Élargissement du REP contre les circulaires et autres documents de portée générale de l’administration

Catégorie

Droit administratif général

Date

June 2020

Temps de lecture

6 minutes

CE Sect. 12 juin 2020, Gisti, req n° 418142 : publié au Rec. CE

Conclusions du rapporteur public

Le Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s (GISTI) demandait au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir la note d’actualité n° 17/2017 de la division de l’expertise en fraude documentaire de la direction centrale de la police aux frontières du 1er décembre 2017 relative aux « fraudes documentaires organisées en Guinée (Conakry) sur les actes d’état civil ».

La note contestée avait notamment pour objet d’exposer les défaillances des services d’état civil guinéens et l’existence d’une fraude documentaire généralisée. Elle préconisait, en conséquence, aux agents devant se prononcer sur la validité d’actes d’état civil guinéens, de formuler un avis défavorable à leur encontre.

Enfin, elle proposait une formulation d’avis défavorable qui peut être reprise par les services concernés.

Les questions soulevées par cette requête en tant qu’elle est dirigée contre un acte de doit souple de portée générale sans caractère impératif (en l’occurrence une note de l’administration) ont justifié son examen par la Section du contentieux du Conseil d’Etat.

Le contexte jurisprudentiel et les questions soulevées par la requête

Pour mémoire, par les décisions d’Assemblée du contentieux du 21 mars 2016, Fairvesta International (n° 368082) et Société Numéricable (n° 390023), le Conseil d’Etat a admis la recevabilité du recours pour excès contre des actes de droit souple des autorités de régulation telles des lignes directrices 1)Voir déjà en ce sens : CE 11 décembre 1970, Crédit foncier de France  req. n°78880 ; publié au Recueil..

Par la décision d’Assemblée du 19 juillet 2019 2)CE 19 juillet 2019 Mme Lepen, req. n° 426389 , le Conseil d’Etat a également admis la possibilité d’introduire un recours pour excès de pouvoir contre une prise de position d’une « autorité administrative » de nature à produire des effets notables sur l’intéressée et « qui au demeurant sont susceptibles d’avoir une influence sur le comportement des personnes ».

C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat a décidé de la réunion de la Section du contentieux en vue de répondre aux trois questions suivantes 3)Voir les questions inscrites au rôle de la Séance publique du 29 mai 2020 de la section du contentieux. : – 1. S’agissant des circulaires et autres documents de portée générale produits par l’administration pour ses besoins, tels que des lignes directrices, faut-il maintenir le critère de recevabilité du recours tenant à leur caractère impératif (CE, Section, 18 décembre 2002, n° 233618), qui exclut la possibilité de former un recours pour excès de pouvoir contre les lignes directrices fixées par l’autorité administrative (CE, 3 mai 2004, Comité anti-amiante Jussieu, n° 245961) ? – 2. En cas de réponse positive à la première question, quels sont alors les critères de justiciabilité des circulaires et autres documents de portée générale concernés ? – 3. Quels moyens sont opérants contre les documents susceptibles d’être contestés ? Quel est le contrôle du juge sur ces documents ?

L’apport de la décision :

L’ouverture du prétoire aux documents de portée générale dénués de caractère impératif

(i)         En réponse aux deux premières questions précitées et dès le premier considérant de sa décision, le Conseil d’Etat juge que :

« 1. Les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices ».

Il admet ainsi que les lignes directrices fixées par l’autorité administrative peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir directement et non pas uniquement via l’exception d’illégalité lors d’un recours contre un acte individuel 4)CE 11 décembre 1970, Crédit foncier de France  req. n°78880 ; publié au Recueil., au même titre que les actes ayant un caractère impératif, dès lors qu’elles sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre.

Le caractère impératif de l’acte n’est donc plus le critère exclusif de la recevabilité d’un recours direct contre une circulaire ou tout autre document général émanant d’autorités publiques.

Comme le relève le rapporteur public dans ses conclusions :

« 5.2.7. Si nous nous résumons, nous pensons que, dès lors qu’il produit des effets notables sur les droits ou la situation des tiers, un document de portée générale édicté par une autorité publique pour servir de référence à son action ou à celle d’une autre autorité, quelle qu’en soit la forme, quelle qu’en soit l’impérativité, doit pouvoir faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

(…)

En l’assumant complètement, vous pourrez dépasser – en l’absorbant – le critère de l’impérativité de la jurisprudence Duvignères, qui vous rattachait encore au critère de l’acte décisoire ».

(ii)        En l’espèce, le recours à l’encontre de la « note d’actualité » contestée par le Gisti est ainsi jugé recevable du fait des « effets notables qu’elle est susceptible d’emporter sur la situation des ressortissants guinéens dans leurs relations avec l’administration française ».

L’office du juge saisi de tels actes

(i)         Après avoir admis que des actes de portée générale et non impératifs puissent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, il appartenait au Conseil d’Etat de préciser l’office du juge dans son examen de ce type d’acte.

Ainsi, aux termes du deuxième considérant de sa décision :

« Il appartient au juge d’examiner les vices susceptibles d’affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité dont il émane. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s’il fixe une règle nouvelle entachée d’incompétence, si l’interprétation du droit positif qu’il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s’il est pris en vue de la mise en œuvre d’une règle contraire à une norme juridique supérieure ».

Le Conseil d’Etat reprend ici tant les grands principes des modalités d’appréciation des circulaires impératives dégagés dans la décision Duvignères que ceux élaborés dans le cadre des décisions rendues concernant les actes de droit souple des autorités de régulation.

En effet, dans la décision Duvignères précitée – à laquelle le Conseil d’Etat ne renonce donc pas complètement – il avait jugé :

«  que le recours formé à leur encontre [les dispositions impératives à caractère général d’une circulaire ou d’une instruction]doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans le silence des textes, une règle nouvelle entachée d’incompétence ou si, alors même qu’elles ont été compétemment prises, il est soutenu à bon droit qu’elles sont illégales pour d’autres motifs ; qu’il en va de même s’il est soutenu à bon droit que l’interprétation qu’elles prescrivent d’adopter, soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu’elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure » 5)CE 18 décembre 2002 Duvignères, req. n° 233618 : publié au recueil Lebon .

Et dans le cadre de ses décisions Fairvesta International et Société Numéricable également précitées rendues sur les actes de droit souple des autorités de régulation, le Conseil d’Etat avait considéré que :

«  il appartient au juge, saisi de moyens en ce sens, d’examiner les vices susceptibles d’affecter la légalité de ces actes en tenant compte de leur nature et de leurs caractéristiques, ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité de régulation »  6)CE 21 mars 2016 sociétés Fairvesta, req. n° 368082 : publié au recueil Lebon, CE 21 mars 2016 sociétés Numéricable, req. n° 390023: publié au recueil Lebon .

La Haute juridiction précise également que s’agissant d’actes de portée générale tels que des notes d’interprétation ou des lignes directrices, doivent par ailleurs, nécessairement être écartés les moyens tirés de ce que ces actes méconnaitraient les dispositions du code des relations entre le public et l’administration relative aux décisions.

(ii) En l’espèce, le Conseil d’Etat juge ainsi, tout d’abord, que dès lors que la note litigieuse ne revêt pas le caractère d’une décision, le moyen tiré de ce qu’elle méconnaîtrait les dispositions de l’article L. 212-1 du code des relations entre le public et l’administration, relatives à la signature des décisions et aux mentions relatives à leur auteur ne peut qu’être écarté.

Il précise ensuite que le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 47 du code civil 7)Art. 47 du code civil : « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». doit également être écarté au motif suivant :

« La note contestée préconise l’émission d’un avis défavorable pour toute analyse d’acte de naissance guinéen et en suggère à ses destinataires la formulation. Elle ne saurait toutefois être regardée comme interdisant à ceux-ci comme aux autres autorités administratives compétentes de procéder, comme elles y sont tenues, à l’examen au cas par cas des demandes émanant de ressortissants guinéens et d’y faire droit, le cas échéant, au regard des différentes pièces produites à leur soutien ».

La requête du GISTI – recevable mais pas fondée – est en conséquence rejetée.

Partager cet article

References   [ + ]

1. Voir déjà en ce sens : CE 11 décembre 1970, Crédit foncier de France  req. n°78880 ; publié au Recueil.
2. CE 19 juillet 2019 Mme Lepen, req. n° 426389
3. Voir les questions inscrites au rôle de la Séance publique du 29 mai 2020 de la section du contentieux.
4. CE 11 décembre 1970, Crédit foncier de France  req. n°78880 ; publié au Recueil.
5. CE 18 décembre 2002 Duvignères, req. n° 233618 : publié au recueil Lebon
6. CE 21 mars 2016 sociétés Fairvesta, req. n° 368082 : publié au recueil Lebon, CE 21 mars 2016 sociétés Numéricable, req. n° 390023: publié au recueil Lebon
7. Art. 47 du code civil : « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».

3 articles susceptibles de vous intéresser