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CE 6 mai 2024 Société Getir France et autres, req. n°474445
1 Rappel du contexte
Pour rappel, dans une décision du 23 mars 2023 1)CE 23 mars 2023 Ville de Paris, n° 468360, publié au recueil Lebon, commenté sur le blog , le Conseil d’Etat avait précisé que des « locaux (…) destinés à la réception et au stockage ponctuel de marchandises, afin de permettre une livraison rapide de clients par des livreurs à bicyclette (…) ne constituent plus, pour l’application des articles R. 151-27 et R. 151-28 du code de l’urbanisme (…), des locaux ” destinées à la présentation et vente de bien directe à une clientèle ” et, même si des points de retrait peuvent y être installés, ils doivent être considérés comme des entrepôts au sens de ces dispositions ».
Dans le même temps, par un décret n° 2023-195 et un arrêté du 22 mars 2023 publiés au JO le 24 mars 2024, le pouvoir réglementaire a tiré les conséquences de cette jurisprudence et modifié la définition des destinations et sous-destinations des constructions 2)Voir sur ce point notre article du blog « Décret et arrêté du 22 mars 2023 : Les destinations et sous destinations enfin modifiées ».
Ainsi, une nouvelle sous-destination « cuisine dédiée à la vente en ligne » est créée au sein de la destination « autres activités des secteurs primaire, secondaire et tertiaire » 3)Article R. 151-28 du code de l’urbanisme. Cette sous-destination recouvre les « Dark Kitchens », à savoir « les constructions destinées à la préparation de repas commandés par voie télématique. Ces commandes sont soit livrées au client soit récupérées sur place » 4)Article 5 de l’arrêté du 10 novembre 2016 modifié par l’arrêté du 22 mars 2023.
Quant aux « Dark Stores », l’arrêté du 22 mars 2023 confirme la jurisprudence précitée du Conseil d’Etat en les classant dans la sous-destination « entrepôt » au sein de la destination «autres activités des secteurs primaire, secondaire et tertiaire » qui recouvre désormais « les constructions destinées à la logistique, au stockage ou à l’entreposage des biens sans surface de vente, les points permanents de livraison ou de livraison et de retrait d’achats au détail commandés par voie télématique, ainsi que les locaux hébergeant les centres de données ». 5)Article 5 de l’arrêté du 10 novembre 2016 modifié par l’arrêté du 22 mars 2023
C’est cette nouvelle définition réglementaire de la sous-destination « entrepôt » et surtout le fait qu’elle intègre « les points permanents de livraison ou de livraison et de retrait d’achats au détail commandés par voie télématique » (i.e les « Dark Stores ») qui est contestée dans le cadre de la décision commentée.
2 La décision du 6 mai 2024
Dans les faits, les sociétés Getir France et autres demandaient l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du 22 mars 2023 précité et plus particulièrement le classement des Dark Stores au sein de la destination « entrepôt » et non plus dans la destination « artisanat et commerce de détail » comme c’était le cas auparavant.
Par cette décision, la Haute juridiction confirme le choix opéré par cet arrêté et considère qu’il résulte des dispositions attaquées « qu’un local de stockage ne peut relever de la sous-destination commerce que si les produits commandés sont exclusivement retirés par les seuls clients, les locaux de stockage où les retraits sont faits par d’autres que les clients, notamment des livreurs, relevant quant à eux nécessairement de la sous-destination entrepôts ».
En conséquence,
- ce régime est clair et conforme au principe d’intelligibilité de la norme puisque. (i) un local de stockage ne peut relever de la sous-destination « commerce » que si les produits commandés sont exclusivement retirés par les seuls clients, tandis que (ii) les locaux de stockage où les retraits sont faits par d’autres personnes que les clients, notamment des livreurs, relèvent nécessairement de la sous-destination « entrepôts » ;
- les définitions retenues reposent sur des critères objectifs tenant à la différence de situation entre les locaux qui sont, ou non, fréquentés exclusivement par des livreurs, et ne méconnaissent ainsi pas le principe d’égalité ni le principe de non-discrimination ;
- les dispositions attaquées sont, en tant que telles, sans effet sur la possibilité d’exercer localement une activité donnée, qui dépend des choix faits, au niveau local, par les autorités compétentes dans l’élaboration de leurs documents d’urbanisme et donc ne méconnaissent pas la liberté du commerce et de l’industrie et la liberté d’établissement ;
- l’arrêté du 22 mars 2023 n’est entaché d’aucune erreur manifeste d’appréciation faute d’avoir édicté des mesures transitoires sur le fondement de L. 221-5 du code des relations entre le public et l’administration car selon le Conseil d’Etat, les règles précédemment applicables prévoyaient déjà que des locaux destinés à la réception et au stockage ponctuel de marchandises pour faire l’objet d’une livraison rapide constituaient, même en cas d’installation de points de retrait, des « entrepôts » et non des locaux relevant de la sous-destination « artisanat et commerce de détail ». Si le rapporteur public, M. Frédéric Puigserver, dans ses conclusions sur l’arrêt commenté a quant à lui considéré que de telles mesures transitoires auraient été de bon aloi compte-tenu des incertitudes de la règlementation et des intérêts économiques en présence, il a proposé de ne pas annuler l’arrêté attaqué sur ce point compte-tenu du contrôle restreint exercé par le juge en la matière 6)CE 27 décembre 2016 Union des chirurgiens de France, req. n° 389036.
Compte-tenu de ce qui précède, la requête dirigée à l’encontre de l’arrêté du 22 mars 2023 est rejetée.
Ainsi, et pour rappeler les termes du rapporteur public : « les dark stores sont des entrepôts, dans la mesure où ils concernent la livraison et, le cas échéant, le retrait de produits, tandis que les locaux où ces produits sont exclusivement retirés par des clients, et non par des tiers comme des livreurs, sont des commerces ».
References
1. | ↑ | CE 23 mars 2023 Ville de Paris, n° 468360, publié au recueil Lebon, commenté sur le blog |
2. | ↑ | Voir sur ce point notre article du blog « Décret et arrêté du 22 mars 2023 : Les destinations et sous destinations enfin modifiées » |
3. | ↑ | Article R. 151-28 du code de l’urbanisme |
4, 5. | ↑ | Article 5 de l’arrêté du 10 novembre 2016 modifié par l’arrêté du 22 mars 2023 |
6. | ↑ | CE 27 décembre 2016 Union des chirurgiens de France, req. n° 389036 |