ZAC et expropriation pour revendre : faut-il joindre au dossier d’enquête publique les recettes attendues de la vente future des terrains ? Quelle primauté entre un projet privé et le projet déclaré d’utilité publique ?

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

April 2022

Temps de lecture

4 minutes

CE 22 mars 2022 Association église évangélique de Crossroads et autres, req. n° 448610 : aux T

Le 20 novembre 2013, le conseil communautaire de la communauté de communes du Pays de Gex a approuvé le projet de création, sur le territoire de la commune de Ferney Voltaire, de la zone d’aménagement concerné (ZAC) « Ferney-Genève Innovation ». Par un traité de concession du 27 mars 2014, la réalisation de l’aménagement a été confiée à la société publique locale Territoire d’innovation. Parallèlement, l’opération a été déclarée d’utilité publique par un arrêté préfectoral du 22 juillet 2016 et les parcelles concernées ont été déclarées cessibles par un arrêté de cessibilité du 10 avril 2018.

Saisi sur la légalité de ces deux derniers arrêtés, la Haute juridiction affirme que dans le cas de la création d’une ZAC n’ont pas à être incluses dans l’appréciation sommaire des dépenses les recettes attendues de la vente future des terrains et de l’opération d’expropriation (1) et précise les critères d’appréciation de l’utilité publique d’un projet lorsque les propriétaires expropriés portent un projet équivalent à celui de la collectivité expropriante (2).

1.    Sur l’absence d’obligation de mentionner dans le dossier d’enquête les recettes attendues de la vente future des terrains

Pour rappel, le dossier de demande de déclaration d’utilité publique d’une ZAC doit nécessairement intégrer, un bilan prévisionnel de l’opération comprenant notamment une appréciation sommaire des dépenses 1)Conformément à l’article R. 112-4 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. laquelle permet de s’assurer que les travaux ou ouvrages de la ZAC, compte tenu de leur coût réel total, ont réellement un caractère d’utilité publique 2)CE 23 janvier 1970, Epoux N… req. n° 68324..

De jurisprudence constante, seules les dépenses nécessaires à l’aménagement et à l’équipement de terrains et le cas échéant, le coût de leur acquisition doivent être incluses dans cette appréciation sommaire. Sont en principe exclues, les dépenses relatives aux ouvrages qui seront ultérieurement construits dans le périmètre de la zone 3)CE 11 juillet 2016, OICV req. n° 389936..

En l’espèce, les requérants soutenaient que le dossier d’enquête était entaché d’irrégularité en ce qu’il ne comportait aucune estimation des recettes attendues de la vente à venir des terrains expropriés.

La question ainsi posée par les requérants s’inscrit dans une problématique actuelle discutée tant par les juridictions civiles 4)Comme le rappelle le rapporteur public, la cour de cassation a renvoyé la question de la constitutionnalité de l’article L. 322-2 du code de l’expropriation qui fixe les principes d’évaluation des biens expropriés auprès du Conseil constitutionnel. Ce dernier a jugé conforme ces dispositions à la Constitution (décision n° 2021-915/916 QPC du 11 juin 2021) qu’administratives à savoir celles des opérations où l’expropriant cède les immeubles au terme de l’opération en captant l’intégralité de la plus-value tandis que l’exproprié voit l’estimation de son bien gelée un an avant l’ouverture de l’enquête publique, ou à la date de la création de la ZAC si elle est antérieure.

Or, comme l’indique le rapporteur public : « n’est-ce pas à ce stade [au stade du contrôle de l’utilité publique] qu’il faudrait vérifier que l’opération n’a pas, pour la collectivité expropriante, un intérêt essentiellement spéculatif ? ». L’obligation de verser au dossier d’enquête les prévisions de recettes répondrait alors à cette nécessité de transparence vis-à-vis du public dans le cadre des procédures d’expropriation pour revendre.

Suivant les conclusions du rapporteur public qui considérait comme malvenu une création purement prétorienne de cette obligation et appelait à une intervention législative ou du pouvoir règlementaire sur cette question, la Haute juridiction se refuse à imposer que ces recettes prévisionnelles soient intégrées au dossier d’enquête et rejette donc le moyen.

2.    Sur l’utilité publique d’une ZAC au regard de l’existence de projets concurrents portés par l’initiative privée.

Dans l’appréciation de l’utilité publique d’un projet d’aménagement, quelle valeur donner à l’existence de projets concurrents portés par l’initiative privée ? Telle est la seconde question que le Conseil d’Etat est amené à examiner dans cette décision.

Pour apprécier de l’utilité publique d’un projet, le Conseil d’Etat applique une méthodologie constante 5)CE 19 octobre 2012 Commune de Levallois-Perret, req. n° 343070. à savoir : « contrôler successivement qu’elle répond à une finalité d’intérêt général, que l’expropriant n’était pas en mesure de réaliser l’opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l’expropriation et, enfin, que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d’ordre social ou économique que comporte l’opération ne sont pas excessifs au regard de l’intérêt qu’elle présente ».

S’agissant plus particulièrement de la nécessité de l’expropriation, et comme le rappelle le rapporteur public dans ses conclusions, le contrôle de ce critère se limite généralement à vérifier que le projet ne peut pas être réalisé en utilisant d’autres terrains appartenant à la personne publique expropriante et que l’inclusion d’une parcelle déterminée dans le périmètre d’expropriation n’est pas sans rapport avec l’opération déclarée d’utilité publique. Surtout, le juge se refuse en principe à effectuer tout contrôle sur l’opportunité même du projet.

En l’espèce, le projet d’aménagement de la ZAC permet la réalisation d’un nouveau quartier de logements et d’activités et répond à l’objectif d’intérêt général de rééquilibrage des programmes de logements et d’activités au sein de l’aire d’attraction de la métropole de Genève.

Or, la Haute juridiction, se référant de façon assez lapidaire aux pièces du dossier, constate que les initiatives privées portées par les sociétés ne permettent pas d’atteindre des objectifs équivalents à ceux poursuivis à travers l’opération d’aménagement déclarée d’utilité publique et que l’inclusion de ces parcelles dans le périmètre d’expropriation n’est pas sans rapport avec l’opération d’aménagement déclarée d’utilité publique.

Le Conseil d’Etat avait déjà pu juger que la circonstance que des aménageurs privés soient en mesure de réaliser un projet à l’intérieur du périmètre concerné n’est pas de nature à retirer l’utilité publique d’opération dès lors que le projet privé « est d’une importance moindre » 6)CE 27 octobre 1991 Dlle Marie D, req. n° 80997. ou que le projet public a « un objectif plus large » 7)CE 18 juin 2003 AFUR des terrains ensables du Cap-Ferret, req. n° 224761..

Ainsi, considérant qu’il existe une différence d’ampleur entre les projets des sociétés requérantes et le projet d’aménagement de la ZAC, le Conseil d’Etat écarte le moyen.

 

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References   [ + ]

1. Conformément à l’article R. 112-4 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
2. CE 23 janvier 1970, Epoux N… req. n° 68324.
3. CE 11 juillet 2016, OICV req. n° 389936.
4. Comme le rappelle le rapporteur public, la cour de cassation a renvoyé la question de la constitutionnalité de l’article L. 322-2 du code de l’expropriation qui fixe les principes d’évaluation des biens expropriés auprès du Conseil constitutionnel. Ce dernier a jugé conforme ces dispositions à la Constitution (décision n° 2021-915/916 QPC du 11 juin 2021
5. CE 19 octobre 2012 Commune de Levallois-Perret, req. n° 343070.
6. CE 27 octobre 1991 Dlle Marie D, req. n° 80997.
7. CE 18 juin 2003 AFUR des terrains ensables du Cap-Ferret, req. n° 224761.

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