Notre affaire à tous : l’Etat condamné pour carence fautive – L’Affaire du Siècle

Catégorie

Environnement

Date

February 2021

Temps de lecture

5 minutes

TA Paris 3 février 2021 Association notre affaire à tous et a., req. n° 1904967-1904968-1904972-1904976

Par des requêtes introduites le 14 mars 2019 devant le tribunal administratif de Paris, les associations Oxfam France, Notre Affaire à tous, Fondation pour la Nature et l’Homme et Greenpeace France ont demandé au juge administratif de reconnaître la carence de l’Etat français dans la lutte contre le changement climatique, de le condamner à réparer non seulement leur préjudice moral mais également le préjudice écologique et de mettre un terme aux manquements de l’Etat à ses obligations.

Par un jugement rendu ce mercredi 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris a reconnu l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique (1). Pour la première fois, il juge que la carence partielle de l’Etat français à respecter les objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engage sa responsabilité (2). La réparation du préjudice écologique devra s’effectuer en nature (3).

1.            La reconnaissance d’un préjudice écologique résultant du changement climatique

L’article 1246 du code civil prévoit que « Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer ». Et, l’article 1247 du code civil précise que « Est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ».

Les associations requérantes soutenaient que les manquements commis par l’Etat sont à l’origine d’un dommage environnemental caractérisé par l’aggravation du changement climatique ou par l’impossibilité d’y remédier. Elles soutenaient que ce dommage porte une atteinte aux fonctions écologiques de l’atmosphère, constitutive d’un préjudice écologique actuel, et d’un préjudice futur certain car les gaz à effet de serre anthropiques ont une durée de vie de 12 à 120 ans dans l’atmosphère, ce qui implique que l’arrêt immédiat des émissions n’empêcherait pas la température globale d’augmenter pendant encore plusieurs décennies.

Le tribunal administratif de Paris a rejoint l’analyse des requérantes en estimant que l’existence d’un tel préjudice, non contestée par l’Etat, se manifestait notamment par l’augmentation constante de la température globale moyenne de la Terre, responsable d’une modification de l’atmosphère et de ses fonctions écologiques. Le tribunal administratif se fonde en particulier sur les derniers rapports spéciaux publiés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) (en indiquant au passage que la France participe au financement de ces rapports et adhère aux conclusions qui en sont tirées), lesquels indiquent que l’augmentation constante de la température globale moyenne de la Terre, est due principalement aux émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique (considérant 16).

Il a également reconnu le préjudice moral causés aux intérêts collectifs défendus par chacune des associations requérantes en leur accordant un euro symbolique (article 3).

2.          L’engagement de la responsabilité de l’Etat pour carence fautive

2.1        Les associations requérantes soutenaient que l’État est responsable de l’aggravation du préjudice écologique résultant des émissions à effet de serre à hauteur de l’insuffisance de son action pour atteindre les objectifs qu’il s’est lui-même fixés en matière :

  • d’amélioration de l’efficacité énergétique,
  • d’augmentation de la part des énergies produites à partir de sources renouvelables
  • et de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

S’agissant des deux premiers points, le tribunal relève tout d’abord que la politique énergétique, telle qu’elle est prévue dans le code de l’énergie (art. L. 100-1 à L. 100-4) et dans le décret du 27 octobre 2016 relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie (article 2) doit préserver la santé humaine et l’environnement, en particulier en luttant contre l’aggravation de l’effet de serre, et fixe à cette fin des objectifs de réduction de la consommation d’énergie primaire fossile (considérant 23).

Le tribunal a ensuite constaté, en se fondant ici encore sur des études techniques 1)Notamment une étude de l’Institut du développement durable et de relations internationales, rapports de la France d’avril 2019 et juin 2020, transmis en application de la directive 2012/27/UE du Parlement et du Conseil du 25 octobre 2012 relative à l’efficacité énergétique, les rapports de la France d’avril 2019 et juin 2020, transmis en application de la directive 2012/27/UE du Parlement et du Conseil du 25 octobre 2012 relative à l’efficacité énergétique, et les données d’Eurostat, direction générale de la Commission européenne chargée de l’information statistique à l’échelle communautaire, qu’en France (considérants 24 et 27). que les objectifs fixés en matière d’amélioration de l’efficacité énergétique et de l’augmentation de la part des énergies renouvelables n’ont pas été respectés et que cette carence a contribué à ce que l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre ne soit pas atteint. Le tribunal juge cependant qu’il ne s’agit de deux des politiques sectorielles mobilisables et qu’elles ne peuvent pas être regardées comme ayant contribué directement à l’aggravation du préjudice écologique.

Il écarte également le moyen soulevé par les associations requérantes relatif à l’insuffisance des mesures d’évaluation et de suivi et des mesures d’adaptation du territoire national aux effets du changement climatique en jugeant que l’insuffisance de ces mesures, à la supposer établie, ne peut être regardée comme ayant directement causé le préjudice écologique.

En revanche, le tribunal administratif, se fondant sur des rapports annuels publiés en juin 2019 et juillet 2020 par le Haut Conseil pour le climat 2)Organe indépendant créé par décret du 14 mai 2019 afin d’émettre des avis et recommandations sur la mise en œuvre des politiques et mesures publiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France et sur des données collectées par le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA) 3)Opérateur de l’État qui réalise, chaque année, pour le compte du ministère de la transition écologique, l’inventaire des émissions dans l’air de gaz à effet de serre français juge que l’État doit être regardé comme responsable d’une partie du préjudice écologique constaté dès lors qu’il n’a pas respecté ses engagements dans le cadre du premier budget carbone, en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (considérant 30).

Ce faisant, le tribunal reconnait que le lien de causalité entre la carence fautive de l’Etat et le préjudice écologique constaté peut être établi.

En outre, par cette décision, le juge administratif reconnait l’invocabilité de ce préjudice à l’encontre d’une personne publique.

2.2       En constatant le non-respect par l’Etat de ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le tribunal administratif de Paris s’inscrit dans la lignée ouverte par le Conseil d’Etat. Dans le contentieux climatique introduit par la commune de Grande-Synthe 4)CE 19 novembre 2020 Commune de Grande-Synthe et autres, req. n° 427301 commenté sur le blog, le Conseil d’Etat avait constaté qu’au terme de la période 2015-2018, la France avait substantiellement dépassé le premier budget carbone qu’elle s’était assignée et qu’en revoyant à la baisse l’objectif de réduction des émissions pour la période 2019-2023, une partie des efforts initialement prévus sera ainsi reportée après 2023, ce qui imposera alors de réaliser une réduction des émissions en suivant une trajectoire qui n’a jamais été atteinte jusqu’ici. Le Conseil d’Etat estimait ne pas pouvoir, en l’état se prononcer sur le moyen relatif au refus implicite de prendre toute mesure utile permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre et a ordonné un supplément d’instruction de trois mois (ce délai arrive d’ailleurs bientôt à échéance).

Avec cette nouvelle décision du 3 février 2021, la juridiction administrative confirme qu’elle accepte de jouer le rôle de gardien du respect par l’Etat des engagements climatiques, dans la droite lignée des autres contentieux climatiques internationaux (voir par exemple l’affaire « Asghar Leghari » au Pakistan ou l’affaire « Urgenda » au Pays-Bas).

3.           Sur les modalités de la réparation du préjudice écologique

L’article 1249 du code civil prévoit que la réparation du préjudice écologique doit s’effectuer par priorité en nature ; et qu’en cas d’impossibilité de droit ou de fait ou d’insuffisance des mesures de réparation, le juge condamne alors le responsable à verser des dommages et intérêts, affectés à la réparation de l’environnement.

En l’espèce, le tribunal a fait application des dispositions précitées du code civil et a rejeté les conclusions des associations requérantes tendant à la réparation pécuniaire de ce préjudice. En revanche, le tribunal a considéré que les requérantes étaient fondées à demander la réparation en nature du préjudice écologique.

Considérant que l’état de l’instruction ne lui permettait pas de déterminer avec précision les mesures qui doivent être ordonnées à l’État pour réparer le préjudice causé ou prévenir son aggravation, les juges ont ordonné, avant-dire droit, un supplément d’instruction de deux mois. Celui-ci vise à communiquer à l’ensemble des parties les observations non communiquées des ministres compétents, qui avaient été sollicitées par le tribunal mais n’avaient produit que tardivement.

Une nouvelle décision interviendra donc en principe au printemps, et indiquera les modalités concrètes de réparation en nature qui devront être mises en œuvre.

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1. Notamment une étude de l’Institut du développement durable et de relations internationales, rapports de la France d’avril 2019 et juin 2020, transmis en application de la directive 2012/27/UE du Parlement et du Conseil du 25 octobre 2012 relative à l’efficacité énergétique, les rapports de la France d’avril 2019 et juin 2020, transmis en application de la directive 2012/27/UE du Parlement et du Conseil du 25 octobre 2012 relative à l’efficacité énergétique, et les données d’Eurostat, direction générale de la Commission européenne chargée de l’information statistique à l’échelle communautaire, qu’en France (considérants 24 et 27).
2. Organe indépendant créé par décret du 14 mai 2019 afin d’émettre des avis et recommandations sur la mise en œuvre des politiques et mesures publiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France
3. Opérateur de l’État qui réalise, chaque année, pour le compte du ministère de la transition écologique, l’inventaire des émissions dans l’air de gaz à effet de serre français
4. CE 19 novembre 2020 Commune de Grande-Synthe et autres, req. n° 427301 commenté sur le blog

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