Conséquences de l’annulation du retrait d’un acte créateur de droits

Catégorie

Droit administratif général

Date

August 2018

Temps de lecture

4 minutes

CE 26 juillet 2018 M. A. B., req. n° 419204 publié au Rec. CE

En 2015, M. B. a déposé à la préfecture de la Côte d’Or une demande d’autorisation de création d’un aérodrome privé, à laquelle il a été fait droit par un arrêté préfectoral délivré le 12 juin 2015. Toutefois, la préfecture s’est par la suite aperçue que l’assiette du projet était située en zone Natura 2000, ce qui supposait de respecter les procédures d’évaluation environnementale préalables, ce que n’avait pas fait M. B. La préfète a retiré l’arrêté d’autorisation du 12 juin 2015 le 8 octobre 2015.

M. B. a contesté la décision de retrait constituée par l’arrêté du 8 octobre 2015, que le tribunal administratif a annulé le 21 novembre 2016, faute pour la préfète d’avoir mis en œuvre une procédure contradictoire préalablement au retrait[1]. Par arrêté du 7 février 2017, soit moins de 4 mois après la décision du tribunal annulant le premier retrait, et après une procédure contradictoire, la préfète a de nouveau retiré l’autorisation accordée à M. B.

M. B. a contesté cette nouvelle décision de retrait, en lui reprochant d’être intervenue au-delà du délai de 4 mois à compter de la date d’édiction de la décision retirée. La préfète soutenait, elle, qu’un nouveau délai de retrait de 4 mois courrait depuis de la date du jugement ayant annulé le premier retrait mais aussi que le motif d’annulation du premier retrait ne tenant qu’à un vice de procédure, il fallait permettre à l’administration de retirer l’acte illégal.

Par un jugement du 7 mars 2018, sur le fondement de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, le tribunal administratif a sursis à statuer afin d’interroger le Conseil d’Etat sur cette question de droit. L’avis du Conseil d’Etat comprend trois importantes précisions sur les conséquences de l’annulation d’une décision de retrait, justifiant sa publication au Lebon.

Pour mémoire, le retrait d’une décision a pour effet de faire disparaître l’acte tant pour l’avenir que pour le passé[2]. L’article L. 242-1 du code des relations entre le public et l’administration – consacrant la jurisprudence d’assemblée du Conseil d’État du 26 octobre 2001 Ternon, req. n° 197018 publié au rec. CE – dispose que le retrait d’une décision administrative créatrice de droits, expresse ou implicite, ne peut intervenir qu’à deux conditions :

  • une condition de fond liée à l’illégalité de la décision et,
  • une condition de forme quant au délai du retrait qui doit intervenir dans les 4 mois à compter de l’édiction de la décision.

1          En premier lieu, le Conseil d’Etat, confirmant sa jurisprudence antérieure[3], rappelle que lorsqu’une décision créatrice de droits est retirée et que ce retrait est annulé, la décision initiale est rétablie à compter de la date de lecture de la décision de justice prononçant l’annulation.

2          En deuxième lieu, le Conseil d’Etat précise que l’annulation de la décision de retrait n’ouvre pas un nouveau délai de retrait de 4 mois, quand bien même la décision créatrice de droits initiale serait illégale.

Autrement dit, dès lors que le délai de retrait de 4 mois à compter de l’édiction de la décision est passé, l’administration ne peut plus retirer une décision créatrice de droits.

D’une part, cette position se justifie parce que la lettre même des articles L. 242-1 et suivants du code des relations entre le public et l’administration ne permet pas de suspendre, d’interrompre ou de proroger le délai de retrait de 4 mois. D’autre part, comme le relève le rapporteur public, la faculté de retirer une décision après qu’une première décision de retrait ait été annulée perturberait l’équilibre trouvé par la jurisprudence et les textes entre les principes de légalité et de sécurité juridique : une prolongation du délai de retrait reviendrait à privilégier la légalité des actes administratifs au détriment de la sécurité juridique des bénéficiaires de droits établis, mêmes illégaux.

3          En dernier lieu, le Conseil d’Etat, sans doute conscient de laisser un certain nombre d’actes créateurs de droits illégaux perdurer, ouvre des pistes pour limiter leur maintien.

Le Conseil d’Etat rappelle d’abord que lorsqu’une décision créatrice de droits a été retirée dans le délai de recours contentieux (ce qui peut ne pas être le cas, dans la mesure où la décision peut avoir été retirée après l’expiration du délai de recours) puis rétablie à la suite de l’annulation juridictionnelle de son retrait, un nouveau délai de recours contentieux court à l’égard des tiers[4], décompté à partir soit :

  • de la date des nouvelles formalités de publicité de la décision créatrice de droits rétablie, ou,
  • de la date de la notification du jugement d’annulation, si aucune formalité n’est exigée.

Dans ce cadre, l’avis du Conseil d’Etat précise le rôle particulier du préfet envers les actes créateurs de droits des collectivités territoriales[5]. En effet, à la suite du rétablissement la décision créatrice de droits illégalement retirée, celle-ci doit à nouveau être transmise au préfet dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement : le préfet dispose alors de la possibilité de déférer une décision qu’il estime illégale au tribunal administratif.

Enfin, deux hypothèses non évoquées par le Conseil d’Etat permettent à l’administration de prolonger le délai de retrait :

  • en cas de recours administratif préalable obligatoire (RAPO) à l’exercice d’une action contre un acte créateur de droits, l’administration peut retirer l’acte jusqu’à l’expiration du délai imparti à l’administration pour se prononcer sur le RAPO[6] ;
  • tout acte administratif obtenu par fraude peut être retiré sans conditions de délai[7].

Malgré tout, le rapporteur public considère qu’« il restera bien évidemment des décisions illégales parfois lourdes de conséquences et, à ce titre, choquantes » et s’interroge, tout en l’écartant au regard de la saisine d’espèce, sur la possibilité de reconnaître, dans certains cas, que le principe de légalité prime l’intérêt du bénéficiaire à la sécurité de ses droits acquis. En effet, en l’espèce, cette solution de principe aboutira à permettre la réalisation d’un aérodrome privé dans une zone Natura 2000 sans analyse de ses conséquences sur l’environnement.

[1]              En effet, aux termes de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration, les décisions de retrait d’une décision administrative créatrice de droits doivent être motivées, ce qui les intègre aux décisions devant faire l’objet d’une procédure contradictoire préalable conformément à l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration.

[2]              Article L. 240-1 du code des relations entre le public et l’administration.

[3]              CE 6 avril 2007 M. Bernard A., req. n° 296493 publié au rec. CE.

[4]              CE 6 avril 2007 M. Bernard A., req. n° 296493 publié au rec. CE – CE 11 février 2015 SA Aubert France, req. n° 373673 publié aux tables.

[5]              L’avis du Conseil d’Etat ne vise que les conseils municipaux et leurs maires (articles L. 2131-2 et L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales),  mais cela s’étend également aux conseils départementaux et régionaux et à leurs présidents (articles L. 3132-1, L. 3131-2, L. 4142-1 et L. 4141-2 du code général des collectivités territoriales).

[6] Article L. 242-5 du code des relations entre le public et l’administration.

[7] Article L. 241-2 du code des relations entre le public et l’administration ; voir CE, 16 août 2018 Société NSHHD, req. n°412663.

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