L’absence de diligence du requérant pour saisir le juge des référés ne peut renverser à elle seule la présomption d’urgence en matière de référé-suspension des autorisations d’urbanisme

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

October 2021

Temps de lecture

4 minutes

Conseil d’Etat 6 octobre 2021, req. n° 445733

Par un arrêté du 18 mars 2019, le maire de la commune de Nogent-sur-Marne a délivré un permis de construire à un particulier. Des requérants ont formé le 19 septembre 2019 un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté du maire délivrant ce permis. Plusieurs mois après, le 12 octobre 2020 des requérants ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun la suspension dudit arrêté sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance du 14 octobre 2020, le juge des référés du TA a rejeté leur demande. Il a, en effet, considéré que l’absence de diligence des requérants pour le saisir ( il s’était écoulé près d’un an entre le recours pour excès de pouvoir et le référé-suspension) suffisait pour renverser la présomption d’urgence du référé suspension en matière d’autorisation d’urbanisme précisée par l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme, lequel prévoit que « la condition d’urgence prévue à l’article L. 521-1 du code de justice administrative est présumée satisfaite ».

Par une décision du 6 octobre 2021, le Conseil d’Etat apporte d’une part des précisions sur la présomption d’urgence en matière d’autorisation d’urbanisme dans le cadre du référé-suspension (1) et d’autre part sur la cristallisation des moyens prévue à l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme et complété par l’article R. 600-5 du même code (2).

1.    L’absence de renversement de présomption d’urgence au seul motif du délai écoulé entre la demande d’annulation et la demande de suspension du permis

L’article L. 600-3 du code de l’urbanisme prévoit que, dans le cadre d’un recours contre une autorisation d’urbanisme, le caractère urgent qui conditionne la recevabilité d’un référé-suspension est présumé satisfait.

Cette disposition provenant de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 dite loi ELAN vient codifier une jurisprudence vieille de plus de 20 ans. En effet, cette présomption d’urgence est justifiée par le caractère difficilement réversible de la construction une fois achevée 1)CE 27 juillet 2001 Cne de Tulle, req. n°230231 et Cne de Meudon req. n° 231991

Il s’agit cependant d’une présomption simple, de sorte qu’elle peut être renversée 2)Pour un exemple récent, voir notre article sur le blog : CE 26 mai 2021 Société Centre de valorisation organique de Seine-et-Marne req. n° 436902. Le juge administratif réalise traditionnellement une mise en balance des intérêts en confrontant l’urgence du demandeur à obtenir la suspension de l’acte litigieux, et le préjudice que subirait l’Administration ou les tiers si celui-ci était suspendu 3)CE 28 février 2001 Préfet des Alpes-Maritimes et Société Sud-Est Assainissement, req. n° 229562. afin de déterminer si la présomption est acquise ou non.

En l’espèce, le Conseil d’Etat censure l’ordonnance du juge des référés pour erreur de droit en ce qu’il renverse la présomption au seul motif du délai écoulé entre la demande d’annulation et la demande de suspension. Ainsi, cette seule circonstance ne suffit pas pour renverser la présomption d’urgence :

« Pour rejeter cette demande de suspension, le juge des référés, devant lequel les requérants faisaient valoir que la préparation du chantier avait commencé et que le début des travaux était imminent, s’est fondé sur leur absence de diligence pour le saisir compte tenu du délai de plusieurs mois s’étant écoulé depuis l’enregistrement de leur recours pour excès de pouvoir contre le permis de construire. En estimant que cette seule circonstance était de nature à renverser la présomption d’urgence prévue par l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme, le juge des référés a commis une erreur de droit ».

Le rapporteur public dans ses conclusions sous cette affaire indique que « le caractère simple de cette présomption d’urgence perdure après la reprise par la loi ». 4)Conclusions de Philippe Ranquet sous la décision du Conseil d’Etat du 6 octobre 2021

A cet égard, ce dernier souligne que la jurisprudence du Conseil d’Etat accepte le renversement de la présomption d’urgence en matière d’autorisations d’urbanisme dans l’hypothèse où « le pétitionnaire ou l’autorité qui a délivré le permis justifient de circonstances particulières, qui peuvent tenir à l’intérêt s’attachant à ce que la construction projetée soit édifiée sans délai ou au caractère aisément réversible des travaux autorisés par la décision litigieuse » 5)CE, 9 février 2011 Chastanet, req. n° 338831, , inédit. En revanche, la présomption d’urgence sera maintenue si l’administration ou le pétitionnaire dans le cas d’un permis de construire ne « fait état d’aucune circonstance particulière de nature à faire échec à la présomption d’urgence » 6)CE, 9 juin 2004 Magniez, req. n° 265457.

Ainsi, la seule circonstance qu’un long délai se soit écoulé entre la demande d’annulation formée par des requérants contre un permis de construire et la demande postérieure de suspension de l’arrêté ne suffit pas à renverser cette présomption d’urgence.

2.     L’application logique de la cristallisation des moyens issue de l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme

Le Conseil d’Etat censurant l’ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal administratif de Melun pour erreur de droit statue alors au fond.

Pour rejeter la demande des requérants, la Haute juridiction fait application de l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme relatif à la cristallisation des moyens. Il résulte de cet article et aux termes de l’article R. 600-5 du code de l’urbanisme que « la cristallisation des moyens qu’elles prévoient intervient à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense produit dans l’instance par l’un quelconque des défendeurs ». Ainsi, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication du premier mémoire en défense en première instance peu importe d’ailleurs que tous les défendeurs n’aient pas produit.

L’expiration de ce délai fixé pour la cristallisation des moyens a pour effet de rendre irrecevable l’introduction d’une demande en référé tendant à la suspension de l’exécution de ce permis.

Or, en l’espèce,  la Haute juridiction note que les requérants ont formé leur recours pour excès de pouvoir le 19 septembre 2019 et que le délai fixé pour la cristallisation des moyens a commencé à courir le 28 novembre 2019, date de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Ce faisant, le Conseil d’Etat juge qu’au 12 octobre 2020, date à laquelle les requérants ont présenté leur référé suspension, le délai fixé pour la cristallisation des moyens et donc pour introduire valablement un référé-suspension, était expiré.

Ainsi, la demande en référé tendant à la suspension du permis était à la date à laquelle elle a été introduite irrecevable.

 

 

 

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References   [ + ]

1. CE 27 juillet 2001 Cne de Tulle, req. n°230231 et Cne de Meudon req. n° 231991
2. Pour un exemple récent, voir notre article sur le blog : CE 26 mai 2021 Société Centre de valorisation organique de Seine-et-Marne req. n° 436902.
3. CE 28 février 2001 Préfet des Alpes-Maritimes et Société Sud-Est Assainissement, req. n° 229562.
4. Conclusions de Philippe Ranquet sous la décision du Conseil d’Etat du 6 octobre 2021
5. CE, 9 février 2011 Chastanet, req. n° 338831, , inédit
6. CE, 9 juin 2004 Magniez, req. n° 265457

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