Jurisprudence « Fougerolles » : acte III : confirmation des conditions pour qu’une cession d’un terrain d’une collectivité publique à un prix inférieur à sa valeur ne soit pas entachée d’illégalité

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

October 2015

Temps de lecture

3 minutes

CE 14 octobre 2015 commune de Châtillon-sur-Seine, req. n° 375577 : publié au Recueil CE

Le Conseil d’Etat précise sa jurisprudence sur la légalité de la cession à une personne privée d’un bien immobilier à une collectivité publique à un prix inférieur à sa valeur.

1. La jurisprudence commune de Fougerolles

Dans sa décision du 26 juin 1986, le Conseil constitutionnel (Cons. Const. 26 juin 1986 Privatisations décision n°86-207 DC, Rec. Cons. Const. p. 61) rappelait qu’une collectivité publique ne pouvait céder un élément de son patrimoine pour un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé.

Et, le Conseil d’Etat dans un arrêt du 3 novembre 1997 a admis la vente au franc symbolique de terrains aux entreprises à la double condition qu’elle soit justifiée par des motifs d’intérêt général et qu’elle comporte des contreparties suffisantes (CE 3 novembre 1997 commune de Fougerolles, req. n° 169473, Rec. CE p. 391).

2. La jurisprudence commune de Mer

Dans son arrêt commune de Mer (CE 25 novembre 2009, n° 310208), la haute juridiction administrative a entendu réaffirmer avec force le principe énoncé dans l’arrêt commune de Fougerolles autorisant une collectivité publique à « céder certaines composantes des patrimoines publics au rabais » (Ph. Yolka « Sur un Lazare contentieux ; l’arrêt Commune de Fougerolles », AJDA 2010 p. 51) et en étendant le bénéfice à des associations œuvrant en faveur de l’intégration de populations d’origine immigrée.

3. L’affaire soumise au Conseil d’Etat

En 2011, le conseil municipal de Châtillon-sur-Seine décidait de céder des parcelles de terrain communal en vue de favoriser la réalisation de logements destinés plus particulièrement aux gens du voyage.

La délibération avait fixé à 5 euros HT le m² le prix de vente des parcelles que le service des domaines avait estimé quelques semaines plus tôt à 30 euros HT.

Deux conseillers municipaux d’opposition décidaient alors de soumettre la délibération à la censure du tribunal administratif de Dijon. Par un jugement du 5 mars 2013, celui-ci annulait l’acte attaqué au motif que l’acte de cession comportait des contreparties insuffisantes de la part de ses bénéficiaires.

Par un arrêt du 19 décembre 2013, la cour administrative de Lyon confirmait la position des premiers juges.

4. La solution de l’arrêt du 14 octobre 2015

Le Conseil d’Etat rappelle, à l’instar des juges du fond, les deux conditions nécessaires pour que la cession par une commune d’un terrain à des particuliers pour un prix inférieur à sa valeur ne soit pas regardée comme portant atteinte au principe selon lequel une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé :

► La cession doit être justifiée par des motifs d’intérêt général ;
► elle doit comporter des contreparties suffisantes ».

Après ce considérant rappelant le principe déjà consacré, la Haute Juridiction présente la démarche que doit suivre les juges du fond pour déterminer si la décision par laquelle une collectivité publique cède à une personne privée un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur est entachée d’illégalité :

    « 3. Considérant que, pour déterminer si la décision par laquelle une collectivité publique cède à une personne privée un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur est, pour ce motif, entachée d’illégalité, il incombe au juge de vérifier si elle est justifiée par des motifs d’intérêt général ; que, si tel est le cas, il lui appartient ensuite d’identifier, au vu des éléments qui lui sont fournis, les contreparties que comporte la cession, c’est-à-dire les avantages que, eu égard à l’ensemble des intérêts publics dont la collectivité cédante a la charge, elle est susceptible de lui procurer, et de s’assurer, en tenant compte de la nature des contreparties et, le cas échéant, des obligations mises à la charge des cessionnaires, de leur effectivité ; qu’il doit, enfin, par une appréciation souveraine, estimer si ces contreparties sont suffisantes pour justifier la différence entre le prix de vente et la valeur du bien cédé ».

Au cas d’espèce, le juge de cassation considère qu’en écartant les motifs avancés par la commune pour justifier la cession, la cour d’appel a commis une erreur de droit.

Or, les avantages en matière d’hygiène et de sécurité publique et la possibilité d’économiser le coût d’aménagement d’une aire d’accueil pour les gens du voyage et le coût d’entretien des terrains irrégulièrement occupés constituaient bien des motifs légitimes pour justifier la délibération litigieuse.

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