Nouvelle application de la jurisprudence Czabaj à la notification des décisions non réglementaires qui ne présentent pas le caractère de décisions individuelles

Catégorie

Droit administratif général, Urbanisme et aménagement

Date

October 2020

Temps de lecture

5 minutes

CE 25 septembre 2020 Société La Chaumière, req. n° 430945 : publié au Rec. CE

1             Contexte du pourvoi

La commune de Megève a, en application des dispositions de l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme, souhaité intégrer à son domaine public diverses voies privées ouvertes à la circulation publique, dont l’emprise se situait notamment sur des parcelles appartenant à la société La Chaumière et à sa gérante, Madame A.

Face à l’opposition de plusieurs propriétaires au classement ainsi envisagé, celui-ci a été réalisé, à la demande de la commune de Megève, par arrêté préfectoral du 3 août 2006.

Cette décision a été notifiée le 17 août 2006 à la société La Chaumière et à Madame A. par lettres recommandées avec accusé de réception, sans qu’y soit mentionnés les voies et délais de recours permettant sa contestation.

Dix ans plus tard, par requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de Grenoble le 23 décembre 2016, la société La Chaumière et sa gérante ont introduit un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de cet acte administratif, en tant qu’il prononce le classement d’office et sans indemnité de leurs parcelles dans le domaine public communal.

Par jugement du 20 février 2018, cette requête a été jugée irrecevable pour tardiveté. Saisie par les requérants, la Cour administrative d’appel de Lyon a confirmé la position du tribunal administratif, par un arrêt du 21 mars 2019, au motif que si la notification de la décision de transfert des voies privées dans le domaine public était incomplète, de sorte que le délai de recours de deux mois ne leur était pas applicable, l’atteinte au droit de propriété ne justifiait pas qu’un tel recours puisse être introduit au-delà du délai raisonnable d’un an dans lequel il pouvait être exercé.

C’est dans ce contexte que la société La Chaumière et Madame A. ont formé un pourvoi tendant à l’annulation de cet arrêt.

2             Décision du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat indique que la décision prononçant le transfert de voies privées dans le domaine public communal doit être notifiée aux propriétaires concernés et que l’insuffisance de cette notification fait obstacle à ce que leur soit opposé le délai de recours contentieux de deux mois (2.1). Il fait ensuite application de la jurisprudence dégagée dans la décision « Czabaj » 1)CE 13 juillet 2016 Czabaj, req. n° 387763, publié au Rec. CE. sur l’exigence de respect d’un délai raisonnable pour introduire un recours contentieux à une décision non réglementaire non constitutive d’une décision individuelle (2.2).

2.1          Les décisions administratives prononçant le transfert de voies privées dans le domaine public communal doivent être notifiées aux propriétaires intéressés, peu important que celles-ci aient parallèlement été publiées ou affichées.

Ce principe avait initialement été dégagé par une décision du Conseil d’Etat, fichée sur ce point 2)CE 13 octobre 2016 Commune de La Colle-sur-Loup, req. n° 381574 : mentionné aux Tables Rec. CE..

Le Conseil d’Etat rappelle que le délai de deux mois, à compter de la notification ou de la publication d’une décision administrative, au cours duquel un recours en annulation peut être introduit à l’encontre de celle-ci, en application des articles R. 421-1 et R. 421-5 du code de justice administrative (CJA), n’est opposable qu’à la condition d’avoir été mentionné, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision.

Au cas présent, le Conseil d’Etat a considéré qu’en jugeant qu’en l’absence de mention des voies et délais de recours à l’occasion de la notification de la décision de transfert des parcelles, cette notification était insuffisante et rendait à ce titre inopposable, aux propriétaires des parcelles transférées, le délai de recours de deux mois, la Cour administrative d’appel de Lyon n’avait pas entaché sa décision de dénaturation et ne s’était pas fondée sur des faits matériellement inexacts.

2.2          Cependant, le principe de sécurité juridique doit aussi trouver à s’appliquer. C’est pourquoi, en application sa jurisprudence dite « Czabaj » 3)CE 13 juillet 2016 Czabaj, req. n° 387763, publié au Rec. CE., le Conseil d’Etat rappelle que « le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance » (considérant 5 de l’arrêt commenté).

La Haute Juridiction indique que le délai pour introduire un recours à l’encontre d’une décision de transfert de voies privées dans le domaine public communal ne peut excéder un an, en reprenant son considérant de principe, ainsi énoncé :

« En une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance. »

En l’espèce, le Conseil d’Etat confirme la position de la Cour administrative de Lyon ayant refusé de qualifier de circonstances particulières l’atteinte au droit de propriété invoquée par les requérants.

Ainsi, la saisine du tribunal administratif de Grenoble intervenue le 23 décembre 2016, soit plus de 10 ans après la notification de la décision de transfert critiquée, a été jugée tardive.

Le pourvoi de la société La Chaumière et de Madame A. est ainsi rejeté.

Cette décision du 25 septembre 2020 donne l’occasion au Conseil d’Etat d’étendre sa jurisprudence « Czabaj » aux recours formés contre les décisions de transfert des voies privées dans le domaine public dès lors que la contestation émane des destinataires de leur notification, après en avoir consacré l’application pour d’autres types de recours et notamment aux recours juridictionnels devant être précédés d’un recours administratif obligatoire 4)CE 31 mars 2017 Ministre des finances c/ Amar, req. n° 389842 : Rec. CE., aux recours contre les décisions explicites de rejet à objet exclusivement pécuniaire 5)CE 9 mars 2018 Communautés de communes du pays Roussillonnais, req. n° 405355 : mentionné aux tables du Rec. CE., et contre les titres exécutoires 6)CE 9 mars 2018 Communauté d’agglomération du pays ajaccien, req. n° 401386 : mentionné aux tables du Rec. CE., aux recours formés contre les décisions implicites de rejet 7)CE 18 mars 2019 M. B. C/ Préfet du Val-de-Marne, req. n° 417270 : Rec. CE., au contentieux de l’urbanisme 8)CE 9 novembre 2018 SCI Valmore et autres, req. n° 409872 : mentionné aux tables du Rec. CE ; ayant déjà fait l’objet d’un article sur notre blog., et notamment aux décisions de préemption 9)CE 16 décembre 2019 Commune de Montreuil, req. n° 419220 : Mentionné aux tables du Rec. CE ; ayant déjà fait l’objet d’un article sur notre blog., et à l’exception d’illégalité des actes individuels 10)CE 27 février 2019 M. A. c/ ministre de l’action et des comptes publics, req. n° 418950 : Rec. CE ; ayant déjà fait l’objet d’un article sur notre blog.. En revanche, le Conseil d’Etat a récemment refusé d’étendre sa jurisprudence au contentieux indemnitaire de la responsabilité civile 11)CE 17 juin 2019 Centre hospitalier de Vichy, req. n°413097 : Rec. CE, ayant fait l’objet d’un article sur notre blog..

Deux semaines après avoir rendu la décision commentée, le Conseil d’Etat a élargi le champ d’application de la jurisprudence « Czabaj » pour y inclure les décisions de rejet implicites, portant sur une demande de recours gracieux 12)CE 12 octobre 2020 Société Château Chéri, req. n° 429185 : Mentionné aux tables du Rec.CE, ayant fait l’objet d’un article sur notre blog..

 

 

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References   [ + ]

1, 3. CE 13 juillet 2016 Czabaj, req. n° 387763, publié au Rec. CE.
2. CE 13 octobre 2016 Commune de La Colle-sur-Loup, req. n° 381574 : mentionné aux Tables Rec. CE.
4. CE 31 mars 2017 Ministre des finances c/ Amar, req. n° 389842 : Rec. CE.
5. CE 9 mars 2018 Communautés de communes du pays Roussillonnais, req. n° 405355 : mentionné aux tables du Rec. CE.
6. CE 9 mars 2018 Communauté d’agglomération du pays ajaccien, req. n° 401386 : mentionné aux tables du Rec. CE.
7. CE 18 mars 2019 M. B. C/ Préfet du Val-de-Marne, req. n° 417270 : Rec. CE.
8. CE 9 novembre 2018 SCI Valmore et autres, req. n° 409872 : mentionné aux tables du Rec. CE ; ayant déjà fait l’objet d’un article sur notre blog.
9. CE 16 décembre 2019 Commune de Montreuil, req. n° 419220 : Mentionné aux tables du Rec. CE ; ayant déjà fait l’objet d’un article sur notre blog.
10. CE 27 février 2019 M. A. c/ ministre de l’action et des comptes publics, req. n° 418950 : Rec. CE ; ayant déjà fait l’objet d’un article sur notre blog.
11. CE 17 juin 2019 Centre hospitalier de Vichy, req. n°413097 : Rec. CE, ayant fait l’objet d’un article sur notre blog.
12. CE 12 octobre 2020 Société Château Chéri, req. n° 429185 : Mentionné aux tables du Rec.CE, ayant fait l’objet d’un article sur notre blog.

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