Réduction des émissions de gaz à effet de serre : le dire c’est bien, le faire c’est mieux

Catégorie

Environnement

Date

November 2020

Temps de lecture

4 minutes

CE 19 novembre 2020 Commune de Grande-Synthe et autres, req. n° 427301

Par un arrêt du 19 novembre 2020, le Conseil d’Etat s’est prononcé pour la première fois sur un contentieux climatique : il donne trois mois au Gouvernement pour justifier que la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre à horizon 2030 pourra être respectée.

1           La multiplication des contentieux climatiques

Au travers d’actions en justice, le contentieux climatique a pour objectif de faire fléchir les politiques climatiques gouvernementales. Plus généralement, ces actions demandent au juge de se prononcer sur les responsabilités en matière de changement climatique.

Le phénomène des procès climatiques a émergé au cours des années 2000 et s’est multiplié depuis 2015 et l’affaire « Urgenda » au Pays-Bas, dans laquelle, par un jugement du 24 juin 2015 (confirmé ensuite en appel et en cassation), le tribunal de première instance de la Haye a reconnu la responsabilité de l’Etat et son devoir d’agir plus efficacement dans la lutte contre le dérèglement climatique dont il est responsable au nom de son devoir de diligence 1)Urgenda Foundation v. State of the Netherlands, Rechtbank Den Haag, 24 juin 2015, n°C/09/456689/ HA ZA 13-1396.

En France, plusieurs actions dirigées contre l’Etat ont été introduites devant les juridictions administratives.

L’action la plus médiatisée est sans doute l’Affaire du siècle, portée par plusieurs associations dont Greenpeace France, Oxfam France ou Notre Affaire A Tous. Ces associations ont assigné l’État français devant le Tribunal administratif de Paris pour inaction face aux changements climatiques. Cette affaire est actuellement en cours d’instruction.

La commune de Grande-Synthe a, quant à elle, intenté deux recours pour excès de pouvoir contre l’Etat. Le premier est celui jugé par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 19 novembre 2020. Une seconde affaire suivra puisqu’en février 2019, la commune et son maire ont, cette fois-ci, saisi le Conseil d’Etat d’un recours dirigé contre le second plan national d’action contre le changement climatique (PNACC2) présenté en décembre 2018 par le Gouvernement. Ils soutiennent que ce plan est sans aucune portée (aucune mesure chiffrée ni aucun moyen juridique ou financier de nature à permettre une réelle adaptation au changement climatique).

2          L’affaire de la commune de Grande-Synthe, premier contentieux climatique porté devant le Conseil d’Etat

Par une requête introduite le 23 janvier 2019, la commune de Grande-Synthe a saisi le Conseil d’Etat d’un recours tendant à l’annulation du refus implicite opposé à sa demande par le Gouvernement de prendre des mesures supplémentaires pour que soit respectés les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre issus de l’Accord de Paris.

2.1        Sur l’intérêt à agir de la commune de Grande-Synthe et des intervenants

Le Conseil d’Etat juge d’abord qu’en raison de la position géographique de la commune (littoral de la mer du Nord), celle-ci est particulièrement exposée aux effets du changement climatique et en particulier à des risques accrus d’inondation et d’épisodes de sécheresse.

Il considère également recevables les interventions des villes de Paris et Grenoble pour lesquelles le phénomène du réchauffement climatique va conduire à une augmentation des pics de chaleur et des inondations en raison de l’accroissement des pluies hivernales.

2.2       Sur le contrôle du respect des objectifs climatiques

Pour rappel, depuis l’adoption de l’Accord de Paris sur le climat du 12 décembre 2015, conclu dans le cadre de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques du 9 mai 1992, les signataires se sont engagés à lutter contre les effets du changement climatique induits par l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre.

Le Conseil d’Etat juge tout d’abord que si les dispositions de la convention-cadre et des Accords de Paris sont dépourvues d’effet direct, elles doivent être prises en considération dans l’interprétation des dispositions de droit national.

Sur le plan national justement, la France a adopté la loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte qui a modifié l’article L. 100-4 du code de l’énergie et fixé des objectifs climatiques et, en particulier, un objectif de réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. Elle a également adopté, pour la première fois en 2015, une Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et des budgets carbone afin de renforcer les moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs fixés par voie législative. Ainsi l’article 2 du décret du 18 novembre 2015 (pris en application des dispositions de l’article L. 222-1-A du code de l’environnement) a fixé pour la période 2015- 2018, une valeur limite de 442 Mt de CO2 équivalent par an.

Les budgets carbone pour les périodes 2019-2023, 2024-2028, et 2029-2033 ont été adoptés par le décret n°2020-457 du 21 avril 2020. Ce décret revoit à la baisse l’objectif de réduction des émissions pour la période 2019-2023.

En pratique, le Conseil d’Etat relève que :

  • au terme de la période 2015-2018, la France a substantiellement dépassé le premier budget carbone qu’elle s’était assignée, d’environ 62 Mt de CO2eq par an, réalisant une baisse moyenne de ses émissions de 1 % par an au lieu de 2,2 % par an ;
  • en revoyant à la baisse l’objectif de réduction des émissions pour la période 2019-2023, une partie des efforts initialement prévus est ainsi reportée après 2023, ce qui imposera alors de réaliser une réduction des émissions en suivant une trajectoire qui n’a jamais été atteinte jusqu’ici ;
  • en outre, les données scientifiques les plus récentes, et en particulier les rapports publiés par le GIEC mettent au contraire en évidence une aggravation des risques climatiques, de sorte que la Commission européenne envisage de proposer d’augmenter l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne pour 2030 (– 55 % par rapport au niveau d’émission de 1990).

Pour toutes ces raisons, le Conseil d’Etat estime ne pas pouvoir, en l’état se prononcer sur le moyen relatif au refus implicite de prendre toute mesure utile permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national.

C’est pourquoi, il ordonne un supplément d’instruction et demande au Gouvernement, de lui indiquer, dans un délai de trois mois, les moyens mis en œuvre pour parvenir à cet infléchissement.

Si dans ce délai, le Gouvernement n’est pas parvenu à fournir les éléments requis, le Conseil d’État pourra alors faire droit à la requête de la commune et annuler le refus de prendre des mesures supplémentaires permettant de respecter la trajectoire prévue pour atteindre l’objectif de – 40 % à horizon 2030.

Ce contrôle du Conseil d’Etat sur les moyens mis en œuvre pour lutter contre le changement climatique n’est pas sans rappeler une précédente décision rendue cette année en matière de pollution de l’air et par laquelle le Conseil d’État a ordonné au Gouvernement d’agir, sous astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard 2)CE 10 juillet 2020 Association les Amis de la Terre France, req. n° 428409 [commenté par Adden].

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References   [ + ]

1. Urgenda Foundation v. State of the Netherlands, Rechtbank Den Haag, 24 juin 2015, n°C/09/456689/ HA ZA 13-1396
2. CE 10 juillet 2020 Association les Amis de la Terre France, req. n° 428409 [commenté par Adden]

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