Droits d’administration de pages de réseaux sociaux, films et décors : biens de retour s’ils sont nécessaires au fonctionnement d’un service public

Catégorie

Contrats publics

Date

June 2022

Temps de lecture

5 minutes

CE 16 mai 2022 commune de Nîmes, req. n° 459904, publié au Rec. CE

Par sa décision commune de Nîmes, le Conseil d’Etat précise la théorie des biens de retour en y intégrant des biens immatériels tels qu’une communauté et du contenu numérique développés sur les réseaux sociaux.

Dans cette affaire, la commune de Nîmes avait attribué, en 2012, à la société Culturespaces une délégation de service public portant sur l’exploitation culturelle et touristique des monuments romains de la ville, impliquant la gestion des services d’accueil, l’animation culturelle, la communication et la valorisation des arènes de Nîmes, de la Maison carrée et de la tour Magne. Lors de la nouvelle procédure d’attribution du contrat en 2021, l’offre de la société Culturespaces n’a pas été retenue.

La commune de Nîmes a saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Marseille d’une action visant à s’assurer de la conservation des biens matériels et immatériels susceptibles d’être qualifiés de biens de retour de la concession et le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes d’un référé « mesures utiles » tendant à la restitution de ces biens.

Par une ordonnance du 28 octobre 2021, le juge des référés du tribunal judiciaire de Marseille a fait droit à la demande de la commune et a ordonné à la société de suspendre toute action de destruction et de s’assurer de la conservation des biens matériels et immatériels susceptibles d’être qualifiés de biens de retour de la concession. A l’inverse, le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a rejeté la demande de la commune tendant à ce que le juge des référés enjoigne à la société de restituer lesdits biens dans une ordonnance du 13 décembre 2021.

La commune de Nîmes a donc formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance.

Le Conseil d’Etat devait donc se prononcer sur plusieurs points : l’utilisation du référé « mesures utiles » en matière de biens de retour (1) et la qualification de biens de retour en l’espèce (2).

1          L’utilisation du référé « mesures utiles » en matière de biens de retour

Tout d’abord, le Conseil d’Etat a rappelé que le référé « mesures utiles » prévu à l’article L. 521-3 du code de justice administrative ne permet pas au juge d’intervenir dans la gestion d’un service public lorsque l’administration détient des pouvoirs nécessaires pour faire exécuter le contrat qu’elle a conclu. Néanmoins, lorsque l’administration ne peut pas user de ses pouvoirs de contrainte à l’encontre de son cocontractant, alors le juge des référés peut ordonner au cocontractant de prendre toute mesures nécessaires pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement 1)CE 13 juillet 1956 Office public d’habitations à loyers modérés du département de la Seine, req. n° 37656 publié au Rec. CE. Le Conseil d’Etat précise que trois conditions sont nécessaires pour que le juge des référés puisse ordonner de telles mesures :

  • elles doivent être justifiées par l’urgence
  • elles ne doivent faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative
  • elles ne doivent se heurter à aucune contestation sérieuse

Ensuite, le Conseil d’Etat a estimé que la restitution des biens de retour par le concessionnaire, dès lors que les conditions précédemment citées sont remplies, est au nombre des mesures qui peuvent être ordonnées par le juge du référé « mesures utiles » afin d’assurer la continuité du service public et son bon fonctionnement 2)CE 5 février 2014 Société Equalia et Société Polyxo, req. n° 371121 – commenté sur le blog.

2          La qualification de biens de retour au cas d’espèce

2.1

S’agissant de la qualification de biens de retour, le Conseil d’Etat rappelle la définition des biens de retour. Ainsi, dans le cadre d’une concession mettant à la charge du cocontractant des investissements nécessaires au fonctionnement du service public, l’ensemble de ces biens appartient, dans le silence du contrat, à la personne publique dès leur réalisation ou de leur acquisition 3)CE 21 décembre 2012 commune de Douai, req. n° 342788 publié au Rec. CE.

A l’issue de la convention, ces biens qui sont entrés dans la propriété de la personne publique et ont été amortis au cours de l’exécution du contrat font donc retour à celle-ci gratuitement, sauf stipulations contractuelles permettant à la personne publique de qualifier ces biens de « biens de reprise » et donc de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public.

Le Conseil d’Etat rappelle en outre que le contrat ne peut pas faire obstacle au retour gratuit des biens de retour à l’issue du contrat de concession.

Le Conseil d’Etat relève que le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a considéré que les stipulations de la délégation de service public faisaient obstacle au retour gratuit des biens à la personne publique. Or, en ne recherchant pas si ces biens étaient nécessaires au bon fonctionnement du service public et devaient donc nécessairement faire retour gratuitement à la personne publique même en cas de stipulation contractuelles contraires, le juge des référés du tribunal administratif de Nîmes a commis une erreur de droit.

La Haute Juridiction annule ainsi l’ordonnance du tribunal administratif entreprise.

2.2

Le Conseil d’Etat va ensuite régler l’affaire au fond 4)En prenant le soin d’exclure au préalable toute compétence du juge judiciaire sur le fondement de l’article L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle. En effet, la demande de la commune de Nîmes ne porte que sur la restitution de biens et non sur les droits de propriété intellectuelle relatifs à ces biens.

Le Conseil d’Etat examine ainsi chaque bien concerné par la demande de la commune de Nîmes pour déterminer si ces biens répondent à la qualification de bien de retour. Il apprécie en outre si les conditions précitées (1) lui permettant d’ordonner leur restitution sont bien réunies.

Trois types de bien étaient concernés : un film, les droits d’administration des pages des réseaux sociaux et des décors utilisés lors d’une manifestation par l’ancien délégataire.

Premièrement, s’agissant du film, la Haute Juridiction considère que la délégation de service public stipulait expressément que le film réalisé conformément à son article 18 était un bien de retour et devait donc être restitué à la commune par la société Culturespaces.

Deuxièmement, la délégation de service public confiait au concessionnaire des missions de communication et de promotion via les réseaux sociaux. Ainsi, le Conseil d’Etat estime que les droits d’administration des pages des réseaux sociaux réalisées à ces fins étaient nécessaires au fonctionnement du service public. Le Conseil d’Etat précise que ces pages constituent, par leur ancienneté et par les communautés d’abonnés qu’elles réunissent, un « élément important de la valorisation des monuments que le nouveau délégataire ne saurait reconstituer rapidement ». Dès lors, le Conseil d’Etat a considéré que les droits d’accès à ces pages revêtaient un caractère utile et urgent et devaient être remis gratuitement à la commune.

Troisièmement, le Conseil d’Etat qualifie également comme étant des biens de retour les décors utilisés par la société Culturespaces lors d’une manifestation dès lors qu’ils sont nécessaires au fonctionnement du service public et permettront au prochain délégataire d’organiser les évènements lui incombant désormais.

Le Conseil d’Etat va donc enjoindre à la société Culturespaces de restituer ces biens de retour à la commune de Nîmes dans un délai de quinze jour sous astreinte de 200 EUR par jour de retard.

 

 

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References   [ + ]

1. CE 13 juillet 1956 Office public d’habitations à loyers modérés du département de la Seine, req. n° 37656 publié au Rec. CE
2. CE 5 février 2014 Société Equalia et Société Polyxo, req. n° 371121 – commenté sur le blog
3. CE 21 décembre 2012 commune de Douai, req. n° 342788 publié au Rec. CE
4. En prenant le soin d’exclure au préalable toute compétence du juge judiciaire sur le fondement de l’article L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle. En effet, la demande de la commune de Nîmes ne porte que sur la restitution de biens et non sur les droits de propriété intellectuelle relatifs à ces biens

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