Les conditions de l’indemnisation d’une personne publique victime de pratiques anti-concurrentielles de la part de son cocontractant

Catégorie

Contrats publics, Droit administratif général

Date

September 2020

Temps de lecture

3 minutes

CE 10 juillet 2020 Société Lacroix Signalisation, req. n° 420045 : publié au recueil Lebon

Entre 1997 et 2006, plusieurs entreprises, dont la société Lacroix Signalisation, se sont entendues sur la répartition et le prix de marchés publics de fourniture et de pose de panneaux de signalisation routière passés par plusieurs départements, dont le département de la Seine-Maritime.

Par une décision du 22 décembre 2010 1)Autorité de la concurrence, décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale, l’Autorité de la concurrence a constaté la caractérisation de l’entente et a infligé des sanctions pécuniaires à ces sociétés.

En parallèle, plusieurs affaires ont fait l’objet de recours devant le juge administratif.

Par des jugements du 31 janvier 2017, le tribunal administratif de Rouen, saisi par le département de Seine-Maritime, a annulé les marchés conclus par le département avec la société Lacroix Signalisation et a condamné cette société à restituer au département l’intégralité des sommes versées dans le cadre de ces marchés.

La cour administrative d’appel de Douai, dans un arrêt du 22 février 2018, a réformé ces jugements en ne faisant droit qu’aux conclusions subsidiaires du département tendant à obtenir une indemnité pour réparer le surcoût lié aux pratiques anticoncurrentielles.

La société Lacroix Signalisation a formé un recours en cassation devant le Conseil d’Etat. Par un arrêt du 10 juillet 2020, le Conseil d’Etat est venu préciser les conditions de l’indemnisation d’une personne publique victime de pratiques anti-concurrentielles de la part de son cocontractant.

Cette décision fait suite à plusieurs arrêts du 27 mars 2020 2)CE 27 mars 2020 Département de la Manche, req. n°420491 ; CE 27 mars 2020 Département de l’Orne, req. n°421758 ; CE 27 mars 2020 Département de l’Orne, req. n°421833 par lesquelles le Conseil d’Etat s’était prononcé sur l’action en responsabilité quasi-délictuelle de l’acheteur victime d’une pratique anti-concurrentielle lors de la passation d’un marché public.

1           Saisine et compétence du juge administratif

Le Conseil d’Etat confirme d’abord la règle édictée dans ses précédentes décisions du 27 mars 2020 selon laquelle, lorsqu’une personne publique est victime de pratiques anticoncurrentielles de la part de son co-contractant, ces pratiques ayant constitué un dol viciant son consentement, elle peut saisir le juge administratif, alternativement ou cumulativement :

  • de conclusions tendant à ce que celui-ci prononce l’annulation du marché litigieux et tire les conséquences financières de sa disparition rétroactive ;
  • de conclusions tendant à la condamnation du cocontractant, au titre de sa responsabilité quasi-délictuelle, à réparer les préjudices subis en raison de son comportement fautif.

Implicitement, le Conseil d’Etat confirme également la compétence du juge administratif. Dans ses arrêts du 27 mars 2020 précités, le Conseil d’Etat avait jugé que dès lors que le litige au principal relève du droit des marchés publics, le juge administratif est effectivement compétent, et ce même si l’action n’est pas dirigée contre l’attributaire du marché.

2          Conditions de l’indemnisation de la personne publique

L’apport principal de l’arrêt du 10 juillet 2020 du Conseil d’Etat réside dans la précision des conditions de l’indemnisation d’une personne publique victime de pratiques anti-concurrentielles dolosives de la part de son cocontractant.

Dans un tel cas, la Haute juridiction prévoit que le cocontractant doit restituer les sommes que lui a versées la personne publique. En contrepartie, le co-contractant peut solliciter le remboursement des dépenses qu’il a engagées et qui ont été utiles à la personne publique, à l’exclusion des marges bénéficiaires.

S’agissant des dépenses utiles, celles-ci incluent par exemple les frais financiers découlant, en cas de résiliation du contrat, du remboursement anticipé d’un emprunt et des intérêts versés au titre de cet emprunt 3)CE 9 juin 2020 Société Espace Habitat Construction, req. n° 420282.

Ce faisant, le Conseil d’Etat limite l’indemnisation du préjudice du co-contractant.

Le Conseil d’Etat ajoute qu’en revanche la personne publique ne peut obtenir sur le terrain quasi-délictuel la réparation du préjudice lié au surcoût qu’ont impliqué les pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime. C’est tout à fait logique dans la mesure où ces surcoûts sont déjà restitués par le cocontractant du fait de l’annulation du contrat litigieux, par la restitution des dépenses versées par la personne publique qui n’ont pas été utiles.

En revanche, la personne publique peut demander la réparation des autres préjudices que lui aurait causés le comportement du cocontractant.

Le Conseil d’Etat en conclut donc qu’en jugeant que l’annulation du marché impliquait seulement que soient réparés, sur le terrain quasi-délictuel, les préjudices subis par le département du fait des agissements dolosifs de la société, la cour administrative d’appel de Douai a entaché son arrêt d’une erreur de droit.

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References   [ + ]

1. Autorité de la concurrence, décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale
2. CE 27 mars 2020 Département de la Manche, req. n°420491 ; CE 27 mars 2020 Département de l’Orne, req. n°421758 ; CE 27 mars 2020 Département de l’Orne, req. n°421833
3. CE 9 juin 2020 Société Espace Habitat Construction, req. n° 420282

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