Vers une conception restrictive du défaut de qualité pour demander une autorisation d’urbanisme ?

Catégorie

Droit administratif général, Urbanisme et aménagement

Date

February 2020

Temps de lecture

7 minutes

CE 12 février 2020 Commune de Norges-la-Ville, req. n° 424608 : mentionné aux T. Rec. CE

1           Par un acte sous seing privé du 22 janvier 2013, la commune de Norges-la-Ville a conclu avec la société de conseil en lotissement et en aménagement de zone (CLAZ) une promesse de vente d’un terrain appartenant à la commune en vue de la réalisation du projet de la société.

Par suite, la société CLAZ a été bénéficiaire, le 18 février 2015, d’un permis d’aménager tacite, qui a toutefois été retiré par le maire de la commune le 17 avril 2015 au motif que le conseil municipal avait, postérieurement au dépôt de la demande de permis d’aménager mais antérieurement à la naissance du permis tacite, déclaré caduque la promesse de vente par une délibération du 6 novembre 2014, la privant ainsi de la qualité requise pour obtenir une telle autorisation.

La société CLAZ a demandé l’annulation de ce retrait au tribunal administratif de Dijon, lequel a rejeté sa demande par un jugement du 15 juillet 2016. Par un arrêt du 31 juillet 2018 1)CAA Lyon 31 juillet 2018 Société CLAZ, req. n° 16LY03159. contre lequel la commune de Norges-la-Ville se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel (CAA) de Lyon a annulé ce jugement et la décision de retrait du permis du 17 avril 2015.

2          Le litige portait sur la qualité d’un pétitionnaire d’une demande d’autorisation d’urbanisme au titre de l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme 2)En l’espèce, le litige portait sur un permis d’aménager, mais les dispositions de l’article R. 441-1 du code de l’urbanisme renvoient aux dispositions de l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme.

Article R. 441-1 du code de l’urbanisme : « […] La demande comporte également l’attestation du ou des demandeurs qu’ils remplissent les conditions définies à l’article R 423-1 pour déposer une demande de permis ».

Article R. 423-1 du code de l’urbanisme : « Les demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir et les déclarations préalables sont adressées par pli recommandé avec demande d’avis de réception ou déposées à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés : a) Soit par le ou les propriétaires du ou des terrains, leur mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par eux à exécuter les travaux ; b) Soit, en cas d’indivision, par un ou plusieurs co-indivisaires ou leur mandataire ; c) Soit par une personne ayant qualité pour bénéficier de l’expropriation pour cause d’utilité publique»..

On sait, depuis le décret n° 2007-18 du 5 janvier 2007, que l’article R. 423-1 du code de l’urbanise impose seulement que les personnes qui déposent une demande de permis de construire, et qui ne sont pas propriétaires du terrain faisant l’objet de la demande de permis, attestent être « autorisées par le ou les propriétaires à exécuter les travaux ».

La seule exigence porte ainsi sur la production d’une « attestation » par le demandeur, sous sa seule responsabilité 3)Article R. 431-5 du code de l’urbanisme.. En pratique, cette attestation correspond à la signature de la rubrique n° 9 du formulaire Cerfa de demande de permis de construire.

En l’espèce, pour retirer le permis d’aménager tacitement obtenu par la société CLAZ, le maire de la commune se fondait sur le fait, qu’à la suite d’une délibération du conseil municipal du 6 novembre 2014 constatant la caducité de la promesse de vente conclue entre la société pétitionnaire et la commune, la société ne pouvait être considérée, à la date du permis tacite le 18 février 2015, comme remplissant les conditions fixées à l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme dès lors que la commune, propriétaire du terrain, n’autorisait plus la cession dudit terrain nécessaire à la réalisation de l’opération de la société.

Ce raisonnement est censuré par la CAA de Lyon, puis, par substitution de motifs, le Conseil d’Etat confirme le dispositif de l’arrêt de la CAA.

3          Le Conseil d’Etat commence par rappeler dans un considérant de principe les grandes lignes directrices en la matière déjà mises en avant dans de précédentes décisions 4)Voir par exemple : CE Sect. 23 mars 2015 M. et Mme Loubier, req. n° 348261 : publié au Rec ; BJDU 4/2015, p. 265, concl. Crépey – CE 22 octobre 2018, req. n° 406746 – CE 5 décembre 2018 Syndicat des copropriétaires de l’immeuble du 43 avenue du Maréchal Fayolle, req. n° 410374. aux termes desquelles :

« Les autorisations d’utilisation du sol, qui ont pour seul objet de s’assurer de la conformité des travaux qu’elles autorisent avec la législation et la réglementation d’urbanisme, étant accordées sous réserve du droit des tiers, il n’appartient pas à l’autorité compétente de vérifier, dans le cadre de l’instruction d’une demande de permis, la validité de l’attestation établie par le demandeur. Toutefois, lorsque l’autorité saisie de la demande vient à disposer au moment où elle statue, sans avoir à procéder à une instruction lui permettant de les recueillir, d’informations de nature à établir le caractère frauduleux de cette attestation ou faisant apparaître, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que le pétitionnaire ne dispose, contrairement à ce qu’implique l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme, d’aucun droit à la déposer, il lui revient de refuser pour ce motif le permis sollicité. »

Il faut d’ailleurs relever que le Conseil d’Etat avait déjà jugé que la seule circonstance que le pétitionnaire perde, postérieurement à la délivrance du permis de construire, fût-ce à titre rétroactif, la qualité au titre de laquelle il avait présenté la demande de permis de construire n’est pas, par elle-même, de nature à entacher d’illégalité ledit permis 5)CE Sect. 19 juin 2015 Commune de Salbris, req. n° 368667 : publié au Rec. CE ; BJDU 5/2015, p. 321, concl. de Lesquen..

4          A cet égard, le Conseil d’Etat vient très clairement préciser ce qu’il en est lorsque le pétitionnaire est titulaire d’une promesse de vente :

  • En pareille hypothèse, seule la remise en cause, par une décision du juge judiciaire, est susceptible de constituer des « informations […] faisant apparaître, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que le pétitionnaire ne dispose, contrairement à ce qu’implique l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme, d’aucun droit à […] déposer [sa demande] ». Et encore, l’autorité saisie de la demande ne peut-elle en tenir compte que si elle a obtenu ces informations « sans avoir à procéder à une instruction lui permettant de les recueillir ».
  • En revanche, en dehors de ce cas de figure 6)Sous la réserve classique de la fraude., elle doit prendre en compte l’attestation du pétitionnaire :

« Il en est notamment ainsi lorsque l’autorité saisie de la demande de permis est informée de ce que le juge judiciaire a remis en cause le droit de propriété sur le fondement duquel le pétitionnaire a présenté sa demande. Mais, lorsque le pétitionnaire est, pour le terrain faisant l’objet de la demande de permis, titulaire d’une promesse de vente qui n’a pas été remise en cause par le juge judiciaire à la date à laquelle l’autorité administrative se prononce, l’attestation par laquelle il déclare remplir les conditions pour déposer la demande de permis ne peut, en l’absence de manœuvre frauduleuse, être écartée par l’autorité administrative pour refuser de délivrer le permis sollicité. »

5          En dehors de l’hypothèse d’une décision du juge judiciaire, d’autres circonstances seraient-elles toutefois de nature à justifier un refus pour défaut de titre ?

A cet égard, la Haute Juridiction considère, dans l’arrêt commenté, que la validité de l’attestation émise par le pétitionnaire au titre de l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme ne peut être valablement remise en cause du seul fait de l’existence d’une contestation sur celle-ci, que ce soit la délibération de la commune venderesse constatant la caducité de la promesse de vente ou la saisine du juge judiciaire sur ce point :

« Si le maire de la commune a retiré le permis d’aménager dont la société CLAZ était devenue tacitement bénéficiaire le 18 février 2015 au motif qu’une délibération du conseil municipal du 6 novembre 2014 avait constaté la caducité de la vente et ainsi privé le pétitionnaire de la qualité requise pour obtenir le permis d’aménager, il résulte des constatations faites par la cour administrative d’appel dans le cadre de son pouvoir souverain qu’à la date de naissance du permis tacite, le juge judiciaire, qui était seulement saisi d’une action engagée pour contester la caducité de la promesse de vente, n’avait pas remis en cause la validité de cette promesse. Dans ces conditions, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que l’attestation fournie par la société CLAZ ne pouvait, alors qu’aucune manœuvre frauduleuse n’est alléguée, être écartée par l’autorité administrative pour considérer que le permis d’aménager tacite obtenu par cette société était illégal et pour procéder, pour ce motif, au retrait de ce permis. »

Ainsi, pour le Conseil d’Etat, la simple déclaration, par la commune propriétaire, de la caducité de la promesse ne constitue pas, par elle-même, une information suffisante faisant apparaître que la société ne disposait d’aucun droit au titre de l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme.

En conséquence, le maire de la commune ne pouvait légalement procéder au retrait du permis tacitement obtenu par la société, lequel était donc légal.

A la lecture des conclusions du rapporteur public Nicolas Polge, on comprend que la Haute Juridiction censure le motif retenu par la CAA puisque la seule introduction d’une action en justice ne peut, par elle-même, établir le caractère sérieux de celle-ci. Pour rappel, il a précédemment été indiqué que l’ « exception » à la réserve du « droit des tiers » n’est possible que si l’autorité compétente dispose « au moment où elle statue, sans avoir à procéder à une instruction lui permettant de les recueillir, d’informations […] faisant apparaître, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse » 7)En outre, et comme l’indique le rapporteur public (Nicolas Polge) sous l’arrêt commenté, la configuration particulière de l’opération « où la personne morale qui vendait le terrain et la personne morale au nom de laquelle il devait être statué sur la demande d’autorisation d’urbanisme se confondaient en la personne de la commune de Norges-la-Ville » a sans doute conduit la commune, puis en première instance, le tribunal administratif de Dijon, dans un débat de fond sur la caducité de la promesse qu’il ne convenait pas d’avoir. que le pétitionnaire ne dispose d’aucun droit à déposer une demande d’autorisation.

Or, la CAA de Lyon avait annulé le jugement en retenant que « dès lors qu’à la date de naissance du permis tacite, la société […] avait engagé une action devant le juge judicaire pour contester la caducité de la promesse de vente […] », elle « ne pouvait être regardée, à la date de naissance du permis tacite, comme ne disposant, sans possibilité de contestation sérieuse, d’aucun droit pour présenter la demande ». Pour le Conseil d’Etat, cette action de la société révélait simplement l’existence d’une contestation, mais n’établissait pas son caractère sérieux.

6          On peut donc en conclure que, hors cas de fraude (laquelle nécessite de démontrer que le pétitionnaire a eu l’intention volontaire de tromper l’administration sur sa qualité pour présente une demande 8)CE 9 octobre 2017 SARL Les Citadines, req. n° 398853 : mentionné aux T. Rec. CE.), seule une remise en cause de la qualité du pétitionnaire, matérialisée par une décision (définitive ?) du juge judiciaire à la date à laquelle l’autorité compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme se prononce, paraît permettre de caractériser le défaut de qualité requise en application de l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme.

Une telle conception a le mérite de clarifier l’interprétation de l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme, souvent invoqué dans le contentieux de l’urbanisme, en replaçant l’essentiel du débat sur la qualité du pétitionnaire dans le domaine du « droit des tiers », qui doit demeurer le principe en la matière. En effet, ce n’est que par exception que l’autorité compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme peut refuser la délivrance d’une telle autorisation, à savoir, s’il est manifeste que le pétitionnaire ne respecte pas les conditions de l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme.

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References   [ + ]

1. CAA Lyon 31 juillet 2018 Société CLAZ, req. n° 16LY03159.
2. En l’espèce, le litige portait sur un permis d’aménager, mais les dispositions de l’article R. 441-1 du code de l’urbanisme renvoient aux dispositions de l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme.

Article R. 441-1 du code de l’urbanisme : « […] La demande comporte également l’attestation du ou des demandeurs qu’ils remplissent les conditions définies à l’article R 423-1 pour déposer une demande de permis ».

Article R. 423-1 du code de l’urbanisme : « Les demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir et les déclarations préalables sont adressées par pli recommandé avec demande d’avis de réception ou déposées à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés : a) Soit par le ou les propriétaires du ou des terrains, leur mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par eux à exécuter les travaux ; b) Soit, en cas d’indivision, par un ou plusieurs co-indivisaires ou leur mandataire ; c) Soit par une personne ayant qualité pour bénéficier de l’expropriation pour cause d’utilité publique».

3. Article R. 431-5 du code de l’urbanisme.
4. Voir par exemple : CE Sect. 23 mars 2015 M. et Mme Loubier, req. n° 348261 : publié au Rec ; BJDU 4/2015, p. 265, concl. Crépey – CE 22 octobre 2018, req. n° 406746 – CE 5 décembre 2018 Syndicat des copropriétaires de l’immeuble du 43 avenue du Maréchal Fayolle, req. n° 410374.
5. CE Sect. 19 juin 2015 Commune de Salbris, req. n° 368667 : publié au Rec. CE ; BJDU 5/2015, p. 321, concl. de Lesquen.
6. Sous la réserve classique de la fraude.
7. En outre, et comme l’indique le rapporteur public (Nicolas Polge) sous l’arrêt commenté, la configuration particulière de l’opération « où la personne morale qui vendait le terrain et la personne morale au nom de laquelle il devait être statué sur la demande d’autorisation d’urbanisme se confondaient en la personne de la commune de Norges-la-Ville » a sans doute conduit la commune, puis en première instance, le tribunal administratif de Dijon, dans un débat de fond sur la caducité de la promesse qu’il ne convenait pas d’avoir.
8. CE 9 octobre 2017 SARL Les Citadines, req. n° 398853 : mentionné aux T. Rec. CE.

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