L’absence de doute sérieux sur la légalité d’un arrêté de suspension de l’exploitation d’une carrière après l’annulation de la dérogation espèce protégée

Catégorie

Environnement

Date

May 2021

Temps de lecture

4 minutes

CE 28 avril 2021 Ministre de la transition écologique et solidaire, req. n°440734

Par un arrêté du 29 octobre 2015, le préfet du Doubs a autorisé la société Maillard à exploiter une carrière de roches massives calcaires après lui avoir délivré, pour ce même projet, une autorisation de dérogation au régime de protection des espèces en application de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, par un arrêté du 14 novembre 2014.

Cette autorisation de dérogation au régime de protection des espèces a annulé une première fois par le tribunal administratif de Besançon le 21 septembre 2017 au motif qu’elle était insuffisamment motivée. Le préfet a alors adopté une seconde dérogation. Elle a de nouveau été annulée, par le même tribunal, le 4 juillet 2019, au motif que la dérogation accordée n’était pas justifiée par une raison impérative d’intérêt public majeur.

Par un arrêté du 4 octobre 2019, le préfet du Doubs a alors prononcé à l’encontre de l’exploitant :

  • une mise en demeure de régulariser sa situation administrative soit en cessant son activité, soit en déposant une nouvelle demande d’autorisation environnementale pour tenir compte de l’annulation de la dérogation au régime de protection des espèces
  • la suspension du fonctionnement de la carrière jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la régularisation demandée.

L’exploitant a alors saisi le juge des référés (parallèlement à un recours au fond) pour lui demander sur le fondement de l’article L 521-1 du code de justice administrative (CJA) la suspension de l’exécution de l’arrêté du 5 octobre 2019, qui permet, pour mémoire, au juge des référés d’ordonner la suspension d’une décision administrative dès lors que l’’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

Le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a accédé à la demande de l’exploitant par une ordonnance du 31 octobre 2019 : il a suspendu l’arrêté en ce que celui-ci suspend le fonctionnement de la carrière.

La ministre de la transition écologique et solidaire a déposé un pourvoir contre cette décision devant le Conseil d’Etat.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat rappelle le contexte législatif, et notamment les articles L. 181-1 et L. 181-2 du code de l’environnement (C. Env.), qui prévoient qu’une ICPE peut bénéficier d’une autorisation environnementale qui tient lieu d’autorisation d’exploitation de l’ICPE et de dérogation aux interdictions édictées pour la conservation des espèces protégées.

Il rappelle également qu’aux termes de l’article L. 181-14 du code de l’environnement, toute modification substantielle des installations est soumise à la délivrance d’une nouvelle autorisation, et que l’article L 171-1 C. Env. autorise le préfet à mettre en demeure l’exploitant de l’ICPE de régulariser sa situation dans un délai qu’il détermine et, le cas échéant, en édictant des mesures conservatoires pouvant aller jusqu’à la suspension de l’exploitation de l’installation en cause jusqu’à ce qu’il ait statué sur une demande de régularisation. Il prend en compte les circonstances de fait et de droit au moment auquel il statue.

Le Conseil d’Etat déduit de ces dispositions (considérant 15) que lorsque la dérogation au régime de protection des espèces protégées délivrée en vue de permettre l’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement a fait l’objet d’une annulation contentieuse, il appartient au préfet de mettre en œuvre les pouvoirs qu’il tient de l’article L. 171-7 C. Env. précité en mettant l’exploitant en demeure de régulariser sa situation et, le cas échéant, en édictant des mesures conservatoires pouvant aller jusqu’à la suspension de l’exploitation de l’installation jusqu’à ce qu’il ait statué sur une demande de régularisation.

Surtout, pour répondre aux spécificités de l’espèce (les travaux justifiant la dérogation ayant déjà été effectués lorsque celle celle-ci a été annulée), la Haute Juridiction apporte les précisions importantes suivantes (considérant 16) :

« Dans l’hypothèse où, en raison des travaux réalisés notamment sur le fondement de la dérogation au régime de protection des espèces protégées (…) avant qu’elle ne soit annulée pour un motif de fond, la situation de fait, telle qu’elle existe au moment où l’autorité administrative statue à nouveau, ne justifie plus la délivrance d’une telle dérogation, il incombe cependant au préfet de rechercher si l’exploitation peut légalement être poursuivie en imposant à l’exploitant, par la voie d’une décision modificative de l’autorisation environnementale si elle existe ou par une nouvelle autorisation environnementale, des prescriptions complémentaires. Ces prescriptions complémentaires comportent nécessairement les mesures de compensation qui étaient prévues par la dérogation annulée, ou des mesures équivalentes, mais également, le cas échéant, des conditions de remise en état supplémentaires tenant compte du caractère illégal des atteintes portées aux espèces protégées, voire l’adaptation des conditions de l’exploitation et notamment sa durée ».

L’exploitant avait en effet mis en avant le fait que la dérogation n’était plus nécessaire parce que la zone, déjà défrichée et décapée, ne contenait plus d’espèces protégées.

Le Conseil d’Etat considère logiquement que cette circonstance n’empêche pas que, dans l’attente que l’autorisation environnementale soit, le cas échéant, complétée, le préfet mette en œuvre les pouvoirs qu’il tient de l’article L. 171-7 C. Env. en édictant des mesures conservatoires, afin de tenir compte notamment des atteintes portées aux espèces protégées sur le fondement de la dérogation illégale, et en suspendant le fonctionnement de l’installation en cause.

Dans ces conditions, la Haute Juridiction conclut qu’aucune erreur de droit ou erreur d’appréciation ne paraissent, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté du préfet du 4 octobre 2019.

 

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