Le Conseil d’Etat rénove sa jurisprudence : précision sur la limite temporelle de l’exclusion à la procédure de passation d’un marché public

Catégorie

Contrats publics

Date

February 2024

Temps de lecture

4 minutes

CE 16 février 2024 Département des Bouches du Rhône, req. n° 488524 : mentionné aux T. du Rec. CE

Par une décision du 16 février 2024 mentionnée aux Tables, le Conseil d’Etat précise le régime des exclusions de procédure de passation en marché public, à la lumière de la Directive marché 2014/24/UE du 26 février 2014.

En droit interne, l’article L. 2141-8, 1° du code de la commande publique (« CCP ») prévoit que les acheteurs peuvent exclure de la procédure de passation d’un marché les personnes qui ont entrepris d’influer indûment sur leur processus décisionnel (i), d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu lors de la procédure de passation du marché (ii), ou encore ont fourni des informations trompeuses susceptibles d’avoir une influence déterminante sur les décisions d’exclusion, de sélection ou d’attribution (iii).

L’article L. 2141-11 du CCP précise ensuite les modalités préalables à une telle exclusion lorsqu’elle est envisagée par l’acheteur. Ce dernier doit notamment mettre à même l’opérateur de fournir des preuves qu’il a pris des mesures de nature à démontrer sa fiabilité et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation n’est pas susceptible de porter atteinte à l’égalité de traitement des candidats.

De son côté l’opérateur doit établir qu’il a, le cas échéant, entrepris de verser une indemnité en réparation des manquements, clarifié totalement les faits et les circonstances en collaborant activement avec les autorités chargées de l’enquête et pris des mesures concrètes propres à régulariser sa situation et prévenir toute nouvelle situation pouvant entraîner l’un des cas d’exclusion à l’appréciation de l’acheteur 1)Les différents cas d’exclusion à l’appréciation de l’acheteur sont régis par les articles L. 2141-7 à L. 2141-10 du CCP.

Enfin, les mesures de prévention dont se prévaut l’opérateur sont appréciées par l’acheteur en tenant compte de la gravité et des circonstances particulières attachées à ces situations (article L. 2141-11, 3° du CCP).

Aucune limite temporelle sur les faits causant l’exclusion n’est ainsi prévue par le CCP et la jurisprudence 2)CE 24 juin 2019 département des Bouches-du-Rhône, req. n° 428866 : au Rec. CE à l’occasion d’un pourvoi introduit par le même requérant avait précédemment dégagée la notion de « procédure récente ».

En l’espèce, la société Rénovation peinture s’est vue exclure de la procédure de passation d’un marché public en vue de la construction d’un collège sur le fondement de l’article L. 2141-8 précité du CCP, au motif que son associé majoritaire avait été condamné par un jugement du tribunal correctionnel de Marseille du 2 décembre 2022 pour des faits de corruption commis lors de procédures récentes de la commande publique, alors qu’il était gérant de la société.

La société Rénovation peinture a d’abord obtenu l’annulation de cette décision en référé précontractuel devant le tribunal administratif de Marseille, qui a notamment admis l’ancienneté des faits (déroulés au cours des années 2012 à 2016) ayant entrainé la condamnation.

Le département des Bouches du Rhône, pouvoir adjudicateur, a alors contesté ce motif dans le cadre d’un pourvoi.

Le Conseil d’Etat rappelle d’abord l’article 57 de la directive marché, puis seulement ensuite le dispositif de droit interne qui le transpose.

Il en ressort que l’article 57 de la directive marché invite les Etats membres à fixer une durée maximale à la période d’exclusion, lorsque l’opérateur n’a pris aucune mesure susceptible de démontrer sa fiabilité : si les faits incriminés ont donné lieu à condamnation, le délai maximum est de cinq ans suivant le jugement définitif et de trois ans à défaut.

Pour pallier la sous-transposition, le Conseil d’Etat juge que les dispositions de droit national doivent « être interprétées à la lumière [du droit européen] » (point 5). Il retient la période dans tous les cas une durée de trois ans en faisant varier le point de départ en fonction de l’existence d’une condamnation à raison de ces faits :

« 5. Il résulte de ces mêmes dispositions, qui doivent être interprétées à la lumière des dispositions de l’article 57 de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 qu’elles transposent en droit national, lesquelles limitent à trois ans la période pendant laquelle un opérateur peut être exclu dans les cas visés au paragraphe 4 de cet article, que l’acheteur ne peut pas prendre en compte, pour prononcer une telle exclusion, des faits commis depuis plus de trois ans. Toutefois, lorsqu’une condamnation non définitive a été prononcée à raison de ceux-ci, cette durée de trois ans court à compter de cette condamnation »

En somme, la période pendant laquelle un opérateur peut être exclu est désormais limitée à trois ans, l’acheteur ne pouvant pas prendre en compte, pour prononcer une telle exclusion, des faits commis antérieurement. Toutefois, lorsqu’une condamnation non définitive a été prononcée à raison de ces mêmes faits, cette durée de trois ans court à compter de la condamnation.

Par conséquent en l’espèce, le Conseil d’Etat annule l’ordonnance du tribunal administratif de Marseille.

Il se saisit ensuite de l’affaire au fond sur le fondement de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et juge que la condamnation du tribunal correctionnel du 2 décembre 2022, et non les tentatives d’influence, constituait le point de départ de l’exclusion.

Dès lors l’exclusion de la société Rénovation peinture était bien fondée.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat écarte le moyen de la société Rénovation peinture tiré de ce que l’individu condamné pour corruption active n’a désormais plus la qualité de gérant, en relevant qu’il détient toujours un pouvoir de contrôle en qualité d’associé majoritaire et que la société n’établit pas avoir pris les mesures afin de s’assurer qu’il ne s’immisce pas dans sa gestion à ce titre.

Le juge administratif intègre ainsi les actions d’un associé majoritaire dans son appréciation des cas d’exclusion de la procédure de passation prévus par l’article L. 2141-8 du CCP.

 

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References   [ + ]

1. Les différents cas d’exclusion à l’appréciation de l’acheteur sont régis par les articles L. 2141-7 à L. 2141-10 du CCP
2. CE 24 juin 2019 département des Bouches-du-Rhône, req. n° 428866 : au Rec. CE

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