Lutte contre la propagation du Covid-19 : le juge des référés du Conseil d’Etat ne suspend pas l’extension du passe sanitaire aux lieux de culture et de loisirs

Catégorie

Droit administratif général

Date

August 2021

Temps de lecture

4 minutes

CE 26 juillet 2021 M. B et autres, req. n° 454754 

CE 26 juillet 2021 SACD et autres, req. n° 454792 et 454818

La reprise de l’épidémie liée à la diffusion du variant Delta justifie l’élargissement du passe sanitaire aux lieux de culture et de loisirs, ainsi que l’entrée en vigueur immédiate de cette mesure. C’est en substance ce qu’a jugé le juge des référés du Conseil d’Etat par deux ordonnances rendues le 26 juillet 2021.

Plusieurs professionnels du secteur de la culture tels que la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) avaient en effet saisi le juge du référé-liberté du Conseil d’Etat pour qu’il suspende les dispositions du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la sortie de crise, tel que modifié par le décret n° 2021-955 du 19 juillet 2021, en ce qu’elles élargissaient l’obligation de présenter un passe sanitaire (test virologique négatif, certificat vaccinal ou de rétablissement) aux établissements de culture et de loisirs regroupant plus de 50 personnes, à compter du 21 juillet 2021.

A l’appui de sa requête, les associations requérantes soutenaient que l’extension du passe sanitaire portait une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales telles que la liberté d’expression, la libre communication des idées ou bien encore la liberté d’accès aux œuvres culturelles dès lors que de nombreux spectateurs n’ayant pas encore reçu les deux doses du vaccin pouvaient se voir refuser l’accès à ces lieux culturels. Les requérantes estimaient également que cette mesure était de nature à occasionner une baisse importante de la fréquentation, entraînant par la même occasion une perte substantielle de chiffre d’affaires pour les professionnels du monde de la culture, à laquelle s’ajoutait des charges financières supplémentaires qu’imposaient la mise en place des contrôles.

Les requérantes se prévalaient également de la différence de traitement existant entre les lieux de culture et de loisirs d’une part, et les restaurants, cafés, centres commerciaux, trains et cars d’autre part, l’extension du passe sanitaire au monde de la culture intervenant dès le 21 juillet, alors que les autres lieux précités disposaient d’un délai supplémentaire jusqu’au 1er août. Les requérantes estimaient ainsi que cette différence de traitement était discriminatoire. Enfin, les requérantes soutenaient que cette extension du passe sanitaire n’était ni adaptée ni proportionnée aux objectifs sanitaires, eu égard au nombre de nouveaux cas, au taux de positivité et au nombre de nouvelles hospitalisations et d’admissions en services de réanimation, tous ces indicateurs étant en baisse depuis mars 2021.

En réponse aux moyens de l’association requérante, le juge des référés du Conseil d’Etat a tout d’abord relevé que la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 permettait bien au Premier ministre d’imposer la présentation d’un passe sanitaire pour les personnes souhaitant accéder à des grands rassemblements, en rappelant que celui-ci a, en cas de circonstances exceptionnelles, le pouvoir de prendre des mesures de police pour l’ensemble du territoire, lorsque les lois en vigueur ne permettent pas de répondre à une situation d’urgence, et en particulier dans l’attente de l’adoption d’une nouvelle loi.

En se fondant sur l’ensemble des données scientifiques disponibles à la date du 19 juillet 2021 (taux d’incidence, tension hospitalière), le juge des référés a constaté que la situation épidémiologique s’était récemment dégradée, en raison de la diffusion croissante du variant Delta, cette situation étant susceptible de se dégrader encore davantage dans le courant du mois d’août, selon les modalisations de l’Institut Pasteur, alors même que la couverture vaccinale de la population demeure insuffisante.

Le juge des référés a également relevé qu’à la date à laquelle il statuait devait intervenir une modification de la loi du 31 mai 2021 afin de redéfinir le périmètre des lieux dont l’accès est subordonnée à la présentation d’un passe sanitaire 1)Après l’adoption définitive du projet de loi par le Parlement, le Conseil constitutionnel a finalement validé l’extension du passe sanitaire par sa décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021. La loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a été promulguée le même jour.. Les mesures prévues par le décret n’auraient donc en toute hypothèse qu’une application brève après la date de sa décision.

Dans ce contexte, le juge des référés a jugé que l’extension dès le 21 juillet du passe sanitaire aux lieux culturels ne portait pas une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales dont se prévalaient les requérantes.

Depuis le début de la crise sanitaire, le juge des référés du Conseil d’Etat a été amené à de multiples reprises à se prononcer sur la validité des mesures attentatoires aux libertés publiques, en en validant la grande majorité dès lors qu’elles se justifiaient par la nécessité de limiter la circulation de la Covid-19.

Par une ordonnance du 6 mai 2021 2)CE 6 mai 2021 M. E et autre, req. n° 451940, le juge des référés du Conseil d’Etat avait par exemple considéré que le maintien de mesures de restrictions de déplacement à l’égard des personnes vaccinées ou ayant contracté la Covid-19 se justifiait par la dégradation de la situation sanitaire sur l’ensemble du territoire. Le juge des référés a également justifié ce maintien par le fait que les personnes vaccinées pouvaient demeurer porteuses du virus et contribuer à la diffusion du virus, nonobstant le fait que la vaccination assurait une protection efficace à ses bénéficiaires.

Le juge des référés du Conseil avait également considéré que la lutte contre la propagation de l’épidémie justifiait la fermeture au public des galeries d’art 3)CE 14 avril 2021 Associations Comité professionnel des galeries d’art, req. n° 451085. Il avait antérieurement refusé de suspendre le décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 prescrivant aux préfets d’instaurer un couvre-feu 4)CE 23 octobre 2020 M. Paul Cassia et autres, req. n° 445430. Le Conseil d’Etat avait également estimé, par une ordonnance du 23 décembre 2020 5)CE 23 décembre 2020 M Y et autres, req. n° 447698, que la fermeture des lieux culturels (cinémas, théâtres et salles de spectacles) était justifiée par la dégradation de la situation sanitaire et les incertitudes pesant sur son évolution à court terme. Le juge des référés avait de même validé la fermeture des bars et des restaurants 6)CE 8 décembre 2020 Union des métiers et des industries de l’hôtellerie et autres, req. n° 446715, ainsi que celle des remontées mécaniques dans les stations de sports d’hiver 7)CE 11 décembre 2020 Domaines skiables de France et autres, req. n° 447208.

 

 

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References   [ + ]

1. Après l’adoption définitive du projet de loi par le Parlement, le Conseil constitutionnel a finalement validé l’extension du passe sanitaire par sa décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021. La loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a été promulguée le même jour.
2. CE 6 mai 2021 M. E et autre, req. n° 451940
3. CE 14 avril 2021 Associations Comité professionnel des galeries d’art, req. n° 451085
4. CE 23 octobre 2020 M. Paul Cassia et autres, req. n° 445430
5. CE 23 décembre 2020 M Y et autres, req. n° 447698
6. CE 8 décembre 2020 Union des métiers et des industries de l’hôtellerie et autres, req. n° 446715
7. CE 11 décembre 2020 Domaines skiables de France et autres, req. n° 447208

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