Le juge du référé contractuel contrôle la régularité de la décision de mettre en œuvre une procédure adaptée

Catégorie

Contrats publics

Date

July 2013

Temps de lecture

4 minutes

CE 29 mai 2013 Société Delta Process, req. n° 365954

Le Conseil d’Etat poursuit la précision de la lecture qu’il convient de retenir de l’article L. 551-18 du code de justice administrative 1) « Le juge prononce la nullité du contrat lorsqu’aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n’a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l’Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite.
La même annulation est prononcée lorsque ont été méconnues les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique.
Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la décision d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l’article L. 551-4 ou à l’article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d’exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d’une manière affectant les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat. »
, notamment lorsque cette disposition est confrontée aux procédures dites « adaptées ».

En l’espèce, l’institut national de la recherche agronomique (INRA) a lancé une procédure adaptée en vue de la passation d’un marché « de traduction et de transcription à distance, via une interface technologique, à l’attention des agents sourds et des agents malentendants de l’INRA ».

La société Delta Process, qui avait fait acte de candidature, a été informée du rejet de son offre par un courrier électronique du 3 décembre 2012. Le 13 décembre 2012, elle a donc formé un référé précontractuel. Celui-ci a été rejeté comme irrecevable en raison de la signature du contrat le 29 novembre précédent.

La société Delta Process a donc introduit un référé contractuel qui fut rejeté par le tribunal administratif de Paris 3) TA Paris 28 janvier 2013 société Delta Process, req. n° 1300021/3-5..

Si le Conseil d’Etat rejette au fond le pourvoi, il va toutefois annuler la décision du tribunal administratif de Paris.

Rappelons que le juge est tenu d’annuler le contrat déféré lorsqu’il se trouve en face des situations précisément énumérées suivantes (article L. 551-18 CJA) 2) Cf. notamment : CE 19 janvier 2011 grand port maritime du Havre, req. n° 343435 – L. Givord, Evolutions récentes et articulation du référé précontractuel et contractuel : Lexbase hebdo, n°190, 24 février 2011. :

► défaut de publicité requise pour la passation du marché ou omission d’une publication au JOUE lorsque celle-ci est prescrite ;
► méconnaissance des modalités de remise en concurrence des contrats fondés sur un accord-cadre ou un SAD ;
► méconnaissance du délai de « standstill » exigé par l’article 80 CMP ou de l’obligation de suspendre la signature du contrat une fois le juge du référé précontractuel saisi, si, en outre, « deux conditions sont réunies » : (i) d’une part, le demandeur a été de ce fait privé de son droit d’exercer un référé précontractuel et (ii) d’autre part, les obligations de publicité et de mise en concurrence ont été méconnues d’une manière affectant ses chances d’obtenir le contrat.

Le Conseil d’Etat va donc juger que puisque le respect d’un délai de « standstill » n’était pas exigé dans le cadre de la passation des marchés selon une procédure « adaptée », seuls les deux premiers cas d’annulation susvisés pouvaient être invoqués à l’encontre d’un tel marché 4) CE 19 janvier 2011 grand port maritime du Havre, req. n° 343435..

Or, le tribunal a refusé d’examiner le moyen tiré de l’illégalité du recours à la procédure « adaptée », ce qui constitue pour le Conseil d’Etat une erreur de droit :

« 2. Considérant que l’annulation d’un marché passé selon une procédure adaptée, laquelle ne comporte pas l’obligation, pour le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice, de notifier aux opérateurs économiques ayant présenté une offre, avant la signature du contrat, la décision d’attribution, ne peut, en principe, sanctionner, dans le cadre d’un référé contractuel, que les manquements mentionnés aux deux premiers alinéas de l’article L. 551-18 ; que, toutefois, le juge du référé contractuel est également susceptible d’annuler un tel marché sur le fondement du troisième alinéa de cet article, s’il est soutenu devant lui que, eu égard à son objet ou à son montant, le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice ne pouvait légalement passer le marché selon une procédure adaptée ; qu’il lui appartient, dans une telle hypothèse, de se prononcer sur la légalité du recours à une procédure adaptée, puis, le cas échéant, de statuer au regard des dispositions citées ci-dessus du 3ème alinéa de l’article L. 551-18 du code de justice administrative ;
3. Considérant, par suite, qu’en se bornant à estimer, dans l’ordonnance attaquée, qu’il était constant que le marché dont la société requérante lui demandait l’annulation avait été passé selon une procédure adaptée et avait fait l’objet de mesures de publicité au niveau national et européen, alors que la légalité du recours à cette procédure adaptée était contestée, le juge du référé contractuel du tribunal administratif de Paris a entaché son ordonnance d’une erreur de droit ; ».

La Haute juridiction va donc censurer le raisonnement du juge parisien selon lequel la seule mise en œuvre d’une procédure « adaptée », même si elle est illégale, entraîne mécaniquement l’exclusion de l’examen du troisième cas d’annulation susvisé.

La position du Conseil d’Etat est cohérente : si la personne publique était en réalité tenue de suivre une procédure formalisée, elle devait alors notifier aux candidats évincés le rejet de leur offre et respecter le délai de « standstill ». Dans une telle hypothèse, l’absence de respect d’un délai de « standstill » satisfait bien une des conditions du troisième cas d’annulation.

En l’espèce, l’INRA avait cependant régulièrement eu recours à une procédure « adaptée » de sorte que la requérante ne peut pas « utilement demander [l’annulation du contrat] au motif qu’il aurait été signé avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la décision d’attribution pour les marchés passés selon une procédure formalisée ».

Enfin, le Conseil d’Etat relève que l’INRA a procédé à des mesures préalables de publicité suffisantes et écarte le moyen tiré de l’absence de publication d’un avis d’attribution, qui n’est pas au nombre de ceux susceptibles d’être invoqués dans le cadre du référé contractuel.

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1. « Le juge prononce la nullité du contrat lorsqu’aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n’a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l’Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite.
La même annulation est prononcée lorsque ont été méconnues les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique.
Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l’expiration du délai exigé après l’envoi de la décision d’attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l’article L. 551-4 ou à l’article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d’exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d’une manière affectant les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat. »
2. Cf. notamment : CE 19 janvier 2011 grand port maritime du Havre, req. n° 343435 – L. Givord, Evolutions récentes et articulation du référé précontractuel et contractuel : Lexbase hebdo, n°190, 24 février 2011.
3. TA Paris 28 janvier 2013 société Delta Process, req. n° 1300021/3-5.
4. CE 19 janvier 2011 grand port maritime du Havre, req. n° 343435.

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