L’Office du juge du référé précontractuel et l’objet social des personnes morales de droit privé

Catégorie

Contrats publics

Date

May 2016

Temps de lecture

4 minutes

CE 4 mai 2016 Agence départementale d’information sur le logement et l’énergie (ADILE) de Vendée, req. n° 396590, Publié au Rec. CE

Par un arrêt du 4 mai 2016, le Conseil d’Etat précise l’office du juge du référé précontractuel lorsqu’est soulevé un moyen portant sur l’incompatibilité entre l’exécution du marché public et l’objet social d’une personne morale de droit privé candidate audit marché.

1 – L’extension limitée du contrôle du juge à l’objet social du candidat

Jusqu’à récemment, il était jugé de façon constante qu’il ne relevait pas de l’office du juge du référé précontractuel 1) Articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative de contrôler « le respect, par le candidat à l’obtention d’un marché public ou d’une délégation de service public, de son objet social ou, lorsqu’il s’agit d’un établissement public, du principe de spécialité auquel il est tenu » 2) CE 16 octobre 2000, Compagnie méditerranéenne des services d’eau, req. n° 212054 : Publié au Rec. CE, mais non fiché sur ce point..

Revenant en partie sur cette jurisprudence, le Conseil d’Etat a considéré, par son arrêt Association de gestion du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) des Pays de la Loire du 18 septembre 2015, que, « lorsque le candidat est une personne morale de droit public, il lui incombe de vérifier que l’exécution du contrat en cause entrerait dans le champ de sa compétence et, s’il s’agit d’un établissement public, ne méconnaîtrait pas le principe de spécialité auquel il est tenu » 3) CE 18 septembre 2015 Association de gestion du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) des Pays de la Loire et autre, req. n° 390041 : Rec. CE. Voir http://www.adden-leblog.com/?p=7291.

S’agissant à présent du contrôle de la compatibilité de l’objet social d’une personne morale de droit privé candidate à un marché public avec l’objet de celui-ci, le Conseil d’Etat n’a pas transposé cette solution et a opté pour une ouverture beaucoup plus mesurée du contrôle du juge.

En effet, il rappelle qu’en principe « il n’appartient pas au juge du référé précontractuel, lorsqu’une personne morale de droit privé se porte candidate à l’attribution d’un contrat de commande publique, de vérifier que l’exécution de ce contrat entre dans le champ de son objet social », mais il ajoute « qu’il en va toutefois différemment dans le cas où un texte législatif ou réglementaire a précisément défini son objet social et ses missions ».

Ainsi, saisi d’un moyen en ce sens, le juge du référé précontractuel pourra être amené à vérifier que l’exécution d’un contrat de la commande publique entre bien dans l’objet social d’une personne morale de droit privé candidate à son attribution lorsque ce dernier est déterminé par des textes législatifs ou réglementaires.

2 – Mise en œuvre de cette solution dans le cas des ADILE

Au cas d’espèce, dans le cadre de la procédure de passation d’un marché public portant sur des prestations de conseils auprès des particuliers dans le domaine de la rénovation énergétique des logements, la communauté de communes du pays des Herbiers avait retenu l’offre de l’Agence départementale d’information sur le logement et l’énergie (ADILE) de Vendée.

Par une ordonnance du 15 janvier 2016, contre laquelle l’ADILE s’est pourvue en cassation, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Nantes avait, sur la demande d’un concurrent évincé (une autre association), annulé la procédure de passation, au motif que l’exécution du marché public n’entrait pas dans la mission statutaire des ADILE telle que définie par les articles L. 366-1 et R. 366-5 du code de la construction et de l’habitation.

Pour sa part, le Conseil d’Etat relève que le champ de compétence des associations d’information sur le logement, qui sont des personnes morales de droit privée créées à l’initiative conjointe d’un ou plusieurs départements, d’une métropole et de l’Etat, est défini par les articles L. 366-1 et R. 366-5 du code de la construction et de l’habitation, mais également par les articles L. 231-1 et L. 231-2 du code de l’énergie. Et ces derniers prévoient que les agences départementales d’information sur le logement participent, aux côtés notamment des collectivités territoriales et de leurs groupements, à la gestion du service public de la performance énergétique de l’habitat, lequel assure l’accompagnement des consommateurs souhaitant diminuer leur consommation énergétique.

Par suite, si le juge des référés pouvait légalement contrôler que l’exécution du marché entrait dans l’objet social de l’association, le Conseil d’Etat estime cependant qu’« en jugeant que l’exécution du marché en litige, (…) n’entrait pas dans le champ de compétence de l’ADILE de Vendée », il a entaché son ordonnance d’une erreur de droit, et il annule donc cette dernière.

3 – Autres points jugés

Enfin, on notera encore que le Conseil d’Etat, jugeant ensuite l’affaire au fond, se prononce sur deux autres points.

3.1 – D’une part, il rappelle « que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu’une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé ; que si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l’offre, sauf à porter atteinte à l’égalité entre les candidats à l’attribution d’un marché public ».

Au cas présent, si le prix proposé par l’ADILE de Vendée était 52 % moins élevé que celui de l’association requérante, le Conseil d’Etat, qui considère « que, toutefois, cette différence de prix ne saurait établir, à elle seule, que l’offre de l’ADILE, qui ne peut être assimilée à une personne morale de droit public, était anormalement basse », estime au vu notamment des éléments communiqués par l’ADILE de Vendée en réponse à la demande de précisions de la communauté de communes que cette dernière n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant que l’offre n’était pas anormalement basse.

3.2 – D’autre part, le Conseil d’Etat était également appelé à se prononcer au regard de sa récente jurisprudence CIVIS du 20 janvier 2016 par laquelle il a considéré que, s’il n’appartient pas au juge du référé précontractuel de se prononcer sur l’appréciation portée par le pouvoir adjudicateur sur la valeur ou les mérites respectifs des offre, il lui appartient en revanche de vérifier que le pouvoir adjudicateur n’a pas dénaturé le contenu des offres 4) CE 20 janvier 2016 CIVIS, req. n° 394133 : Publié au Rec. CE. Voir http://www.adden-leblog.com/?p=7638. Il rejette cependant le moyen.

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References   [ + ]

1. Articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative
2. CE 16 octobre 2000, Compagnie méditerranéenne des services d’eau, req. n° 212054 : Publié au Rec. CE, mais non fiché sur ce point.
3. CE 18 septembre 2015 Association de gestion du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) des Pays de la Loire et autre, req. n° 390041 : Rec. CE. Voir http://www.adden-leblog.com/?p=7291
4. CE 20 janvier 2016 CIVIS, req. n° 394133 : Publié au Rec. CE. Voir http://www.adden-leblog.com/?p=7638

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