L’effet différé de l’abrogation d’une disposition législative déclarée contraire à la constitution

Catégorie

Environnement

Date

November 2012

Temps de lecture

4 minutes

CE 14 novembre 2012 association France Nature Environnement, req. n° 340539

Par un récent arrêt, le Conseil d’Etat a pu mettre en œuvre les effets d’une abrogation différée d’une disposition législative déclarée contraire à la constitution, en refusant d’écarter l’application de l’article L. 511-2 du code de l’environnement pour régler le litige.

Pour mémoire, l’article 62 de la constitution laisse au Conseil constitutionnel la possibilité de fixer une date différée à compter de laquelle la disposition qu’il déclare inconstitutionnelle va cesser de s’appliquer :

« Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause. »

Il s’agit là d’organiser les conséquences de la disparition des mécanismes législatifs déclarés inconstitutionnels, lesquels ne peuvent pas être recréés immédiatement, et d’éviter les néants juridiques – même si on garde encore en tête la décision d’abrogation du délit de harcèlement sexuel qui n’a été assortie d’aucun différé, mettant ainsi un terme immédiat aux instances pénales en cours fondées sur l’article 223-33 du code pénal[1].

En l’espèce, l’association France Nature Environnement avait soulevé en 2011 une question prioritaire de constitutionnalité en matière d’installation classée pour la protection de l’environnement, intéressant l’article L. 511-2 du code de l’environnement. Cette disposition instaurait une publication préalable à destination du public des seuls projets de décret de nomenclature des installations enregistrées, sans prévoir cette même publication pour les projets de nomenclature des installations déclarées et autorisées, ni organiser une autre modalité de participation du public à l’élaboration de ces décisions.

Pour ce motif, le Conseil constitutionnel a jugé le 14 octobre 2011 que le texte de l’article L. 511-2 du code de l’environnement est contraire à la constitution[2], et plus précisément à l’article 7 de la Charte de l’environnement[3], qui prévoit que toute personne a le droit d’accéder aux informations relatives à l’environnement et  de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement.

Toutefois, il n’en a prononcé l’abrogation qu’à compter du 1er janvier 2013, estimant les conséquences d’une abrogation immédiate « manifestement excessives » – elle remettrait en cause la légalité des décrets de nomenclature des installations déclarées et autorisées à l’élaboration desquels le public n’a pas participé, discutant ensuite la régularité des autorisations ou des déclarations d’exploitation d’ICPE faites en fonction de ces nomenclatures.

Jugeant le recours pour excès de pouvoir introduit par l’association France Nature Environnement à l’encontre du décret n° 2010-367 du 13 avril 2010 modifiant la nomenclature des installations classées et ouvrant certaines rubriques au régime de l’enregistrement, le Conseil d’Etat va devoir appliquer les conséquences du différé de cette abrogation au contentieux dont il est saisi. Il précise ainsi que :

« […] alors même que, selon les motifs de la décision du Conseil constitutionnel, la déclaration d’inconstitutionnalité doit, en principe, bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité, l’absence de prescriptions relatives à la remise en cause des effets produits par le second alinéa de l’article L. 511-2 avant son abrogation doit, en l’espèce, eu égard, d’une part, à la circonstance que la question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée à l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte réglementaire, d’autre part, à la circonstance que le Conseil constitutionnel a décidé de reporter dans le temps les effets abrogatifs de sa décision, être regardée comme indiquant que le Conseil constitutionnel n’a pas entendu remettre en cause les effets que la disposition déclarée contraire à la Constitution avait produits avant la date de son abrogation […] »[4]

Le juge administratif refuse alors d’écarter l’application de l’article L. 511-2 du code de l’environnement dans sa version qui ne soumet pas à publication préalable les projets de décrets ayant pour objet d’établir les nomenclatures d’installations classées soumises à déclaration ou à autorisation pour apprécier la légalité de la procédure d’élaboration du décret attaqué.

Le Conseil d’Etat refuse même de confronter directement la procédure d’élaboration du décret attaqué aux principes édictés par l’article 7 de la Charte de l’Environnement, dans la mesure où les dispositions législatives de l’article L. 511-2 du code de l’environnement, qui ne sont pas écartées, font écran à un tel contrôle de constitutionnalité d’un acte administratif. Le Conseil d’Etat justifie cette position en estimant que l’article L. 511-2 du code de l’environnement a été adopté « pour assurer la mise en œuvre des droits garantis par l’article 7 de la Charte de l’environnement ». Une telle formulation apparaît pour le moins discutable, cette disposition ayant été jugée contraire à l’article 7 de ladite Charte.

Par cette décision, le Conseil d’Etat assure aux différés d’abrogation prononcés par le Conseil constitutionnel un plein effet, les requérants se trouvant véritablement privés de la possibilité d’utiliser la déclaration d’inconstitutionnalité avant que celle-ci ne prenne effet.


[1]              Conseil constitutionnel, décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012 relative à la définition du harcèlement sexuel. Si les dispositions du code du travail interdisant plus spécifiquement le harcèlement sexuel commis à l’encontre d’un salarié sont restées en vigueur, celles-ci organisent les droits du travailleur à l’encontre de celui-ci qui lui fait subir de tels actes, elles ne prévoient pas de sanctions pénales autonomes, et renvoient bien à l’article 222-33 du code pénal à cet égard.

[2]              Conseil constitutionnel, décision n° 2011-183/184 QPC du 14 octobre 2011 relative aux projets de nomenclature et de prescriptions générales relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement.

[3]              La loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement a introduit la Charte de l’environnement dans le bloc de constitutionnalité, en la citant au sein du préambule de la constitution du 4 octobre 1958.

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