req. n° 437160 : mentionné aux tables du recueil Lebon

La société Immotour, propriétaire d’un hôtel situé sur territoire de la commune de Saverne, a conclu une promesse de vente au prix de 1 095 000 euros et a adressé une déclaration d’intention d’aliéner à la commune, son bien étant situé dans une zone soumise au droit de préemption urbain. Par une décision du 28 août 2012, le maire de Saverne a décidé d’exercer le droit de préemption sur ce bien, au prix de 800 000 euros.

La société Immotour a contesté le prix proposé devant le juge de l’expropriation, qui a évalué le prix de l’hôtel à la somme de 915 573, 90 euros par un jugement du 17 mai 2013.

Cependant la commune a renoncé à l’exercice du droit de préemption par une décision du 17 juillet 2013.

La société Immotour, contrainte de céder son bien pour une somme de 400 000 euros le 7 août 2014, a alors saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’une requête indemnitaire.

Par un jugement du 28 juin 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a jugé que la décision de préemption de la commune était illégale et a condamné la commune de Saverne à verser à la société Immotour la somme de 436 669,86 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation du préjudice résultant de l’illégalité de la décision de préemption.

Toutefois, la cour administrative d’appel de Nancy a annulé ce jugement par un arrêt du 24 octobre 2019, en écartant toute illégalité fautive et en rejetant les demandes de la société Immotour.

La société Immotour s’est alors pourvue en cassation, en reprochant notamment à la cour de ne pas avoir relevé d’office la responsabilité sans faute de la commune 1)En effet, ce fondement de responsabilité est d’ordre public et le juge commet une erreur de droit lorsqu’il ne retient pas la responsabilité sans faute alors que les conditions d’engagement sont réunies (CE 30 juillet 1997 Epoux K., req. n° 148902.

En l’espèce, le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy, en considérant que cette dernière avait effectivement commis une erreur de droit en s’abstenant de relever d’office l’engagement de la responsabilité sans faute de la commune de Saverne, dès lors que «  la société Immotour a subi, du fait des décisions de préemption et de renonciation de la commune de Saverne, un préjudice grave, qui a revêtu un caractère spécial et doit être regardé comme excédant les aléas ou sujétions que doivent normalement supporter des vendeurs de terrains situés en zone urbaine, sans que d’autres circonstances, notamment le fait que la société n’ait mis en place un dispositif de gardiennage de l’immeuble qu’à compter de septembre 2013, soient de nature, dans les circonstances particulières de l’espèce, à écarter totalement la responsabilité de la commune (…) ».

Ainsi, le Conseil d’Etat retient pour la première fois l’engagement de la responsabilité sans faute d’une commune pour avoir renoncé 2)Etant rappelé qu’une commune peut légalement renoncer à préempter un bien dans les deux mois après que le juge de l’expropriation a fixé le prix (article L. 213-7 du code de l’urbanisme à une décision de préemption légale 3)Voir pour le refus d’engager la responsabilité sans faute d’une commune pour une décision de préemption légale : « Considérant qu’en exerçant son droit de préemption sur ces immeubles, la commune de Puteaux n’a pas fait subir à la société requérante, d’aléas ou de sujétions excédant ceux que doivent normalement supporter les vendeurs et les acquéreurs de terrains situés en zone urbaine » (CE 7 mai 1986 SA Etudes Malesherbes, req. n° 49938.

S’agissant de l’évaluation des préjudices subis par la société Immotour, le Conseil d’Etat procède à l’analyse de la différence entre le prix figurant dans la promesse de vente en 2012, en considérant que la vente était suffisamment probable, celui fixé par le juge de l’expropriation en 2013 et le prix de vente effectif du bien en 2014 après la renonciation de la commune à la préemption 4)Voir s’agissant d’une renonciation à une préemption entachée d’illégalité, CE 15 mai 2006 Commune de Fayet, req. n° 266495, pour en déduire « qu’il sera fait une juste appréciation de la part des préjudices excédant les aléas ou sujétions que doivent normalement supporter les vendeurs de terrains situés en zone urbaine, subie par la société du fait de la renonciation par la commune à l’exercice du droit de préemption, en la fixant à 250 000 euros ».

Autrement dit, alors que le manque à gagner était compris entre 515 573,90 euros (par rapport au prix fixé par le juge de l’expropriation) et 695 000 euros (par rapport à la promesse de vente initiale), le Conseil d’Etat n’estime qu’à « 250 000 euros » le préjudice anormal subi par le vendeur du fait de la renonciation à la préemption par la commune de Saverne.

Toutefois, la Haute assemblée précise aussitôt que l’attitude de la société Immotour, qui s’est abstenue de prendre des mesures de gardiennage de son bien, ce qui a entrainé l’occupation illégale de l’immeuble et son pillage à plusieurs reprises en 2013, exonère partiellement la commune de sa responsabilité, à hauteur de 100 000 euros.

En conséquence, le Conseil d’Etat condamne la commune de Saverne à verser à la société Immotour une somme de « 150 000 euros » assortie des intérêts au taux légal à compter du 13 avril 2015, soit la date de de la demande indemnitaire de la société Immotour.

 

 

 

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1. En effet, ce fondement de responsabilité est d’ordre public et le juge commet une erreur de droit lorsqu’il ne retient pas la responsabilité sans faute alors que les conditions d’engagement sont réunies (CE 30 juillet 1997 Epoux K., req. n° 148902
2. Etant rappelé qu’une commune peut légalement renoncer à préempter un bien dans les deux mois après que le juge de l’expropriation a fixé le prix (article L. 213-7 du code de l’urbanisme
3. Voir pour le refus d’engager la responsabilité sans faute d’une commune pour une décision de préemption légale : « Considérant qu’en exerçant son droit de préemption sur ces immeubles, la commune de Puteaux n’a pas fait subir à la société requérante, d’aléas ou de sujétions excédant ceux que doivent normalement supporter les vendeurs et les acquéreurs de terrains situés en zone urbaine » (CE 7 mai 1986 SA Etudes Malesherbes, req. n° 49938
4. Voir s’agissant d’une renonciation à une préemption entachée d’illégalité, CE 15 mai 2006 Commune de Fayet, req. n° 266495

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