Commentaires sur les réseaux sociaux par un élu membre de la commission d’attribution d’une DSP : quid de l’impartialité ?

Catégorie

Contrats publics

Date

September 2024

Temps de lecture

3 minutes

CE 24 juillet 2024 Commune de Sevran, req. n° 491268 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Par sa décision Commune de Sevran rendue le 24 juillet dernier, les 7ème et 2ème chambres réunies du Conseil d’Etat ont apporté des précisions utiles sur les règles d’appréciation du principe d’impartialité, dont la méconnaissance, rappelons-le, est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence 1)CE 14 octobre 2015 Société Applicam Région Nord-Pas-de-Calais, req. n° 360968 391105.

Les faits de cette affaire sont particulièrement intéressants puisqu’ils s’inscrivent dans le contexte de l’utilisation des réseaux sociaux par les élus locaux dans le cadre de la passation d’un contrat de la commande publique.

En l’espèce, la commune de Sevran a lancé une procédure ouverte pour la conclusion d’une délégation de service public ayant pour objet la gestion du marché forain de la ville pour une durée de soixante mois.

Deux candidatures et offres ont finalement été régulièrement déposées, dont celle de la société SOMAREP, délégataire sortant. Toutefois, son offre n’a pas été retenue, la commune préférant attribuer la délégation de service à son concurrent.

Au cours de procédure de passation dudit contrat, un conseiller municipal, président délégué de la commission de délégation de service public, à la suite d’un message d’un internaute publié sur le réseau social « Facebook » a déclaré en commentaire que « Ce marché est mal géré. C’est dommage car il est très fréquenté. Et les incivilités font fuir les clients du centre-ville. Le bail de concessionnaire du marché doit être renouvelé en janvier prochain, c’est l’occasion de la réformer pour qu’il soit plus diversifié et qu’on y trouve plus de commerces de qualité ».

La société évincée a alors saisi le juge du référé précontractuel de Montreuil, lequel a annulé la procédure estimant que ce commentaire constituait une atteinte à l’impartialité de l’autorité concédante 2)TA Montreuil ord 12 janvier 2024 Société SOMAREP, req. n  2315368. La commune de Sevran a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.

Contrairement au juge du référé précontractuel qui avait notamment retenu que les propos tenus par l’élu étaient librement accessibles, qu’ils étaient en lien direct avec la procédure de renouvellement de la concession et visaient directement la société évincée, le Conseil d’Etat rejette l’existence de toute atteinte au principe d’impartialité. Il juge que :

« la modération des propos et le contexte de cette publication ne révélant ni parti pris ni animosité personnelle à l’encontre du délégataire sortant, ce commentaire ne constitue pas une atteinte à l’impartialité de l’autorité concédante ».

Deux points méritent d’être précisés :

(i) La modération des propos comme critère de qualification de l’atteinte à l’impartialité

Cette position ressort explicitement des conclusions du rapporteur public, Nicolas Labrune 3)Conclusions du rapporteur public Nicolas Labrune, sous CE 7ème et 2ème chambre réunies 24 juillet 2024 Commune de Sevran, req.n° 491268, qui, s’inspirant de la jurisprudence casuistique en la matière, n’a pas considéré que ce commentaire révélait des éléments objectifs susceptibles de créer un doute sur l’impartialité de l’élu. La haute juridiction suit donc les conclusions du rapporteur public qui relève notamment « l’absence d’intérêt personnel ou de lien avec l’entreprise intéressé » et le caractère « fort modérés » des propos faisant plutôt état d’un constat objectif des problèmes qui affectent la gestion de ce contrat, plutôt qu’une attaque dirigée contre le délégataire sortant.

(ii) La prise en compte du contexte écartant l’atteinte au principe d’impartialité

Le Conseil d’Etat considère également que le contexte des propos tenus n’a pas eu pour effet de caractériser une atteinte au principe d’impartialité, à la différence du juge des référés précontractuels qui a considéré que la qualité de l’élu, notamment sa fonction de membre de la commission de délégation des services public, avait pu avoir une influence sur la partialité de la commission.

Au-delà, il résulte de cette appréciation, que si un acheteur public est libre d’exprimer son opinion au regard de la volonté d’entreprendre une réforme du service ou de procéder à des améliorations concernant les difficultés identifiées, son absence d’impartialité se déduira du caractère raisonnable et circonstancié des opinions et/ou critiques qu’il a formulées.

Pour ces raisons, considérant que le tribunal administratif de Montreuil avait inexactement qualifié les faits, la 7ème et 2ème chambre réunies ont prononcé l’annulation de l’ordonnance.

Pour le reste, le Conseil d’Etat, réglant l’affaire au titre de la procédure de référé engagée, se contente de faire application de ses jurisprudences constantes, en considérant que :

  • l’omission de la valeur estimée du contrat n’est pas susceptible d’avoir lésé la requérante dans les conditions de la jurisprudence Smirgeomes 4)CE 3 octobre 2008 SMIRGEOMES, req. n° 305420
  • aucun texte n’impose aux acheteurs de reproduire dans le règlement de la consultation des dispositions du code de la commande publique 5)CE 18 février 2022 Société Philip Frère, req. n° 457578
  • il n’appartient pas au juge du référé précontractuel de se prononcer sur l’appréciation portée sur la valeur ou les mérites respectifs des offres
  • une méthode de notation n’est entachée d’irrégularité que si les éléments d’appréciation pris en compte pour évaluer les offres sont dépourvus de tout lien avec les critères, or, la société requérante n’établit pas que cette méthode serait irrégulière 6)CE 3 novembre 2014 Commune de Belleville-sur-Loire, req. n° 373362.

Aussi, ces demandes sont rejetées.

 

 

 

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