VEFA ou marché public de travaux : les conditions de requalification de nouveau précisées

Catégorie

Contrats publics

Date

October 2025

Temps de lecture

5 minutes

CAA Lyon 18 septembre 2025 OPH Deux fleuves Rhône Habitat, req. n° 23LY02923

Dans cette affaire, l’OPH Deux Fleuves Rhône Habitat a conclu un contrat de vente en l’état futur d’achèvement (VEFA), par acte notarié du 8 août 2018, avec la société Paul Kruger en vue de la construction de son futur siège et d’une agence. Les parties ‘’siège’’ et ‘’agence’’ ont toutes deux été réceptionnées avec de nombreuses réserves. Constatant que les réserves n’avaient pas été levées dans le délai de 2 mois à compter de la livraison, l’OPH Deux Fleuves Rhône Habitat a considéré qu’il était en droit de réclamer la pénalité de 3% prévue en pareil cas et a ainsi adressé une facture que la société a contestée devant le tribunal administratif de Lyon. Par des conclusions reconventionnelles, l’OPH a, lui, demandé au tribunal de condamner la société à lui verser cette somme.

Par un jugement du 13 juillet 2023, le tribunal administratif a rejeté les conclusions des deux parties comme étant portées devant une juridiction incompétente pour en connaître. En effet, les premiers juges ont rappelé qu’un contrat de VEFA conclu par une personne publique ou une personne chargée d’une mission de service public peut, à titre exceptionnel, être qualifié de contrat administratif lorsqu’il « a pour objet la construction même pour le compte de cette personne d’un immeuble entièrement destiné à devenir sa propriété et conçu en fonction de ses besoins propres ».

En l’espèce, le tribunal a estimé que le contrat VEFA sur la base duquel ont été infligées les pénalités en litige ne portait que sur l’acquisition d’une partie d’un bien immobilier par l’office et que le reste était destiné à être vendu à des tiers privés. En l’absence de clause exorbitante de droit commun, il a conclu que le contrat de VEFA était un contrat de droit privé, dont le contentieux de l’exécution relève de la compétence du juge judiciaire 1)TA Lyon 13 juillet 2023 Société Paul Kruger, req. n° 2007833. L’OPH a interjeté appel de ce jugement.

La question centrale posée à la cour était la suivante : dans l’hypothèse d’une requalification d’une VEFA en marché public de travaux, que signifie « exercer une influence déterminante sur la conception de l’ouvrage » pour la personne publique ?

A titre liminaire, rappelons que la VEFA est définie à l’article 1601-3 du code civil comme « le contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à l’acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes. Les ouvrages à venir deviennent la propriété de l’acquéreur au fur et à mesure de leur exécution ; l’acquéreur est tenu d’en payer le prix à mesure de l’avancement des travaux ». Il s’agit donc d’un contrat spécial dans lequel l’acheteur n’exerce aucune des responsabilités du maître de l’ouvrage. Il échappe, en principe, aux règles de passation et au régime d’exécution des marchés de travaux publics 2)L. 2512-5 du code de la commande publique ; CE sect. 8 février 1991 Région Midi-Pyrénées, req. n°57679.

Quelle a été la réponse de la cour ? Après avoir rappelé les dispositions des articles 3, 4 et 5 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics alors applicables et notamment repris aux articles L. 1111-1 et L. 1111-2 du code de la commande publique relatifs à la définition d’un marché public de travaux, elle précise qu’un contrat par lequel un pouvoir adjudicateur acquiert des biens immobiliers devant faire l’objet de travaux à la charge de son cocontractant est un marché de travaux lorsque les stipulations de ce contrat confèrent à l’acheteur la faculté d’exercer une influence déterminante sur la conception des ouvrages. Faisant application du cadre d’analyse posé par la Cour de justice de l’Union Européenne 3)CJUE 10 juillet 2014 Impresa Pizzarotti, aff. C-213/13, §44 et CJUE 22 avril 2021 Commission c/ Autriche, aff. C-537/19 not. §49 à 53 et précisé par le Conseil d’État 4)CE 3 avril 2024 SCI Victor Hugo 21, req. n° 472476, publiée au Recueil Lebon, elle rappelle que la personne publique exerce une influence déterminante sur la conception de l’ouvrage « lorsque cette influence s’exerce sur l’architecture du bâtiment, sa dimension, ses murs extérieurs et ses murs porteurs, tandis que les demandes de l’acheteur concernant les aménagements ne peuvent être considérées comme démontrant une influence déterminante que si elles se distinguent en raison de leur spécificité ou leur ampleur ».

Au cas présent, les juges d’appel relèvent que :

  • l’acheteur a défini précisément ses besoins (capacité des bâtiments et leurs caractéristiques) dans le programme technique annexé au règlement de la consultation
  • des représentants de l’acheteur ont été désignés pour suivre l’exécution des travaux, en collaboration avec le promoteur
  • la charte d’engagement prévoyait que « l’OPAC du Rhône, en tant qu’acquéreur de son futur siège et de son agence locative, entend exercer un suivi de l’opération à chacune de ses phrases pour formuler des avis susceptibles de s’assurer d’une parfaite conformité du projet au regard du programme, de la notice descriptive ainsi que des engagements du titulaires »

La Cour déduit de l’ensemble de ces éléments l’influence déterminante qu’a eu l’OPH Deux Fleuves Rhône Habitat sur la conception de l’ouvrage. Bien que signé par acte notarié sous la forme d’un contrat de VEFA, le contrat en litige revêt donc un caractère administratif. Partant, les litiges nés de son exécution relèvent de la compétence du juge administratif.

En conséquence, la Cour juge que l’OPH est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Lyon s’est estimé incompétent et à demander l’annulation du jugement attaqué.

Par la voie de l’évocation, la Cour condamne la société défenderesse à verser à l’OPH Deux Fleuves Rhône Habitat la somme de 419 328 euros, augmentés des intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 2023.

Cet arrêt illustre une nouvelle fois l’analyse in concreto auxquels se livrent les juridictions pour déterminer si une VEFA doit être requalifiée en marché public et dès lors, la prudence qui doit être celle des personnes publiques (dans la rédaction des documents techniques) lorsqu’elles décident de recourir à une VEFA.

Pour une autre illustration du caractère in concreto et poussé de ce contrôle, on peut se rappeler que la cour administrative d’appel de Nancy avait, au contraire, jugé que le contrat par lequel le futur siège de Metz Métropole avait été réalisé et acquis était bien une VEFA (échappant à une requalification en marché public de travaux) dès lors que l’ensemble immobilier sur lequel il portait n’avait pas été conçu à l’initiative de la métropole messine, ni en fonction de ses besoins propres et que celle-ci n’avait exercé aucune influence sur la nature ou la conception de l’ensemble immobilier. La Cour nancéenne avait en outre relevé que le permis de construire avait été accordé au constructeur plusieurs mois avant que la communauté d’agglomération ne commence à échanger avec le promoteur, que la métropole avait examiné diverses pistes pour la construction de son siège, que les aménagements de bureaux et de décloisonnement ne présentaient pas de caractéristiques particulières qui auraient eu pour objet de répondre aux besoins de la Metz Métropole et que cette dernière avait d’ailleurs dû procéder ultérieurement à des aménagements spécifiques du bâtiment dans le cadre de marchés publics de travaux et de maîtrise d’œuvre 5)CAA Nancy 15 avril 2021 Metz Métropole, req. n° 19NC02073.

 

 

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1. TA Lyon 13 juillet 2023 Société Paul Kruger, req. n° 2007833
2. L. 2512-5 du code de la commande publique ; CE sect. 8 février 1991 Région Midi-Pyrénées, req. n°57679
3. CJUE 10 juillet 2014 Impresa Pizzarotti, aff. C-213/13, §44 et CJUE 22 avril 2021 Commission c/ Autriche, aff. C-537/19 not. §49 à 53
4. CE 3 avril 2024 SCI Victor Hugo 21, req. n° 472476, publiée au Recueil Lebon
5. CAA Nancy 15 avril 2021 Metz Métropole, req. n° 19NC02073

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