La condition tenant au maintien, dans un état de conservation favorable des espèces dans leur aire de répartition naturelle, fait l’objet de simple contrôle de dénaturation par le juge de cassation

Catégorie

Environnement

Date

September 2022

Temps de lecture

4 minutes

CE 29 juillet 2022 Association NENY et a., req. n°443420 : mentionné aux tables du recueil Lebon

Les associations « Non aux éoliennes entre Noirmoutier et Yeu » et l’association « Société pour la protection du paysage et de l’esthétique de la France » ont formé un recours en annulation contre l’arrêté du 19 décembre 2018 du préfet de la Vendée portant autorisation de destruction et de perturbation intentionnelle de spécimens d’espèces animales protégées dans le cadre de l’aménagement et de l’exploitation du parc éolien en mer au large des îles d’Yeu et de Noirmoutier.

Ces associations ont formé ce recours devant la cour administrative d’appel de Nantes conformément aux dispositions de l’article R.311-5 du code de justice administrative 1)« Les cours administratives d’appel sont compétentes pour connaître, en premier et dernier ressort, des litiges portant sur les décisions suivantes, y compris leur refus, relatives aux installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent classées au titre de l’article L. 511-2 du code de l’environnement, à leurs ouvrages connexes, ainsi qu’aux ouvrages de raccordement propres au producteur et aux premiers postes du réseau public auxquels ils sont directement raccordés : […] 4° La dérogation mentionnée au 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ; » qui a été rejeté par un arrêt n°19NT01512 du 3 juillet 2020.

Saisi d’un pourvoi en cassation contre cet arrêt, le Conseil d’Etat a eu à apprécier la condition tenant à la « raison impérative d’intérêt public majeur » pour un projet de parc d’éoliennes offshore et a confirmé qu’il exerce un contrôle de dénaturation concernant la condition tenant à ce que le projet ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable les espèces protégées.

Avant d’analyser cette question, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la compétence du préfet de département pour accorder la dérogation « espèces protégées ».

Les conclusions du Rapporteur public 2)Conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public, sous CE 29 juillet 2022, Association NENY et a., req. n°443420 sur cette affaire précisent sur ce point :

« c’est nous semble-t-il assez logiquement que le pouvoir réglementaire a réservé au ministre le soin de délivrer les dérogations présentant les plus forts impacts potentiels sur la préservation des espèces menacées d’extinction, à l’exception, notamment, de celles qui ont seulement pour effet d’en causer la perturbation ».

Le Conseil d’Etat a validé l’arrêt de la cour qui a jugé que l’arrêté attaqué n’autorisait que la perturbation intentionnelle de ces deux espèces. Dans cette mesure, le préfet était bien l’autorité compétente pour délivrer la dérogation attaquée.

Ensuite, les requérants ont invoqué à l’encontre de l’arrêté attaqué, les dispositions de l’article L. 122-1 du code de l’environnement qui imposent, en cas de travaux multiples, une évaluation globale des incidences pour la réalisation de l’évaluation environnementale. Toutefois, ici encore, le Conseil d’Etat rejette cette argument, puisque les impacts cumulés du projet litigieux ont été étudiés dans le cadre de son évaluation environnementale.

De même, le Conseil d’Etat a validé l’appréciation souveraine de la cour qui a estimé que le dossier de demande d’autorisation dérogatoire était suffisamment documenté sur les espèces telle que le puffin des Baléares, les mammifères marins et la tortue luth et ce malgré l’avis défavorable du Conseil national de protection de la nature.

La Haute juridiction se penche alors sur la condition tenant à la « raison impérative d’intérêt public majeur ».

La décision rappelle qu’il peut être dérogé à l’interdiction de détruire les espèces protégées et leurs habitats prévue par l’article L. 411-1 du code de l’environnement sous réserve de respecter trois conditions distinctes et cumulatives telles qu’énoncées par l’article L. 411-2 du code de l’environnement :

  • Si le projet répond par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu à une raison impérative d’intérêt public majeur ;
  • S’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante ;
  • Si cette dérogation ne nuit pas au maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

Faisant application de ces dispositions, le Conseil d’Etat examine la première condition tenant à une raison impérative d’intérêt public majeur concernant le projet d’éoliennes maritimes.

Pour ce faire, il rappelle les objectifs fixés par le paquet « énergie-climat » qui s’est traduit en France par la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement puis par l’article L. 100-4 du code de l’énergie visant à porter la part des énergies renouvelables à 23% de la consommation finale brute d’énergie en 2020 et relevé à 32% en 2030 par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Par ailleurs, la décision rappelle les objectifs de développement de la production électrique à partir des énergies éoliennes et marines conformément à cette même loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat juge que le projet :

« contribue de manière déterminante à l’atteinte des objectifs nationaux rappelés et de l’objectif du programme Vendée Energie, signé en 2012, qui a pour objectif de doubler la production d’électricité de ce département à l’horizon 2020. En jugeant que ce projet de parc éolien répond ainsi, nonobstant son caractère privé, à une raison impérative d’intérêt public majeur, la cour administrative d’appel a exactement qualifié les faits de l’espèce. »

S’agissant des deux autres conditions relatives au fait qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que le projet ne nuise pas au maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées, le Conseil d’Etat n’exerce en cassation qu’un contrôle de dénaturation 3)CE 15 avril 2021 Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France et autres, req. n° 430500, et c’est là l’apport de l’arrêt.

Comme le souligne le Rapporteur public dans ses conclusions sous cette décision 4)Conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public, sous CE 29 juillet 2022, Association NENY et a., req. n°443420 au sujet de ce contrôle limité à la dénaturation qu’il doit prévaloir en ce qui concerne :

« le maintien des espèces dans un état de conservation favorable, laquelle appelle essentiellement une appréciation très factuelle propre à chaque espèce et ne comporte pas la densité juridique propre à l’appréhension de la RIIPM [raison impérative d’intérêt public majeur] qui justifierait de votre part un contrôle plus poussé. »

S’agissant de l’absence d’autre solution satisfaisante, le Conseil d’Etat considère que la cour s’était livrée à une appréciation souveraine des faits de l’espèce en estimant que la zone d’implantation du projet au large des îles d’Yeu et de Noirmoutier a été identifié à l’issue d’un processus de concertation comme une « zone d’enjeu modéré » propice à l’implantation d’un parc éolien. En outre, l’emprise du projet a été réduit afin de prévenir ou limiter certains impacts engendrés par l’installation puis l’exploitation des éoliennes.

S’agissant du maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées, le Conseil d’Etat considère que c’est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour a pu estimer que les mesures de compensation prévues concernant les oiseaux marins suffisaient pour répondre à la condition tenant au maintien dans un état de conservation favorable des espèces protégées.

 

 

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References   [ + ]

1. « Les cours administratives d’appel sont compétentes pour connaître, en premier et dernier ressort, des litiges portant sur les décisions suivantes, y compris leur refus, relatives aux installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent classées au titre de l’article L. 511-2 du code de l’environnement, à leurs ouvrages connexes, ainsi qu’aux ouvrages de raccordement propres au producteur et aux premiers postes du réseau public auxquels ils sont directement raccordés : […] 4° La dérogation mentionnée au 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ; »
2, 4. Conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public, sous CE 29 juillet 2022, Association NENY et a., req. n°443420
3. CE 15 avril 2021 Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France et autres, req. n° 430500,

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