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CE 30 juin 2025 Mme.B, req. n° 494573 : publié au recueil Lebon
En reprenant le principe énoncé dans son arrêt du 13 mai 2024 1)CE 13 mai 2024 Mme Caire-Tetauru, req. n° 466541 : Publié rec. CE – Commentaire Adden de la décision sous ce lien., selon lequel « la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi », le Conseil d’Etat opère un revirement de jurisprudence majeur en considérant qu’ « il en va de même pour apprécier si un recours administratif, gracieux ou hiérarchique, a pour effet de conserver ce délai ».
Désormais, la date à prendre en compte pour apprécier l’interruption du délai de recours contentieux par un recours administratif non-obligatoire est donc la date d’expédition du recours et non plus celle de sa réception.
1.- L’état du droit antérieur : prise en compte de la date de réception du recours administratif non-obligatoire
Comme le souligne Monsieur le Rapporteur public, Thomas Jacinot, dans des conclusions particulièrement didactiques sous cette affaire, la jurisprudence retenait jusqu’alors que :
- D’une part, seuls les recours administratifs ayant été formés avant l’expiration du délai de recours contentieux entraînent la prorogation du délai de recours 2)CE 23 mars 1945 Sieur Vinciguerra, req. n° 65618 : publié rec. CE ;
- D’autre part, il convient de tenir compte de la date à laquelle le recours administratif facultatif a été reçu par l’administration pour considérer qu’il proroge le délai de recours contentieux 3)CE 27 mars 1991 Préfet de la haute Garonne, req. n° 114854 : publié rec. CE et ce, à la différence d’un recours administratif obligatoire (RAPO) où c’est la date d’expédition qui est prise en compte 4)A ce titre, notons que le Conseil d’Etat (CE 21 mars 2003 Préfet de police, req. n° 240511 : mentionné T.) a refusé de faire application de l’article 16 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations codifié à l’article L. 112-1 du CRPA selon lequel toute personne tenue de respecter une date limite ou un délai pour présenter une demande auprès d’une autorité administrative « peut satisfaire à cette obligation au plus tard à la date prescrite au moyen d’un envoi postal, le cachet de la poste faisant foi ». Le Rapporteur public rappelle dans les conclusions sous l’affaire commentée que ces « dispositions n’ont pas vocation à régir l’exercice des recours administratifs facultatifs, la règle d’envoi du recours servant seulement à permettre de suspendre l’écoulement du délai contentieux et non à frapper d’irrecevabilité le recours gracieux ou hiérarchique »..
A l’issue de cet exposé, le Rapporteur public invite néanmoins le Conseil d’Etat à faire évoluer sa jurisprudence « La décision de section doit-elle conduire à revenir sur votre jurisprudence sur les conditions de prorogation du délai de recours contentieux par l’exercice d’un recours administratif en tenant compte non plus, de la date de réception du recours en mairie, mais de sa date d’envoi par son auteur ? Nous le pensons. »
2.- Une évolution déjà amorcée par les juridictions administratives
La décision commentée s’inscrit dans le cadre d’une évolution jurisprudentielle récemment initiée par les juridictions administratives.
En effet, comme exposé supra, le Conseil d’Etat a retenu dans un arrêt du 13 mai 2024, s’agissant des recours contentieux, que la date à prendre en considération, pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux, est bien la date d’expédition 5)CE 13 mai 2024 Mme Caire-Tetauru, req. n° 466541 : Publié rec. CE – Commentaire Adden de la décision sous ce lien..
Dans le sillage de cette décision, la Cour administrative d’appel de Douai, suivie de la Cour administrative d’appel de Versailles, ont étendu – de manière prétorienne – cette solution aux recours administratif non obligatoire 6)CAA Douai 7 juin 2024, req. n° 23DA00232 7)CAA Versailles 1er juillet 2024, req. n° 21VE03465.
Un éclaircissement par le Conseil d’Etat était donc opportun et attendu.
3.- Un revirement attendu : la date d’expédition comme seule référence
Concernant les faits : deux conseillers municipaux de l’opposition forment, le 10 novembre 2018, un recours gracieux à l’encontre d’une décision en date du 11 septembre 2018 relative à l’approbation de la révision allégée du PLU communal. Le recours gracieux sera réceptionné en Mairie le 13 novembre 2018.
En l’état, si le recours gracieux a été expédié dans le délai de deux mois, il reste qu’il a été réceptionné après l’expiration du délai de recours, délai qui expirait le 12 novembre à minuit.
C’est précisément sur ce point que les juges du fond ont été amenés à se prononcer : Faut-il retenir la date d’expédition ou de réception pour apprécier si un recours gracieux permet l’interruption du délai de recours contentieux ?
A cette question, tant par le tribunal administratif de Toulouse que par la Cour administrative d’appel ont jugé que la requête contentieuse introduite le 27 janvier 2019 était tardive.
En effet, les juridictions du fond ont estimé que le recours gracieux n’ayant pas été reçu dans le délai de deux mois, il n’avait pas eu pour effet de proroger le délai de recours contentieux.
Toutefois, le Conseil d’Etat vient censurer les juges du fond et opère, au sein d’un considérant de principe sans équivoque, un revirement net de la jurisprudence applicable jusqu’alors :
« “Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, telles les dispositions relatives à la contestation des élections politiques ou celles prévoyant des délais exprimés en heures ou expirant à un horaire qu’elles précisent, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi. Il en va de même pour apprécier si un recours administratif, gracieux ou hiérarchique, a pour effet de conserver ce délai” »
Ainsi, la haute cour juge, qu’à l’instar des recours contentieux, des recours administratifs préalables, des réclamations fiscales ou encore des demandes d’aide juridictionnelle, la recevabilité d’un recours administratif facultatif s’apprécie au jour de la date de son envoi.
Il semble opportun de relever que dans ses conclusions, le Rapporteur public identifie deux justifications majeures à ce revirement :
- L’harmonisation entre les règles applicables aux recours contentieux et aux recours administratifs : il n’y avait plus de justification à maintenir deux régimes distincts.
- La sécurité juridique : la solution antérieure créait une incertitude liée aux délais d’acheminement postal, d’autant plus problématique que la notion de « délai normal d’acheminement était imprévisible en jurisprudence et variable selon les zones géographiques et donc source d’insécurité juridique ».
References
1, 5. | ↑ | CE 13 mai 2024 Mme Caire-Tetauru, req. n° 466541 : Publié rec. CE – Commentaire Adden de la décision sous ce lien. |
2. | ↑ | CE 23 mars 1945 Sieur Vinciguerra, req. n° 65618 : publié rec. CE |
3. | ↑ | CE 27 mars 1991 Préfet de la haute Garonne, req. n° 114854 : publié rec. CE |
4. | ↑ | A ce titre, notons que le Conseil d’Etat (CE 21 mars 2003 Préfet de police, req. n° 240511 : mentionné T.) a refusé de faire application de l’article 16 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations codifié à l’article L. 112-1 du CRPA selon lequel toute personne tenue de respecter une date limite ou un délai pour présenter une demande auprès d’une autorité administrative « peut satisfaire à cette obligation au plus tard à la date prescrite au moyen d’un envoi postal, le cachet de la poste faisant foi ». Le Rapporteur public rappelle dans les conclusions sous l’affaire commentée que ces « dispositions n’ont pas vocation à régir l’exercice des recours administratifs facultatifs, la règle d’envoi du recours servant seulement à permettre de suspendre l’écoulement du délai contentieux et non à frapper d’irrecevabilité le recours gracieux ou hiérarchique ». |
6. | ↑ | CAA Douai 7 juin 2024, req. n° 23DA00232 |
7. | ↑ | CAA Versailles 1er juillet 2024, req. n° 21VE03465 |