Alignement du champ d’application du permis modificatif sur celui du permis de régularisation et précision sur la notion « d’affaire en l’état d’être jugée », une décision riche en nouveautés

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

September 2022

Temps de lecture

4 minutes

CE 26 juillet 2022, Mme D., req. n°437765, Rec. CE

Par une décision de section remarquée le Conseil d’Etat vient, d’une part, d’élargir le champ d’application du permis de construire modificatif (1.) et, d’autre part, d’apporter d’utiles précisions sur la notion « d’affaire en état d’être jugée » (2.)

1.  Alignement du champ d’application du permis modificatif sur celui du permis de régularisation :  les modifications apportées à un projet initialement autorisé ne doivent pas le bouleverser au point d’en changer la nature même

: Le Conseil d’Etat vient « revisiter la définition du champ matériel du permis de construire modificatif » 1)Conclusion de Monsieur Nicolas Agnoux, rapporteur public sous l’affaire commentée. en considérant que :

« L’autorité compétente, saisie d’une demande en ce sens, peut délivrer au titulaire d’un permis de construire en cours de validité un permis modificatif, tant que la construction que ce permis autorise n’est pas achevée, dès lors que les modifications envisagées n’apportent pas à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même. »

Pour rappel, en 1982, dans sa décision LeRoy, 2)CE Sect. 26 juillet 1982 Le Roy, req. n°23604, Rec. CE. le Conseil d’Etat avait posé la règle selon laquelle un permis de construire modificatif ne pouvait être sollicité et délivré que si les modifications envisagées étaient sans influence sur la conception générale du projet initial.

Des décisions qui ont suivi, il a pu être observé une tendance à l’interprétation restrictive par la juridiction administrative du champ matériel du permis de construire modificatif.

Le critère de la distinction entre permis de construire (PC) et permis de construire modificatif (PCM) a notamment basculé de celui de l’absence « d’influence sur la conception générale du projet » vers celui de l’absence « d’atteinte à l’économie générale du projet », l’important étant alors que les modifications demeurent mineures et limitées (voir notamment en ce sens les conclusions du Commissaire du gouvernement Arrighi de Casanova sous la décision CE 27 avril 1994 M et Mme Bouchy, req. n°128478 ou CE 20 avril 2005 Ville de Lille, req. n°278186-278187).

En 2013 encore, le Conseil d’Etat exigeait le « caractère limité des modifications apportées [par le PCM] au projet initial » 3)CE 4 octobre 2013, req. n°358401, Mentionné aux Tables du Rec. CE..

Toutefois, en 2015, par sa décision Commune de Toulouse, le Conseil d’Etat a opéré un premier  basculement en revenant à l’épure de sa décision LeRoy en ne faisant plus référence  à l’absence d’atteinte portée à l’économie générale du projet initialement autorisé  mais en considérant que le critère déterminant de distinction entre permis de construire modificatif et nouveau permis de construire devait résider dans la seule atteinte portée à la conception générale du projet, cette atteinte étant appréciée de façon plus large au regard de plusieurs indices, parmi lesquels l’implantation, les dimensions ou l’aspect extérieur du projet 4)CE 1er octobre 2015 Commune de Toulouse, req. n° 374338, Rec. CE..

Par la décision commentée le Conseil d’Etat abandonne le critère de « l’atteinte à la conception générale du projet » pour celui du « changement de nature ».

Ainsi, désormais, le recours au permis de construire modificatif est possible si :

  • le permis de construire initial est en cours de validité,
  • les constructions ne sont pas achevées,
  • les modifications projetées ne rompent pas le lien avec le projet tel qu’il a été autorisé par le permis initial, lequel conserve alors sa « nature ».

La possibilité de recourir à un permis de construire modificatif est donc considérablement élargie, l’important étant de conserver la « nature » du projet autorisé par le permis de construire initial.

Par cet arrêt le Conseil d’Etat fait écho à sa position développée précédemment s’agissant des mesures de régularisation du permis de construire.

Pour rappel, dans un avis du 2 octobre 2020 5)CE Sect. Avis 2 octobre 2020, req. n°438318, Rec. CE., la section du Conseil d’Etat a considéré que l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme permet de régulariser un permis de construire faisant l’objet d’un recours contentieux, via la délivrance d’un nouveau permis de construire portant atteinte à l’économie générale du projet, sous réserve que la nature de ce dernier ne soit pas bouleversée.

Les conclusions de M. Fuchs, rapporteur public sous l’affaire ayant donné lieu à l’avis susvisé, apportent d’utiles précisions sur la façon d’apprécier cette nouvelle grille de lecture.

Il propose ainsi notamment de « (…) prendre en compte plusieurs indices relatifs au projet, notamment sa destination, ses dimensions, son implantation ou encore les caractéristiques principales de son insertion dans l’environnement. L’important est que les modifications qui devraient être apportées à ces éléments soient telles qu’elles conduisent à rompre le lien avec le permis initial ».

A titre d’illustrations (reprises des conclusions du rapporteur public précitées), il y aurait donc rupture du lien en présence de modifications qui conduiraient :

  • A passer d’un projet de plusieurs immeubles collectifs à une villa individuelle,
  • A créer un magasin de meuble à la place d’un poulailler industriel,
  • A créer une maison moderne d’architecte de type « Frank Lloyd Wright » au lieu d’un chalet montagnard.

La possibilité de recourir à un PCM est donc considérablement élargie, l’important étant de conserver la « nature » du projet autorisé par le PC initial.

2.  Une affaire en l’état d’être jugée au sens de l’article R. 611-11-1 du code de justice administrative

Le second apport de cette décision repose sur la clarification de la notion « d’affaire en l’état d’être jugée » permettant à la juridiction de fixer une date à partir de laquelle l’instruction est susceptible d’être close à tout moment.

L’article R. 611-11-1 du code de justice administrative dispose en effet que :

« Lorsque l’affaire est en état d’être jugée, les parties peuvent être informées de la date ou de la période à laquelle il est envisagé de l’appeler à l’audience. Cette information précise alors la date à partir de laquelle l’instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l’article R. 613-1 et le dernier alinéa de l’article R. 613-2. Elle ne tient pas lieu de l’avertissement prévu à l’article R. 711-2. »

Pour les juges du Palais Royal, une affaire en l’état d’être jugée n’est pas conditionnée par la production d’un mémoire en défense.

C’est d’ailleurs ce qui avait été jugé dans une décision d’assemblée de 1987 en considérant que lorsque le défenseur n’a pas produit de mémoire en défense, la juridiction, si elle estime l’affaire en l’état, peut statuer sans être tenue de mettre en demeure ce dernier de présenter ses observations en défense 6)CE Ass. 8 avril 1987 Ministre de la santé c/ G, req. n°45172, Rec. CE..

Le Conseil d’Etat étend donc cette solution à la procédure de clôture d’instruction à effet immédiat.

Autrement dit, la juridiction pourra faire application des dispositions de l’article R. 611-11-1 du code de justice administrative lorsqu’elle estime l’affaire en l’état d’être jugée et ce, quand bien même la partie en défense n’aurait pas produit de mémoire, que celle-ci ait été mise en demeure de le faire ou non.

Enfin, le Conseil d’Etat précise que la faculté de clôture d’instruction à effet immédiat n’est possible :

  • « qu’à compter de la date fixée dans la lettre d’information
  • et une fois expiré chacun des délais laissés aux parties pour produire un mémoire ou répliquer aux mémoires communiqués. ».

 

 

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References   [ + ]

1. Conclusion de Monsieur Nicolas Agnoux, rapporteur public sous l’affaire commentée.
2. CE Sect. 26 juillet 1982 Le Roy, req. n°23604, Rec. CE.
3. CE 4 octobre 2013, req. n°358401, Mentionné aux Tables du Rec. CE.
4. CE 1er octobre 2015 Commune de Toulouse, req. n° 374338, Rec. CE.
5. CE Sect. Avis 2 octobre 2020, req. n°438318, Rec. CE.
6. CE Ass. 8 avril 1987 Ministre de la santé c/ G, req. n°45172, Rec. CE.

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