Le contrôle du juge du référé précontractuel inclut l’appréciation de la compétence d’une personne publique à l’attribution d’un marché public

Catégorie

Contrats publics

Date

October 2015

Temps de lecture

7 minutes

CE 18 septembre 2015 Association de gestion du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) des Pays de la Loire et autre, req. n° 390041.

Entre désormais dans le cadre du contrôle par le juge du référé précontractuel du respect par un pouvoir adjudicateur de ses obligations de publicité et de mise en concurrence la vérification, dans le cadre de l’appréciation des candidatures, de ce que, lorsque le candidat est une personne publique, l’exécution du contrat entrerait dans le champ de sa compétence et, lorsqu’il s’agit plus précisément d’un établissement public, ne méconnaîtrait pas le principe de spécialité auquel celui-ci est tenu.

    1 Le juge du référé précontractuel ne peut connaître que de certains manquements

Dans le cadre de ce que l’on nomme le référé précontractuel, le président du tribunal administratif, ou son délégué, « peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics » et, dans ce cadre, il peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre ou annuler la passation du marché ou l’exécution de toute décision qui s’y rapporte (article L. 551-1 du code de justice administrative).

Le juge du référé précontractuel ne peut donc être saisi que de critiques portant sur la méconnaissance par un pouvoir adjudicateur de ses obligations de publicité et de mise en concurrence, tout autre moyen étant voué au rejet.

En conséquence, et par exemple, il ne peut se prononcer sur les mérites respectifs des offres, et donc sur les notes attribuées par le pouvoir adjudicateur 1) CE 29 juillet 1998 Syndicat mixte des transports en commun de l’agglomération clermontoise, req. n° 194412 – CE 19 novembre 2004 Commune d’Auxerre, req. n° 266975 : Rec. CE p. 763 ; JCP A, p. 1814, concl. Casas – CE 22 octobre 2014 Société EBM Thermique, req. n° 382495., ni davantage apprécier les mérites des candidatures 2) CE 26 juin 2015 Ville de Paris c/ Sociétés Extérion Média France et Derichebourg SNG, req. n° 389682.. De même qu’il ne vérifie pas, alors qu’il ne peut exercer ses pouvoirs que tant que le contrat n’est pas signé, que les signataires du contrat avaient bien qualité pour signer et donc que la signature du contrat est valide 3) CE 8 février 1999 Société Campenon-Bernard SGE, req. n° 188100 et CE 17 octobre 2007 Société Physical Networks Software, req. n° 300419..

A cet égard, il a été jugé il y a maintenant une quinzaine d’années que le juge du référé précontractuel ne pouvait contrôler le respect par une personne publique de sa compétence, qu’il s’agisse :

    ► de la personne publique attribuant le contrat 4) CE 21 juin 2000 Syndicat intercommunal de la Côte d’Amour et de la presqu’île Guérandaise, req. n° 209319 : Rec. CE p. 283 ; BJCP n° 2000/12, p. 361, concl. Bergeal : relevant que la requérante « ne peut utilement soulever les moyens tirés d’irrégularités qui auraient affecté le vote émis le 24 juin 1998 par le comité syndical […], de l’incompétence du président du comité syndical […] pour dresser la liste des entreprises admises à présenter une offre ni enfin de l’incompétence du président du comité syndical […] pour choisir, au terme de la négociation, le futur cocontractant de ce syndicat »). ;
    ► ou d’une personne publique se portant candidate à son attribution 5) CE 16 octobre 2000 Compagnie méditerranéenne d’exploitation des services d’eau, req. n° 212054 : Rec. CE p. 422 ; BJCP 2001/15, p. 105, concl. Bergeal : jugeant que, s’il lui appartient « de vérifier que l’appréciation portée par la personne responsable de la passation du contrat de délégation de service public envisagé sur les éléments justifiant qu’un candidat soit admis à présenter une offre ne constitue pas un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles elle est soumise, il ne lui revient pas de contrôler le respect, par le candidat à l’obtention d’un marché public ou d’une délégation de service public, de son objet social ou, lorsqu’il s’agit d’un établissement public, du principe de spécialité auquel il est tenu »..

Cette jurisprudence, qui vaut donc également pour la question du respect par un établissement public du principe de spécialité 6)Il résulte du « principe de spécialité des établissements publics, qui doit s’entendre en ce sens qu’un établissement public ne peut se livrer à des activités excédant le cadre des missions qui lui ont été assignées par les textes qui l’ont institué » (CE 3 décembre 1993 Association de sauvegarde du site Alma-Champ de Mars, req. n° 139021), qu’un établissement public ne peut exercer d’activités qui ne présentent pas un lien suffisamment direct avec les compétences qui lui ont été expressément attribuées et excèdent celles-ci (CE 23 octobre 1985 Commune de Blaye-les-Mines, req. n° 46612 : Rec. CE p. 297 : jugeant qu’un syndicat de communes créé en vue d’étudier l’alimentation en eau potable des communes associées méconnaît le cadre de sa mission en exerçant une compétence de distribution d’eau)., est restée constante 7) CE 21 février 2014 Sociétés AD3 et Les Lavandières, req. n° 373096, point 13 : « qu’il n’appartient pas, en tout état de cause, au juge statuant sur le fondement des dispositions de l’article L. 551-1 du code de justice administrative d’examiner les moyens autres que ceux relatifs à des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics ; qu’ainsi, l’association Agir services ne peut utilement soulever les moyens tirés de l’incompétence du signataire du contrat objet du marché ou encore du signataire du courrier du 19 septembre 2013 »..

    2 Le revirement de jurisprudence du 18 septembre 2015

Dans son arrêt du 18 septembre 2015, le Conseil d’Etat revient sur cette jurisprudence en jugeant :

    « qu’il appartient au juge du référé précontractuel, saisi de moyens sur ce point, de s’assurer que l’appréciation portée par le pouvoir adjudicateur pour exclure ou admettre une candidature ne constitue pas un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence ; que, dans ce cadre, lorsque le candidat est une personne morale de droit public, il lui incombe de vérifier que l’exécution du contrat en cause entrerait dans le champ de sa compétence et, s’il s’agit d’un établissement public, ne méconnaîtrait pas le principe de spécialité auquel il est tenu ».

    2.1 La portée du revirement

Ce faisant, le Conseil d’Etat abandonne la jurisprudence Compagnie méditerranéenne d’exploitation des services d’eau, qui était relative à la question du contrôle du respect par la personne publique candidate de sa compétence.

Se pose à cet égard la question de savoir si doit également être regardée comme abandonnée la jurisprudence Syndicat intercommunal de la Côte d’Amour et de la presqu’île Guérandaise, qui portait donc pour sa part sur la question du contrôle du respect par la personne publique attribuant le contrat de sa compétence.

A priori, cette dernière solution ne devrait pas être regardée comme abandonnée puisque, au-delà du silence de l’arrêt du 18 septembre 2015 sur ce point, la justification de l’abandon de la solution de l’arrêt Compagnie méditerranéenne d’exploitation des services d’eau ne saurait la concerner.

En effet, autant il est logique de considérer que le contrôle de la compétence d’une personne publique candidate relève des obligations de mise en concurrence du pouvoir adjudicateur (puisque celui-ci doit écarter, sous le contrôle du juge, les candidats n’ayant pas la capacité technique ou financière pour exécuter le contrat, et il doit pareillement écarter ceux n’étant pas juridiquement compétents pour l’exécuter 8) Etant à cet égard rappelé que la candidature des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics de coopération à l’attribution d’un contrat de commande publique doit répondre à un intérêt public local (CE Ass. 30 décembre 2014 Société Armor SNC, req. n° 355563 : BJCP 2015/99, p. 92, concl. Dacosta).), autant le respect par la personne attribuant le contrat de sa propre compétence ne relève pas de ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Et, du reste, l’arrêt du 18 septembre 2015 commence par rappeler que la sélection des candidatures par le pouvoir adjudicateur doit s’effectuer conformément à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

    2.2 La portée du principe de spécialité des établissements publics

Enfin, et sur un autre point, on relèvera que le Conseil d’Etat en profite également pour rappeler la façon dont le principe de spécialité des établissements publics doit être mis en œuvre.

En effet, le juge du tribunal administratif avait annulé la procédure de passation au motif que l’attributaire était groupement composé de sociétés et de l’association de gestion du Conservatoire national des arts et métiers des Pays de la Loire, en jugeant qu’il n’entrait pas dans la mission de service public d’enseignement et de recherche du Conservatoire national des arts et métiers, établissement public, de délivrer des prestations de conseil juridique en droit de l’urbanisme (l’objet du marché étant la réalisation d’études d’urbanisme en vue de la création d’une ZAC).

Le Conseil d’Etat juge à cet égard :

    « qu’il ressort toutefois des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Rennes que c’est l’association de gestion du Conservatoire national des arts et métiers des Pays de la Loire, personne morale de droit privé, qui était membre du groupement attributaire du marché litigieux et non l’établissement public lui même ; qu’ainsi, le juge des référés, qui s’est fondé sur la méconnaissance, par l’établissement public Conservatoire national des arts et métiers, du principe de spécialité, en se bornant, au surplus, à prendre en compte l’objet statutaire de cet établissement, sans rechercher si les prestations objet du marché constituaient le complément normal de sa mission statutaire et étaient utiles à l’exercice de celle-ci, a commis une erreur de droit ».

Le principe de spécialité des établissements publics ne s’applique en effet qu’auxdits établissements et non à des personnes privées telles que les associations. Mais surtout, pour déterminer si un tel établissement le respecte, il convient non seulement de tenir compte de son objet statutaire mais également de ce que ce principe ne lui interdit pas d’exercer d’autres activités à la double condition qu’elles soient le complément normal de sa mission statutaire et lui soient utiles, le Conseil d’Etat reprenant ici une solution ancienne dégagée dans un avis rendu à propos de la diversification des activités d’EDF-GDF 9) CE, Avis de l’Assemblée générale, 7 juillet 1994, n° 356089 : estimant que le principe de spécialité « ne s’oppose pas par lui-même à ce qu’un établissement public, surtout s’il a un caractère industriel et commercial, se livre à d’autres activités économiques à la double condition : – d’une part que ces activités annexes soient techniquement et commercialement le complément normal de sa mission statutaire principale […] ou du moins connexe à ces activités ; – d’autre part que ces activités soient à la fois d’intérêt général et directement utiles à l’établissement public »..

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References   [ + ]

1. CE 29 juillet 1998 Syndicat mixte des transports en commun de l’agglomération clermontoise, req. n° 194412 – CE 19 novembre 2004 Commune d’Auxerre, req. n° 266975 : Rec. CE p. 763 ; JCP A, p. 1814, concl. Casas – CE 22 octobre 2014 Société EBM Thermique, req. n° 382495.
2. CE 26 juin 2015 Ville de Paris c/ Sociétés Extérion Média France et Derichebourg SNG, req. n° 389682.
3. CE 8 février 1999 Société Campenon-Bernard SGE, req. n° 188100 et CE 17 octobre 2007 Société Physical Networks Software, req. n° 300419.
4. CE 21 juin 2000 Syndicat intercommunal de la Côte d’Amour et de la presqu’île Guérandaise, req. n° 209319 : Rec. CE p. 283 ; BJCP n° 2000/12, p. 361, concl. Bergeal : relevant que la requérante « ne peut utilement soulever les moyens tirés d’irrégularités qui auraient affecté le vote émis le 24 juin 1998 par le comité syndical […], de l’incompétence du président du comité syndical […] pour dresser la liste des entreprises admises à présenter une offre ni enfin de l’incompétence du président du comité syndical […] pour choisir, au terme de la négociation, le futur cocontractant de ce syndicat »).
5. CE 16 octobre 2000 Compagnie méditerranéenne d’exploitation des services d’eau, req. n° 212054 : Rec. CE p. 422 ; BJCP 2001/15, p. 105, concl. Bergeal : jugeant que, s’il lui appartient « de vérifier que l’appréciation portée par la personne responsable de la passation du contrat de délégation de service public envisagé sur les éléments justifiant qu’un candidat soit admis à présenter une offre ne constitue pas un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles elle est soumise, il ne lui revient pas de contrôler le respect, par le candidat à l’obtention d’un marché public ou d’une délégation de service public, de son objet social ou, lorsqu’il s’agit d’un établissement public, du principe de spécialité auquel il est tenu ».
6. Il résulte du « principe de spécialité des établissements publics, qui doit s’entendre en ce sens qu’un établissement public ne peut se livrer à des activités excédant le cadre des missions qui lui ont été assignées par les textes qui l’ont institué » (CE 3 décembre 1993 Association de sauvegarde du site Alma-Champ de Mars, req. n° 139021), qu’un établissement public ne peut exercer d’activités qui ne présentent pas un lien suffisamment direct avec les compétences qui lui ont été expressément attribuées et excèdent celles-ci (CE 23 octobre 1985 Commune de Blaye-les-Mines, req. n° 46612 : Rec. CE p. 297 : jugeant qu’un syndicat de communes créé en vue d’étudier l’alimentation en eau potable des communes associées méconnaît le cadre de sa mission en exerçant une compétence de distribution d’eau).
7. CE 21 février 2014 Sociétés AD3 et Les Lavandières, req. n° 373096, point 13 : « qu’il n’appartient pas, en tout état de cause, au juge statuant sur le fondement des dispositions de l’article L. 551-1 du code de justice administrative d’examiner les moyens autres que ceux relatifs à des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics ; qu’ainsi, l’association Agir services ne peut utilement soulever les moyens tirés de l’incompétence du signataire du contrat objet du marché ou encore du signataire du courrier du 19 septembre 2013 ».
8. Etant à cet égard rappelé que la candidature des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics de coopération à l’attribution d’un contrat de commande publique doit répondre à un intérêt public local (CE Ass. 30 décembre 2014 Société Armor SNC, req. n° 355563 : BJCP 2015/99, p. 92, concl. Dacosta).
9. CE, Avis de l’Assemblée générale, 7 juillet 1994, n° 356089 : estimant que le principe de spécialité « ne s’oppose pas par lui-même à ce qu’un établissement public, surtout s’il a un caractère industriel et commercial, se livre à d’autres activités économiques à la double condition : – d’une part que ces activités annexes soient techniquement et commercialement le complément normal de sa mission statutaire principale […] ou du moins connexe à ces activités ; – d’autre part que ces activités soient à la fois d’intérêt général et directement utiles à l’établissement public ».

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