La production d’un mémoire complémentaire n’est pas susceptible de proroger le délai de saisine du tribunal administratif en cas de différend sur le décompte général

Catégorie

Contrats publics

Date

June 2015

Temps de lecture

4 minutes

CAA Douai 28 mai 2015 Voies navigables de France, req. n° 13DA01154

La décision du 28 mai 2015 de la Cour administrative d’appel de Douai fournit une nouvelle illustration des subtilités de la procédure de règlement des différends instituée par l’article 50 du CCAG Travaux.

    1 Le litige

Dans cette affaire, Voies navigables de France (ci-après « VNF ») a confié en 2006 à la société Baudin Châteauneuf Nord un marché portant sur l’amélioration des étanchéités des portes et des vannes de l’écluse des Fontinettes située à Arques (Pas-de-Calais), pour un montant initial de 1 017 938,32 euros. Cependant, l’exécution du marché a été marquée par des retards, et il en résulté finalement un différend relatif au décompte du marché.

En 2013, le Tribunal administratif de Lille, accédant à la demande de la société Baudin Châteauneuf Nord, a condamné VNF à verser une somme de 400 612,47 euros au titre du solde du marché. VNF a naturellement fait appel de cette décision.

La question soulevée devant la juridiction administrative était celle de la recevabilité de la demande de première instance, et plus précisément de l’éventuelle prorogation du délai de recours contentieux, par l’intervention d’un mémoire en réclamation complémentaire.

En effet, conformément au CCAG Travaux (qui, eu égard à la date de signature du marché, était a priori celui de 1976), le décompte général est établi par le maître d’œuvre, et signé par le maître d’ouvrage, avant d’être notifié à l’entrepreneur. Si ce dernier entend contester le décompte général ou émettre des réserves, il doit adresser au maître d’ouvrage un mémoire de réclamation 1) Article 50.22 du CCAG Travaux 1976, décret n° 76-87 du 21 janvier 1976..

Si au terme d’un délai de trois mois 2) Article 50.31 du CCAG Travaux 1976, décret n° 76-87 du 21 janvier 1976., une notification expresse de rejet a été notifiée à l’entrepreneur ou si aucune décision n’est intervenue, l’entrepreneur dispose alors d’un délai de six mois pour saisir la juridiction 3) Article 50.32 du CCAG Travaux 1976, décret n° 76-87 du 21 janvier 1976., à peine de forclusion.

En l’espèce, la société Baudin Châteauneuf Nord a adressé un premier mémoire en réclamation à VNF, le 9 décembre 2008. Le 19 décembre 2008, le maître d’ouvrage a exprimé son refus par une décision expresse qui semble avoir pris la forme d’un nouveau décompte général des travaux. L’entrepreneur a émis un nouveau mémoire en réclamation le 30 janvier 2009, avant de saisir le tribunal administratif de Lille le 30 octobre 2009.

    2 L’absence d’incidences d’un éventuel mémoire complémentaire de réclamation

Or, pour la Cour administrative d’appel de Douai, saisie de ce jugement, la requête de la société Baudin Châteauneuf Nord était tardive dès lors qu’il résulte de l’ensemble des stipulations du CCAG Travaux « que, quand bien même l’entrepreneur qui n’accepte pas la décision prise par le maître de l’ouvrage sur sa réclamation relative au décompte général ou le rejet implicite de sa demande adresserait à la personne responsable du marché un mémoire complémentaire développant les raisons de son refus, ce mémoire complémentaire ne pourrait ni suspendre ni interrompre le délai de six mois prévu par l’article 50-32 du cahier des clauses administratives générales, dont le point de départ demeure fixé à la date de la notification à l’entrepreneur de la décision prise sur sa réclamation ».

Ainsi, en l’espèce, le délai de six mois pour saisir la juridiction avait commencé à courir le 19 décembre 2008, et l’intervention d’un second mémoire en réclamation, le 30 janvier 2009, n’était pas susceptible de proroger ce délai ; la requête introduite le 30 octobre 2009 était donc tardive.

Cette décision, en parfaite cohérence avec la position prise par la Cour administrative d’appel de Douai dans de précédents litiges 4) CAA Douai 12 avril 2007 Société Dorival, req. n° 05DA00404., s’inscrit également et surtout dans la continuité de la jurisprudence Société Reithler 5) CE avis 22 février 2002 Société Reithler, req. n° 240128 : disponible sur la base Ariane sur le site du Conseil d’Etat ; AJDA 2003, p. 329 ; RJEP 2003, p. 87. du Conseil d’Etat, à l’occasion de laquelle la Haute juridiction avait pu estimer, dans un avis contentieux, que :

    « 1°) Les stipulations de l’article 13-44 et de l’article 50-22 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ne prévoient pas, à la différence de celles de l’article 50-21 que, en cas de rejet implicite ou exprès du mémoire de réclamation prévu par ces stipulations, l’entreprise saisisse la personne responsable du marché d’un mémoire complémentaire.

    2°) Quand bien même l’entrepreneur qui n’accepte pas la décision prise par le maître de l’ouvrage sur sa réclamation relative au décompte général ou le rejet implicite de sa demande adresserait à la personne responsable du marché un mémoire complémentaire développant les raisons de son refus, ce mémoire complémentaire ne pourrait ni suspendre ni interrompre le délai de six mois prévu par l’article 50-32 du cahier des clauses administratives générales, dont le point de départ demeurerait fixé à la date de la notification à l’entrepreneur de la décision prise sur sa réclamation.

    3°) En conséquence, il appartient à l’entrepreneur qui a contesté le décompte général dans le délai de trente ou de quarante-cinq jours prévu à l’article 13-44 à compter de la notification qui lui en a été faite et qui n’accepte pas la décision qui a été prise sur sa réclamation par le maître de l’ouvrage dans le délai de trois mois prévu à l’article 50-31 ou le refus implicite né du silence gardé par le maître de l’ouvrage au terme de ce délai, de saisir du litige le tribunal administratif compétent dans le délai de six mois prévu à l’article 50-32 à partir de la notification de cette décision ».

Solution ensuite reprise en 2008 dans l’arrêt Bondroit 6) CE 29 décembre 2008 M. Bondroit, req. n° 296948..

Si la publication d’un nouveau CCAG Travaux en 2009 7) Arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, NOR: ECEM0916617A. a eu pour conséquences la modification de la numérotation ainsi que l’accélération des procédures, les dispositions concernant le règlement des différends et des litiges n’ont souffert aucune modification substantielle. Le pouvoir réglementaire n’a souhaité ajouter aucune cause de suspension du délai de recours contentieux, à l’exception de la conciliation et de l’arbitrage.

Dès lors, il paraît raisonnable de penser que cette solution serait également applicable aux contrats conclus sous l’empire des dispositions du CCAG Travaux 2009.

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References   [ + ]

1. Article 50.22 du CCAG Travaux 1976, décret n° 76-87 du 21 janvier 1976.
2. Article 50.31 du CCAG Travaux 1976, décret n° 76-87 du 21 janvier 1976.
3. Article 50.32 du CCAG Travaux 1976, décret n° 76-87 du 21 janvier 1976.
4. CAA Douai 12 avril 2007 Société Dorival, req. n° 05DA00404.
5. CE avis 22 février 2002 Société Reithler, req. n° 240128 : disponible sur la base Ariane sur le site du Conseil d’Etat ; AJDA 2003, p. 329 ; RJEP 2003, p. 87.
6. CE 29 décembre 2008 M. Bondroit, req. n° 296948.
7. Arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, NOR: ECEM0916617A.

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