Le « dialogue » entre le jury d’un concours et les candidats doit seulement permettre de clarifier un projet et non de le modifier

Catégorie

Contrats publics

Date

October 2012

Temps de lecture

4 minutes

 

CAA Douai 19 juin 2012 Monsieur B., req. n° 10DA01598

 

La commune d’Auby a lancé, le 20 juin 2006, une procédure de concours restreint en vue de conclure un marché de maitrise d’œuvre portant sur la réalisation d’une salle de spectacle.

En application de l’alinéa 6 de l’article 70 du code des marchés publics alors applicable, le jury a classé le projet du groupement de MM. B et C en première position.

N’ayant au final pas été retenu, ce groupement va user de l’arsenal mis à la disposition des concurrents dits « évincés » en cas d’irrégularité de la procédure de passation.

Tout d’abord, il va saisir le juge des référés précontractuels du TA de Lille qui va « [annuler] partiellement la procédure à partir de la réunion du jury de concours du 18 décembre 2006 ». Ce n’était toutefois pas suffisant puisque, à la suite d’une nouvelle réunion du jury en date du 11 juin 2007, c’est finalement le groupement de M. A qui va être retenu.

Le groupement de MM. B et C va donc, ensuite, tenter de remettre en cause le marché lui-même, tout en sollicitant une indemnisation pour éviction irrégulière.

Après avoir jugé irrecevables les conclusions tendant à l’annulation de la délibération autorisant le maire à signer le marché et du marché lui-même, la cour administrative d’appel de Douai va faire droit à cette demande indemnitaire en estimant qu’effectivement, et conformément à une jurisprudence constante, le groupement « avait des chances sérieuses d’emporter le marché »[1].

Pour ce faire, la cour va se pencher sur la portée de la phase de « dialogue » qu’initie le jury avec les candidats d’un concours.

Selon la cour, ce « dialogue » ne peut que permettre aux candidats de « clarifier tel ou tel aspect d’un projet » de sorte qu’il ne peut pas leur permettre de régulariser une proposition non conforme.

Ceci est parfaitement logique dès lors que la vérification de la conformité d’une offre[2] est le préalable au classement même[3].

De plus, la cour indique que la négociation qui s’opère avec le lauréat du concours ne peut permettre de remédier à l’irrégularité de la proposition (on relèvera que, récemment, le Conseil d’Etat en a jugé autrement concernant les procédures adaptées prévoyant une phase de négociation[4]).

On retrouve là la même logique que les articles 59 et 64 du CMP (appel d’offres) qui, s’ils ouvrent la possibilité de « préciser » ou de « compléter » une offre, ne permettent pas en principe d’obtenir la mise en conformité de celle-ci[5].

En l’espèce, il s’avère que le « dialogue » avec le jury avait permis au groupement, qui sera finalement retenu, de régulariser une proposition qui n’était pas conforme aux exigences du programme[6]. Ce groupement aurait donc dû voir sa proposition rejetée.

Compte tenu de la nature de cette irrégularité et du fait qu’il avait été initialement classé en première position, le groupement requérant était donc fondé à réclamer son « manque à gagner » (le « bénéfice manqué »).

La cour, constatant que la personne publique avait décidé « de ne pas donner suite au projet de construction de la salle de spectacle et de solder les honoraires de la maîtrise d’œuvre pour les éléments de mission effectués, à savoir ” les études et la phase DCE “ », va toutefois limiter l’indemnisation au paiement du « manque à gagner »[7] portant sur la phase antérieure aux travaux (essentiellement la phase d’études : esquisse, APS …) et non sur l’ensemble des missions normalement dévolues à un maître d’œuvre.


[1] CE 27 janvier 2006 commune d’Amiens, req n° 259374 – CAA Lyon 5 janvier 2012 Cabinet Seve, req. n° 10LY02566 :

–           Si le requérant n’était pas dépourvu de toute chance de remporter le contrat (candidature admise, offre recevable …), il a droit au remboursement des frais engagés pour présenter son offre ;

–           Si le requérant avait des chances sérieuses de remporter le contrat, il a droit à une indemnité correspondant à l’intégralité de son « manque à gagner », à savoir le bénéfice que lui aurait procuré le contrat si il l’avait obtenu.

[2] C’est à dire la vérification de ce qu’elle n’est pas inappropriée, irrégulière ou inacceptables (cf. article 35 CMP).

[3] CE 30 novembre 2011 ministre de la défense et des anciens combattants, req. n° 353121 – CE 4 mars 2011 Région Réunion, req. n° 344197 – CE 21 septembre 2011 département des Hauts-de-Seine, req. n° 349149.

[4] CE 30 novembre 2011 ministre de la défense et des anciens combattants, req. n° 353121 : dans ce cas, le pouvoir adjudicateur doit néanmoins respecter le « principe d’égalité » et, « à l’issue de la négociation, rejeter sans les classer les offres qui sont demeurées inappropriées, irrégulières ou inacceptables ».

[5] Comme l’avocat général, C. Otto Lenz l’indiquait, ces dispositions permettent soit, pour le terme « préciser », « de communiquer des détails permettant de décrire plus clairement l’objet en question, ou de le définir avec une plus grande exactitude », soit, pour le terme « compléter », d’apporter des « indications supplémentaires qui n’étaient pas antérieurement disponibles », les deux termes ayant « ceci de commun qu’il ne s’agit pas de remplacer des indications fournies antérieurement mais au contraire de les concrétiser d’une façon ou d’une autre.» (Concl. sur CJCE 25 avril 1996 commission c/ Belgique, aff. C-87/94) – voir également : CAA Lyon 6 décembre 2001 syndicat intercommunal des services de l’agglomération valentinoise, req. n° 00LY02124.

[6] Par « [l’intégration d’un] faux gril pour l’espace scénique ».

[7] Sur la base d’un « bénéfice moyen annuel respectif de 53,4 % pour M. B et 57,6 % pour M. C ».

 

 

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