Vers un nouveau renforcement de la participation du public aux processus de décision publique en matière d’environnement : la reconnaissance de l’effet direct du paragraphe 4 de l’article 6 de la Convention d’Aarhus en droit français

Catégorie

Environnement

Date

November 2021

Temps de lecture

4 minutes

Conseil d’Etat 15 novembre 2021, req. n° 434742 : mentionné aux Tables du Rec. CE

Résumé

Par cette décision rendue à l’occasion d’un litige portant sur la contestation d’une autorisation d’exploiter une centrale électrique ; le Conseil d’Etat revient sur sa jurisprudence et considère que le paragraphe 4 de l’article 6 de la Convention d’Aarhus du 25 juin 1998 – qui stipule que « chaque partie prend des dispositions pour que la participation du public commence au début de la procédure, c’est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence » – produit des effets directs dans l’ordre juridique interne.

Contexte de la décision

Dans cette affaire, l’association requérante Force 5 demandait l’annulation de l’arrêté du 10 janvier 2013 par lequel le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a en application de l’article L. 311-1 du code de l’énergie autorisé la société Direct Energie à exploiter une centrale de production d’électricité.

Par une première décision n° 412493 du 25 février 2019, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Nantes du 15 mai 2017 qui rejetait l’appel formé par l’association après avoir été débouté en première instance pour défaut d’intérêt pour agir.

Il a alors renvoyé le litige devant la cour qui a de nouveau rejeté mais cette fois sur le fond la requête de l’association.

C’est l’arrêt dont la Haute juridiction est saisie dans la décision commentée.

1             Sur l’impossibilité de se prévaloir de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte de l’environnement relative au droit d’accès à l’information et à la participation du public

Dans un premier temps, le juge administratif écarte le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte de l’environnement relative au droit d’accès à l’information et à la participation du public.

Il rappelle la décision 2020-843 QPC du 28 mai 2020 dans laquelle le Conseil constitutionnel a jugé l’article L. 311-5 du code de l’énergie contraire à l’article 7 de la Charte de l’environnement jusqu’au 31 août 2013. Toutefois, le Conseil Constitutionnel avait également considéré que la remise en cause de mesures prises avant le 1er septembre 2013 sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution avant cette date aurait des conséquences manifestement excessivement de telle sorte que ces mesures ne peuvent pas être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

En l’espèce, l’autorisation à la société d’exploiter une centrale de production d’électricité a été délivrée par le ministre de l’écologie par un arrêté du 10 janvier 2013 sur le fondement des dispositions susmentionnées.

Ainsi, le moyen d’inconstitutionnalité tiré de la méconnaissance de l’article 7 de la Charte est logiquement rejeté.

Seule la voie conventionnelle restait donc ouverte.

2             Sur la possibilité inédite de se prévaloir de l’effet direct en droit interne du paragraphe 4 de l’article 6 de la convention d’Aarhus

Le Conseil d’Etat opère un revirement de jurisprudence relatif à l’effet direct du paragraphe 4 de l’article 6 de la convention d’Aarhus qui stipule que « chaque partie prend des dispositions pour que la participation du public commence au début de la procédure, c’est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence ». Il jugeait jusqu’ici depuis une décision du 6 juin 2007 1)CE 6 juin 2007 Commune de Groslay, req. n° 292942 que seul le paragraphe 3 de l’article 6 prévoyant des délais raisonnables à toutes les étapes de la procédure de participation du public était d’effet direct et non pas le paragraphe 4.

Une jurisprudence constante maintenue 2)CE 30 décembre 2015 Association Fédération environnement durable et autres, req. n° 380503 ; CE 13 mars 2019 France Nature Environnement, req. n° 414930 ; CE 19 novembre 2020 Commune de Val-de-Reuil, req. n° 417362. même après le grille de lecture de la décision dite GISTI du 11 avril 2012 qui précise les conditions de reconnaissance de l’effet direct des conventions internationales : à savoir l’intention exprimée des parties à la convention, l’économie générale du traité et le contenu et les termes de la stipulation invoquée.

C’est par une affirmation courte que la Haute juridiction reconnait un effet direct : « ces stipulations doivent être regardées comme produisant des effets directs dans l’ordre juridique interne ».

Le Conseil d’Etat a donc suivi les conclusions de son rapporteur public 3)Conclusions de Olivier Fuchs sous la décision du Conseil d’Etat du 15 novembre 2021. lequel donne un certain nombre d’éléments pour justifier cet effet direct notamment qu’une telle reconnaissance assurerait une plus grande cohérence en ne distinguant plus au sein de l’article 6 de la Convention les dispositions d’effet direct ou non. Cet effet direct permettra donc un particulier d’invoquer utilement cette norme internationale directement devant une juridiction nationale.

En l’espèce, le Conseil d’Etat juge toutefois que la CAA avait à bon droit écarté le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations conventionnelles.

Les juges du fond avaient notamment relevé que dans le cadre d’une Conférence bretonne de l’énergie réunissant un grand nombre de partenaires économiques et associatifs de l’Etat et la région, le projet d’unité de production d’électricité ainsi que le type de centrale, sa puissance et sa localisation avaient été présentés, ainsi que dans un dossier de presse exposant les caractéristiques et les impacts attendus de la centrale. Une concertation avec les élus et le public avait été par ailleurs organisée en 2012, avec l’ouverture d’un espace participatif consacré au projet sur le site internet de la préfecture et plusieurs “rendez-vous de la concertation”.

Ainsi la Haute juridiction considère que la cour a pu par une appréciation souveraine exempte de dénaturation valablement en déduire que la concertation – à un stade précoce de la procédure – avait permis au public de faire valoir ses observations et ses avis en temps utile.

 

 

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References   [ + ]

1. CE 6 juin 2007 Commune de Groslay, req. n° 292942
2. CE 30 décembre 2015 Association Fédération environnement durable et autres, req. n° 380503 ; CE 13 mars 2019 France Nature Environnement, req. n° 414930 ; CE 19 novembre 2020 Commune de Val-de-Reuil, req. n° 417362.
3. Conclusions de Olivier Fuchs sous la décision du Conseil d’Etat du 15 novembre 2021.

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