Une régularisation (encore) facilitée du permis de construire en cours d’instance par l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme

Catégorie

Environnement, Urbanisme et aménagement

Date

March 2022

Temps de lecture

4 minutes

CE 16 février 2022 Société MSE la Tombelle, req. n° 420554 : publié au recueil Lebon

Par cette décision du 16 février 2022, le Conseil d’Etat considère que la notification d’une mesure de régularisation après le délai d’expiration du délai imparti dans la décision avant-dire droit n’empêche pas le juge de la prendre en compte. Les requérants peuvent contester cette mesure de régularisation, dans le cadre de l’instance en cours, sans condition de délai.

Le préfet de la région Auvergne a délivré par des arrêtés du 12 janvier 2012 huit permis de construire à la société MSE La Tombelle pour l’implantation de six éoliennes et deux postes de livraison dans l’Allier. Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté le recours pour excès de pouvoir formé par l’association « Eoliennes s’en nait trop » tendant à l’annulation de ces arrêtés.

S’en suit alors une longue série de décisions qui aboutissent à une décision avant-dire droit du Conseil d’Etat en date du 27 mai 2019 1)CE 27 mai 2019, req. n° 420554 ; voir notre article sur le blog aux termes de laquelle la Haute juridiction décide, sur le fondement des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, de surseoir à statuer sur la requête présentée par l’association requérante et de fixer un délai de trois mois à six mois en cas d’enquête publique pour permettre la régularisation du vice de procédure entachant les arrêtés attaqués à savoir l’avis irrégulier de l’autorité environnementale.

En application de cette décision, des mesures de régularisation ont effectivement été prises par le préfet de l’Allier qui, le 23 juin 2021, a accordé à la société MSE la Tombelle les permis de construire régularisant les permis initiaux, soit tout de même près de deux ans après la notification de la décision avant-dire droit du Conseil d’Etat et donc bien au-delà du délai de trois ou six mois accordé.

Face à ce dépassement évident du délai initialement imparti, l’association « Eoliennes s’en naît trop » a demandé au Conseil d’Etat d’annuler ces mesures de régularisation.

Pour rappel, les dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme insérées par l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013, permettent au juge administratif saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager de surseoir à statuer lorsqu’il constate que l’autorisation est entachée d’un vice susceptible d’être régularisé par une mesure de régularisation.

Au moment de prononcer un tel sursis, le juge doit conformément à la lettre de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, fixer, dans son jugement avant-dire droit, un délai aux parties pour procéder à cette régularisation.

Mais quelles conséquences si les mesures de régularisation interviennent postérieurement au délai fixé par le juge ?

La Haute juridiction tranche cette question nouvelle suivant une interprétation délibérément ouverte de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme en affirmant que pour l’appréciation de la légalité du permis attaqué, le juge administratif peut tenir compte des mesures de régularisation intervenues même postérieurement à l’expiration du délai accordé dans le jugement avant-dire droit.

En revanche, la Haute juridiction précise également que passé le délai fixé par la décision avant-dire droit, le juge peut à tout moment statuer sur la demande d’annulation de ce permis et, le cas échéant, y faire droit si aucune mesure de régularisation ne lui a été notifiée

En adoptant cette position, le Conseil d’Etat suit les conclusions de son rapporteur public 2)Les conclusions du rapporteur public. , M. Stéphane Hoynck lequel a considéré que l’instauration d’un « délai couperet » n’aurait pas de sens dès lors que: « il serait paradoxal de placer un écran de plexiglas entre le juge qui n’a pas encore statué et la régularisation qui est à portée de jugement, en lui opposant le délai de régularisation qu’il a fixé ».

Le rapporteur public renvoyait sur ce point directement aux travaux de la commission Maugüe préfigurant la loi ELAN n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 qui soulignait la nécessité des techniques de régularisation afin de « donner une chance supplémentaire au pétitionnaire de réaliser son projet sans aucune annulation contentieuse ». Il constate par ailleurs qu’une telle solution est déjà mise en œuvre par certaines juridictions du fond 3)CAA Bordeaux 15 novembre 2018, H.., req. n° 16BX03080 « sans que cela ne conduise à des désordres contentieux ».

Parallèlement, la Haute juridiction se prononce sur une autre question délicate à savoir les conditions de délai dans lesquelles les mesures de régularisation peuvent être contestées, étant rappelé qu’en application de l’article L. 600-5-2 du code de l’urbanisme lorsqu’une mesure de régularisation intervient au cours d’une instance portant sur un recours dirigé contre le permis de construire initialement délivré et que cette mesure de régularisation a été communiquée aux parties à cette instance, la légalité de l’acte de régularisation ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance 4)CE 5 février 2021, M. et Mme Boissery, req. n° 430990.

Le Conseil d’Etat tranche en faveur des requérants en estimant que ces derniers sont fondés « à contester la légalité de la mesure de régularisation produite dans le cadre de cette instance, tant que le juge n’a pas statué au fond, sans condition de délai ».

Il suit là encore son rapporteur public qui mettait en avant le souci de simplification et d’efficacité ainsi que le risque limité, en l’absence de délai, de prolongation excessive du contentieux, « le requérant prenant le risque que l’affaire soit audiencée malgré tout s’il tarde trop à critiquer la mesure de régularisation » 5)Les conclusions du rapporteur public..

Par cette décision, le Conseil d’Etat poursuit donc sa construction jurisprudentielle sur l’interprétation à donner aux procédures de régularisation suivant un objectif évident d’admettre largement ces procédés et ainsi de limiter les annulations contentieuses 6)Voir encore sa position récente admettant que le juge administratif peut surseoir à statuer sur une demande d’annulation d’un permis de construire afin d’en permettre la régularisation puis, par un second jugement, annuler partiellement la seconde autorisation délivrée en exécution du premier jugement, laissant ainsi la possibilité au titulaire de solliciter une nouvelle régularisation : CE 17 mars 2021 Mme V, req. n° 436073 ; voir notre article sur le blog.

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References   [ + ]

1. CE 27 mai 2019, req. n° 420554 ; voir notre article sur le blog
2. Les conclusions du rapporteur public.
3. CAA Bordeaux 15 novembre 2018, H.., req. n° 16BX03080
4. CE 5 février 2021, M. et Mme Boissery, req. n° 430990
5. Les conclusions du rapporteur public.
6. Voir encore sa position récente admettant que le juge administratif peut surseoir à statuer sur une demande d’annulation d’un permis de construire afin d’en permettre la régularisation puis, par un second jugement, annuler partiellement la seconde autorisation délivrée en exécution du premier jugement, laissant ainsi la possibilité au titulaire de solliciter une nouvelle régularisation : CE 17 mars 2021 Mme V, req. n° 436073 ; voir notre article sur le blog

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