Une servitude non annexée au PLU mais notifiée au propriétaire du bien affecté par ladite servitude lui est opposable

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

October 2021

Temps de lecture

4 minutes

CE 23 septembre 2021 Commune de Bordeaux, req. n° 432650

Résumé

Par cette décision, le Conseil d’Etat juge que dès lors que le propriétaire d’un immeuble classé ou inscrit aux monuments historiques s’est vu notifier ce classement ou cette inscription, la servitude afférente lui est opposable quand bien même elle n’aurait pas été annexée au plan local d’urbanisme (PLU).

Contexte de la décision

La société civile La Place Gambetta, propriétaire d’un immeuble dont  les façades et toitures sont inscrites au titre des monuments historiques depuis un arrêté du 15 novembre 1927, avait fait réaliser des travaux sans permis de construire consistant en l’aménagement d’un logement sous les combles, une modification de la toiture, la pose de fenêtres et la création d’une terrasse.

A la demande de la ville, la société a tenté de régulariser la situation en déposant des demandes des permis de construire dont la dernière datée du 6 avril 2016 a été refusée par le maire de Bordeaux le 22 août 2016 au seul motif de l’absence d’accord du préfet de région.

Le propriétaire a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d’annuler ce refus mais par un jugement du 1er février 2018 les premiers juges ont procédé à une substitution de motifs et rejeté la demande de la société au motif que les travaux en litige ne respectaient pas les éléments existants de la construction en méconnaissance du règlement du PLU.

Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé cette décision. Pour ce faire, les juges du fond ont fait application de deux règles laissant peu de place à l’interprétation :

  • la règle d’opposabilité des servitudes d’utilités publique aux termes de laquelle après l’expiration d’un délai d’un an, seules les servitudes annexées au plan ou celles publiées sur le portail national de l’urbanisme sont opposables aux demandes d’autorisation des sols (article L. 152-7 du code de l’urbanisme) ;
  • la règle de naissance d’une décision tacite de permis de construire aux termes de laquelle en principe à défaut de notification d’une décision expresse de permis de construire à l’issue du délai d’instruction, le silence gardé par l’autorité compétente vaut permis de construire tacite sauf notamment lorsque le projet porte sur un immeuble inscrit au titre des monuments historiques (et dans ce cas l’absence de décision vaut refus du permis) (combinaison des articles R. 424-1 et R. 424-2 du code de l’urbanisme)

Faisant application de ce corpus de règles, la cour a jugé que si, en l’espèce, l’immeuble était effectivement inscrit au titre des monuments historiques, cette inscription n’étant pas annexée au PLU de Bordeaux Métropole, elle n’était pas opposable à la demande de permis de construire. Elle en a déduit qu’un permis tacite est né le 6 juillet 2016 (puisque le permis sortait du champ dérogatoire lié à son inscription aux monuments historique) et que la décision de refus du permis de construire du 22 août ne pouvait dès lors s’analyser qu’en une décision de retrait du permis tacite mais que, celle-ci n’ayant pas été précédée de la procédure contradictoire exigée, est illégale.

Dès lors, la cour considère que la société est bien titulaire d’un permis tacite et enjoint à la commune de lui en délivrer le certificat correspondant.

La commune s’est pourvue en cassation contre cette décision.

La portée de la décision du Conseil d’Etat : une servitude notifiée à son propriétaire lui est opposable même si elle n’a pas été annexée au PLU

La question dont était saisie le Conseil d’Etat était la suivante : le silence gardé par l’administration, à l’issue de l’instruction d’une demande de permis de construire concernant des travaux portant sur un immeuble, classé au titre des monuments historiques, alors que cette servitude n’est pas annexée au PLU, vaut-elle décision implicite de rejet ou permis de construire tacite ?

Le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord le principe d’inopposabilité des servitudes d’utilité publique affectant l’utilisation des sols non annexées au PLU aux autorisations d’urbanisme. Ces servitudes figurent au livre Ier de la partie règlementaire du code et comprennent les servitudes relatives aux monuments inscrits. Il ressort de la jurisprudence administrative que l’absence de respect de cette exigence n’entraine pas l’illégalité du PLU 1)CE 9 mars 1990 Stockhausen et Trudelle, req. n° 42563.

Ensuite, la Haute juridiction suivant les conclusions du rapporteur public M. Olivier Fuchs ajoute que « toutefois, lorsque le propriétaire d’un immeuble classé ou inscrit aux monuments historiques s’est vu notifier cette inscription en application de l’article R. 621-8 du code du patrimoine, cette servitude lui est opposable alors même qu’elle ne serait pas annexée au plan local d’urbanisme ».

Il en résulte que « sa demande de permis de construire, de démolir ou d’aménager portant sur cet immeuble relève en conséquence, conformément à l’article R. 424-2 du code de l’urbanisme, de la procédure dérogatoire prévue pour ces demandes par les dispositions précitées de l’article L. 621-27 du code du patrimoine, d’où il résulte que le silence gardé par l’administration à l’issue du délai d’instruction fait naître une décision implicite de rejet de la demande. ».

Ainsi, selon le Conseil d’Etat, la cour administrative d’appel de Bordeaux a commis une erreur de droit en jugeant que le silence de l’administration pendant trois mois avait fait naître un permis tacite en application de l’article R. 424-1 du code de l’urbanisme alors qu’elle aurait dû faire application du régime dérogatoire prévu à l’article L. 621-27 du code du patrimoine visé par l’article R. 424-2 du code de l’urbanisme.

En conséquence, le Conseil d’Etat applique strictement les dispositions de l’article R. 424-2 du code de l’urbanisme selon lequel le défaut de notification d’une décision expresse vaut décision de rejet et non d’acceptation lorsque le projet porte sur un immeuble inscrit.

Il annule l’arrêt de la cour et lui renvoie le jugement de l’affaire.

 

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References   [ + ]

1. CE 9 mars 1990 Stockhausen et Trudelle, req. n° 42563

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