Droit de préemption urbain : précisions sur sa délégation et sur l’appréciation de l’intérêt général suffisant

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

February 2021

Temps de lecture

5 minutes

Conseil d’Etat 28 janvier 2021 Sociétés Matimo, Perspective Avenir et Juliette, req. n° 429584 : à mentionner aux Tables du rec. CE

Par une décision du 21 juillet 2015, le maire de la commune de La Croix Saint-Ouen a exercé son droit de préemption urbain (DPU) sur deux parcelles situées sur le territoire de sa commune.

Les acquéreurs évincés ont saisi le tribunal administratif d’Amiens d’une demande d’annulation de cette décision de préemption.

Le tribunal administratif a annulé la décision de préemption aux motifs que le maire était incompétent et que l’opération de préemption ne répondait pas à un motif d’intérêt général suffisant (TA Amiens 3 octobre 2017, req. N°1502819).

La cour administrative d’appel de Douai a annulé le jugement (CAA Douai 7 février 2019, req. N°17DA02261).

Les acquéreurs évincés se sont donc pourvus en cassation.

Par une décision du 28 janvier 2021, le Conseil d’Etat confirme l’arrêt rendu en appel en apportant des précisions sur les conditions de délégation du DPU (1) et sur l’appréciation du critère tiré de l’intérêt général suffisant pour préempter (2).

1. Une précision des conditions de délégation de la compétence pour exercer le droit de préemption urbain

Les règles relatives au partage de compétence pour exercer le DPU dans les communes faisant partie d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) sont posées à l’article L. 211-2 du code de l’urbanisme :

« Lorsque la commune fait partie d’un établissement public de coopération intercommunale y ayant vocation, elle peut, en accord avec cet établissement, lui déléguer tout ou partie des compétences qui lui sont attribuées par le présent chapitre.

Toutefois, la compétence d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, d’un établissement public territorial créé en application de l’article L. 5219-2 du code général des collectivités territoriales, ainsi que celle de la métropole de Lyon en matière de plan local d’urbanisme, emporte leur compétence de plein droit en matière de droit de préemption urbain ».

Aux termes de l’article L. 213-3 du code de l’urbanisme :

« Le titulaire du droit de préemption peut déléguer son droit à l’Etat, à une collectivité locale, à un établissement public y ayant vocation ou au concessionnaire d’une opération d’aménagement. Cette délégation peut porter sur une ou plusieurs parties des zones concernées ou être accordée à l’occasion de l’aliénation d’un bien. Les biens ainsi acquis entrent dans le patrimoine du délégataire ».

Enfin, En vertu de l’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales, « Le maire peut (…) par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat (…) d’exercer, au nom de la commune, les droits de préemption définis par le code de l’urbanisme, que la commune en soit titulaire ou délégataire ». L’article L. 2122-23 ajoute que « Le conseil municipal peut toujours mettre fin à la délégation ».

En l’espèce, la communauté d’agglomération de la région de Compiègne était, du fait de sa qualité d’EPCI à fiscalité propre compétent en matière de PLU, compétente de plein droit en matière de DPU.

Par une décision du 8 juillet 2015, le président de la communauté d’agglomération a décidé de déléguer sa compétence pour préempter les deux parcelles litigieuses à la commune de la Croix Saint-Ouen.

La particularité de cette affaire tenait au fait que le conseil municipal de la commune de la Croix Saint-Ouen avait déjà, par une délibération antérieure du 28 avril 2014, délégué au maire la compétence en matière de DPU.

En clair, le conseil municipal avait délégué au maire le pouvoir de préempter au nom de la commune avant que la commune ne dispose elle-même de cette compétence en matière de DPU. Se posait donc la question de savoir si le maire était malgré tout compétent pour préempter les parcelles.

Le Conseil d’Etat répond par l’affirmative :

« La circonstance que cette délibération soit antérieure à la décision du 8 juillet 2015 par laquelle la commune de La Croix Saint-Ouen a reçu du président de la communauté d’agglomération de la région de Compiègne délégation pour préempter les deux parcelles litigieuses est sans incidence sur la compétence que le maire de La Croix Saint-Ouen tenait de la délibération du 28 avril 2014, pour toute la durée de son mandat sauf à ce qu’il soit mis fin à cette délégation, pour exercer au nom de la commune les droits de préemption définis par le code de l’urbanisme, pourvu que celle-ci en soit titulaire ou délégataire à la date de la préemption ».

En conséquence, le Conseil d’Etat écarte le moyen tiré de l’incompétence du maire pour exercer le droit de préemption.

2. Une disproportion entre la superficie préemptée et la surface nécessaire au projet compatible avec l’exigence d’intérêt général suffisant

En s’appuyant sur les dispositions de l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat reprend les principes posés dans son arrêt Société RD Machines outils (CE 6 juin 2012, req. n°342328 : publié au Rec. CE) :

« Pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d’une part, justifier, à la date à laquelle elles l’exercent, de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date, et, d’autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l’objet de l’opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant ».

Pour rappel, l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme vise les actions ou opérations d’aménagement qui « ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l’habitat, d’organiser le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d’enseignement supérieur, de lutter contre l’insalubrité et l’habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels ».

En l’espèce, le Conseil d’Etat estime que la cour administrative d’appel n’a pas dénaturé les faits en considérant que la réalité du projet justifiant l’exercice du droit de préemption urbain, à savoir la réalisation d’un cheminement piétonnier destiné à assurer une liaison entre la mairie et l’église, était établie et que ce projet s’inscrivait dans le cadre du réaménagement du centre-ville et donc dans le cadre d’une opération visée à l’article L. 300-1 précité.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat vérifie que la mise en œuvre du DPU répond bien à un intérêt général suffisant.

En l’espèce, les requérants estimaient que cette condition n’était pas remplie au regard de la disproportion entre la surface nécessaire au projet d’aménagement et la superficie du bien préempté. En effet, la liaison piétonne nécessitait une surface de 320 m² alors que la superficie totale des  terrains préemptés était de 1 582 m².

Toutefois, le Conseil d’Etat écarte cette argumentation en se fondant sur deux éléments. Il estime en effet que cette disproportion « n’était pas de nature à remettre en cause cet intérêt général eu égard, d’une part, à la circonstance qu’une préemption limitée à une partie seulement des parcelles sur lesquelles portait l’intention d’aliéner n’était pas légalement possible et, d’autre part, que le surplus du terrain était susceptible d’être utilisé pour des aménagements d’intérêt public ».

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