Mode d’emploi du recours à des labels par les pouvoirs adjudicateurs dans le cadre des procédures de passation de leurs marchés publics

Catégorie

Contrats publics

Date

July 2012

Temps de lecture

4 minutes

CJUE 10 mai 2012 Commission européenne c/ Royaume des Pays-Bas, aff. n° C-368/10

Le 16 août 2008, la province néerlandaise de Hollande-Septentrionale[1] a publié au Journal officiel de l’Union européenne un avis de marché public pour la fourniture et la gestion de machines à café à partir du 1er janvier 2009. Ce marché faisait, à différents niveaux, référence aux labels EKO (certifie des produits biologiques) et MAX HAVELAAR (certifie les produits qui respectent les critères du commerce équitable) pour les ingrédients à fournir (thé et café).

Le recours en manquement déposé, le 22 juillet 2010, par la Commission européenne va être l’occasion pour la CJUE de préciser les conditions dans lesquelles un pouvoir adjudicateur peut recourir à des labels dans le cadre de la commande publique.

 

1 En premier lieu, la CJUE rappelle que les « spécifications techniques », qui définissent les caractéristiques requises d’un produit, peuvent être formulées en termes de performances ou d’exigences fonctionnelles, lesquelles peuvent inclure des caractéristiques environnementales.

Ces « spécifications techniques » « doivent permettre l’accès égal des soumissionnaires et ne pas avoir pour effet de créer des obstacles injustifiés à l’ouverture des marchés publics à la concurrence, qu’elles doivent être suffisamment précises pour permettre à ceux-ci de déterminer l’objet du marché et aux pouvoirs adjudicateurs de l’attribuer, et qu’il y a lieu de les mentionner clairement, de façon à ce que tous les soumissionnaires sachent ce que recouvrent les critères établis par le pouvoir adjudicateur » (point 62).

Dans ce cadre, la cour estime que si un pouvoir adjudicateur peut recourir aux spécifications détaillées d’un éco-label (comme le label EKO en l’espèce), elle ne peut pas en revanche imposer cet éco-label en tant que tel.

C’est donc une sorte de référence « indirecte » que la cour semble autoriser (cf. notamment points 61 à 70), l’éco-label en lui-même n’étant pour les candidats qu’un moyen de preuve faisant présumer qu’ils respectent les exigences fixées. Bien plus, s’agissant de la preuve, la cour ajoute que « les pouvoirs adjudicateurs doivent admettre tout autre moyen de preuve approprié » (point 65)[2].

En outre, on soulignera que la Cour définit les « spécifications techniques » comme s’attachant « exclusivement aux caractéristiques des produits eux-mêmes, de leur fabrication, de leur emballage ou de leur utilisation ». Par conséquent, les conditions dans lesquelles le fournisseur a acquis les produits du producteur (label MAX HAVELAAR) ne sont pas au nombre des « spécifications techniques » (points 73 et 74).

En revanche, de telles conditions se rapportent à l’exécution même du marché qui « [peut] notamment viser des considérations d’ordre social » (points 75 et 76).

 

2 En deuxième lieu, la CJUE va s’interroger sur le recours aux labels EKO et MAX HAVELAAR précités en tant que, cette fois-ci, critères d’attribution au sens de l’article 53 de la directive 2004/18. En effet, le pouvoir adjudicateur avait également « établi un critère d’attribution consistant dans le fait que les ingrédients à fournir soient munis [de ces labels] »[3].

La CJUE rappelle, tout d’abord, les grands principes en la matière :

►        Les pouvoirs adjudicateurs peuvent choisir des critères fondés sur des considérations d’ordre environnemental ou d’ordre social qui concernent les utilisateurs ou les bénéficiaires du marché, mais également d’autres personnes ;

►        Les critères d’attribution doivent être liés à l’objet du marché ;

►        Les critères d’attribution doivent être objectifs afin d’éviter que le pouvoir adjudicateur ne dispose d’« une liberté de choix inconditionnée » ;

►        La formulation des critères d’attribution doivent permettre aux soumissionnaires d’en connaître la portée exacte et, donc, de les interpréter de manière identique (points 84 à 88).

Puis, la CJUE admet que le critère d’attribution présente un lien suffisant avec l’objet du marché notamment parce qu’il « concerne des caractéristiques environnementales et sociales » (point 89).

Toutefois, c’est la mise en œuvre de ce critère que le juge de l’Union européenne vient sanctionner. Appliquant son raisonnement relatif aux « spécifications techniques » (cf. supra), la CJUE juge en effet que « le fait que certains produits à fournir soient munis de labels déterminés donnerait lieu à l’octroi d’un certain nombre de points dans le cadre du choix de l’offre économiquement la plus avantageuse, sans [que le pouvoir adjudicateur ait] énuméré les critères sous-jacents à ces labels ni autorisé que la preuve qu’un produit satisfait à ces critères sous-jacents soit apportée par tout moyen approprié » constitue un critère d’attribution incompatible avec l’article 53 de la directive 2004/18 (point 97).

Là encore, il s’agit pour le pouvoir adjudicateur de renvoyer non pas au label en lui-même, mais à ses caractéristiques.

 

3 En troisième et dernier lieu, le juge communautaire était appelé à se prononcer sur le fait « [d’imposer] à l’adjudicataire, en substance, de respecter les critères de durabilité des achats et de responsabilité sociale des entreprises » (point 98).

La cour relève, tout d’abord, qu’il s’agissait là d’un « niveau minimal de capacité » exigé par le pouvoir adjudicateur, en application des articles 44, paragraphe 2, et 48 de la directive 2004/18.

Le juge de l’Union européenne rappelle, ensuite, que « ces niveaux ne peuvent être fixés, en vertu du premier alinéa de cette dernière disposition, que par référence aux éléments énumérés audit article 48, s’agissant des capacités techniques et professionnelles » (point 105).

Or, en l’espèce, le « niveau minimal de capacité » en question ne se rattachait à aucun des éléments figurant à l’article 48 précité. Plus précisément, la cour relève que les informations demandées au titre de cette exigence « ne sauraient être assimilées à une description de l’équipement technique, des mesures employées par le fournisseur pour s’assurer de la qualité et des moyens d’étude et de recherche de son entreprise », le terme qualité devant s’entendre comme « la qualité technique des prestations ou des fournitures d’un type semblable à celui des prestations ou des fournitures qui constituent l’objet du marché considéré » (point 107).

Enfin, parachevant « son œuvre » pédagogique sur ce dernier point, la CJUE souligne qu’il est également porté atteinte au principe de transparence.

On rappellera que ce principe implique notamment que toutes les conditions et modalités de la procédure de passation doivent être « formulées de manière claire, précise et univoque, dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges, de façon, d’une part, à permettre à tous les soumissionnaires raisonnablement informés et normalement diligents d’en comprendre la portée exacte et de les interpréter de la même manière et, d’autre part, à mettre le pouvoir adjudicateur en mesure de vérifier effectivement si les offres des soumissionnaires correspondent aux critères régissant le marché en cause » (point 109).

Il est vrai que « des exigences relatives au respect des «critères de durabilité des achats et de responsabilité sociale des entreprises» ainsi qu’à l’obligation de «contribue[r] à rendre le marché du café plus durable et à rendre la production de café écologiquement, socialement et économiquement responsable» ne présentent pas un degré de clarté, de précision et d’univocité » permettant d’en déterminer la portée exacte (point 110).


[1] Province du Royaume des Pays-Bas.

[2] Comme un dossier technique du fabricant ou un rapport d’essai d’un organisme reconnu.

[3] Le fait que les ingrédients portent les labels EKO et/ou MAX HAVELAAR donnait lieu « à l’octroi d’un certain nombre de points dans le cadre du classement des offres en concurrence aux fins de l’attribution du marché » (point 93).

 

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