Confirmation qu’il existe une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) à autoriser une mine de lithium et précisions sur le régime des décrets reconnaissant les projets d’intérêt national majeur (PINM)

Catégorie

Droit administratif général, Environnement

Date

October 2025

Temps de lecture

3 minutes

CE 30 septembre 2025 Association Préservons la forêt des Colettes et autres, req n° 497567, publié au recueil Lebon

Le Conseil d’État a rendu le 30 septembre 2025 une décision relative à la légalité du décret du 5 juillet 2024 qualifiant le projet minier de lithium de Beauvoir dans l’Allier de projet d’intérêt national majeur (PINM) et confirme qu’il répond à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM).

Saisi par plusieurs associations de protection de l’environnement, le Conseil d’État devait examiner la légalité du décret du 5 juillet 2024 précité en analysant sa nature juridique, sa procédure, ainsi que sa conformité au droit interne et au droit de l’Union européenne.

(i)    Sur la légalité externe du décret

S’agissant de sa légalité externe, les requérants soutenaient que le décret constituait une décision individuelle dérogeant à des règles générales et devait donc être motivé conformément à l’article L. 211-3 du code des relations entre le public et l’administration. Le Conseil d’État rejette cet argument : le décret n’a pas pour objet d’accorder une dérogation mais se limite à reconnaître, pour un projet déterminé, un caractère d’intérêt national majeur et une RIIPM, sans constituer une décision individuelle soumise à obligation de motivation.

L’arrêt ne suit pas les conclusions de rapporteur public Nicolas Agnoux qui considérait que la reconnaissance anticipée d’une RIIPM devançait l’éventuel débat contentieux autour de l’une des conditions d’octroi d’une dérogation « espèces protégées » et qu’ainsi « le décret port[ait] en lui l’une des dimensions de la décision individuelle à venir » 1)Conclusions Nicolas Agnoux. Les conclusions n’appelaient pour autant pas à censurer le décret dans la mesure où il comportait, selon le rapporteur public, une motivation suffisante.

Ensuite, les associations soutenaient que le décret devait être considéré comme un plan ou programme soumis à évaluation environnementale au sens de la directive européenne n° 2001/42/CE du 27 juin 2001. Là encore, le Conseil d’État écarte le moyen : le décret ne fixe pas de cadre général et n’établit pas un ensemble significatif de critères et de modalités au respect desquels serait subordonnée l’autorisation d’un ou de plusieurs projets. Il ne fait que qualifier le projet de PINM et reconnaître l’existence d’une RIIPM si bien que son adoption n’avait pas à être précédée d’une évaluation environnementale.

De plus, le décret n’a pas, par lui-même, pour objet ou pour effet de dispenser, le cas échéant, les travaux et opérations susceptibles d’être réalisés par la suite de l’obligation d’être soumis à une évaluation environnementale ou à une procédure de participation du public. Il n’est donc susceptible d’avoir une incidence directe et significative sur l’environnement et n’est, à ce titre, pas non plus soumis à l’obligation de participation du public prévue par l’article L. 123-19-2 du code de l’environnement.

(ii)    Sur la légalité interne du décret

S’agissant de sa légalité interne, le Conseil d’État commence par rejeter rapidement le moyen, invoqué par voie d’exception, fondé sur la méconnaissance des droits et libertés garantis par la Constitution par les dispositions de l’article L. 411-2-1 du code de l’environnement – qui établit les régimes des PINM et des RIIPM – le Conseil constitutionnel les ayant récemment jugées conformes 2)CC 5 mars 2025 Association Préservons la forêt des Colettes et autres, req. n° 2024-1126 QPC.

De plus, les requérants contestaient la compatibilité du dispositif avec la directive européenne n° 92/43/CEE du 21 mai 1992 dite « Habitats », qui réglemente les dérogations « espèces protégées ». Or, ces dérogations peuvent être octroyées si elles répondent à différentes conditions visées à l’article L. 411-2 I. 4° du code de l’environnement parmi lesquelles figurent l’existence d’une RIIPM.

A ce titre, le Conseil d’État rejette le moyen et rappelle que si l’article L. 411-2-1 du code de l’environnement permet au Premier ministre de reconnaître la qualité de RIIPM par l’intervention d’un décret donnant à un projet le caractère de PINM, les autorités compétentes ne sont pas dispensées de vérifier les autres conditions prévues à l’article L. 411-2 du code de l’environnement pour la délivrance d’une dérogation. Le décret ne vaut donc pas autorisation et n’engage pas la délivrance future de dérogations.

Enfin, le Conseil d’État examine le bien-fondé de la reconnaissance de la RIIPM. Il souligne que le projet concerne l’exploitation d’un gisement de lithium identifié comme le principal en France par l’atlas du bureau de recherches géologiques et minières et vise à produire environ 34 000 tonnes de ce minerai pendant vingt-cinq ans, permettant notamment « de réduire les importations depuis des pays tiers et à développer la fabrication de batteries électriques ». De plus, le projet figure parmi les projets stratégiques retenus par l’Union européenne dans le cadre du règlement européen n° 2024/1252 sur les matières premières critiques. Dans ce contexte, la Haute juridiction estime que le Premier ministre pouvait légalement considérer que le projet répondait à une RIIPM.

L’arrêt suit, sur ce point, les conclusions du rapporteur public susvisées qui jugent que « ce projet contribue significativement à la souveraineté industrielle de la France et aux stratégies de transition écologique » et « répond donc, […] à une raison impérative d’intérêt public d’ordre économique et, de façon plus indirecte, environnemental » 3)Conclusions Nicolas Agnoux.

Tous les moyens invoqués par les requérants sont donc rejetés. Par cette décision, le Conseil d’État précise le régime des PINM et des RIIPM et crée un précédent jurisprudentiel majeur pour les futurs projets souhaitant se prévaloir de ces régimes, justifiant ainsi sa publication au Recueil.

 

 

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References   [ + ]

1, 3. Conclusions Nicolas Agnoux
2. CC 5 mars 2025 Association Préservons la forêt des Colettes et autres, req. n° 2024-1126 QPC

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