Permis de construire et droits acquis : illustration dans le cadre de l’engagement de la responsabilité de la commune

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

June 2023

Temps de lecture

3 minutes

CE 2 juin 2023 Mme A…, req. n° 449820

Par une décision du 2 juin 2023 publiée au recueil Lebon, le Conseil d’Etat rappelle le principe de non-rétroactivité des actes administratifs appliqué au permis de construire et encadre le régime spécial d’indemnisation prévu à l’article L. 105-1 du Code de l’urbanisme.

1.    Le principe de non rétroactivité des actes administratifs appliqué aux permis de construire

Le Conseil d’Etat suit une jurisprudence ancienne selon laquelle le titulaire d’un permis de construire bénéficie de droits qui ne peuvent être affectés par les dispositions d’un document d’urbanisme entrées en vigueur après la délivrance dudit permis. Par cet arrêt, il confirme que le plan local d’urbanisme est concerné au même titre que le plan d’occupation des sols 1)Voir CE, 26 juillet 1982, req n°23604 à propos des dispositions d’un plan d’occupation des sols.

En l’espèce, Mme A est propriétaire d’un terrain situé en zone agricole selon le PLU de la commune approuvé le 21 juin 2013. Elle est titulaire d’un permis de construire délivré le 17 août 1959, autorisant seulement « la construction d’un immeuble comprenant, au rez-de-chaussée, un atelier, des bureaux et des vestiaires-lavabos, et au premier étage, deux appartements ».

En 2014, le maire de la commune a adressé à la société automobile de Provence, preneuse à bail pour un « usage de bureaux, de dépôt et de parc de matériel et de véhicules » du terrain et de l’immeuble appartenant à Mme A, un courrier indiquant que le stationnement de nombreux bus et autres véhicules, au titre de son activité économique de transport, était contraire aux dispositions de l’article 2 A du règlement du PLU limitant l’affectation des sols dans cette zone à l’exercice d’activités agricoles. La société a alors résilié son contrat de bail.

Mme A a donc sollicité la condamnation de la commune à lui verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait du courrier du maire. Sa demande a été rejetée en première instance comme en appel et Mme A s’est alors pourvue en cassation.

Parmi les moyens soulevés, Mme A soutient qu’elle dispose de droits acquis sur son terrain du fait du permis de construire obtenu en 1959, ce que le PLU de 2013 ne peut remettre en cause.

Tout en rappelant le principe de non-rétroactivité des actes administratifs et notamment du PLU, le Conseil d’Etat indique que le permis de construire de 1959,indépendamment de la construction autorisée, n’autorisait pas le stationnement de nombreux véhicules. L’activité de la société automobile de transport n’est donc pas conforme au PLU et ne peut être comprise dans les droits accordés par le permis de construire.

2.    L’absence d’indemnisation au titre de l’article L. 105-1 du Code de l’urbanisme

Pour mémoire, l’article L. 105-1 du Code de l’urbanisme prévoit que si les servitudes d’utilité publiques n’ouvrent, par principe, pas droit à une indemnité : « […] Toutefois, une indemnité est due s’il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification à l’état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain. Cette indemnité, à défaut d’accord amiable, est fixée par le tribunal administratif, qui tient compte de la plus-value donnée aux immeubles par la réalisation du plan local d’urbanisme approuvé ou du document en tenant lieu. »

Le Conseil d’Etat rappelle que ces dispositions instituent un régime spécial d’indemnisation exclusif de l’application du régime de droit commun de la responsabilité sans faute de l’administration pour rupture d’égalité devant les charges publiques.

Il précise qu’elles ne font toutefois pas obstacle à ce que le propriétaire dont le bien est frappé d’une servitude prétende à une indemnisation dans le cas exceptionnel où il résulte de l’ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la servitude a été instituée et mise en œuvre, ainsi que de son contenu, que ce propriétaire supporte une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi.

Dans cette affaire, les droits de Mme A, qui découlaient du permis de construire, n’ont pas été méconnus. En conséquence, elle ne peut être regardée comme ayant supporté, du fait des dispositions du PLU rappelées dans le courrier du maire, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif poursuivi par la commune.

Pour aller plus loin, on citera notamment l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 29 juin 2016 2)Voir notre article sur l’arrêt CE, 29 juin 2016, req n°375020 par lequel, celui-ci reconnait la responsabilité sans faute de l’Etat suite à l’élaboration d’une carte communale entravant le projet d’une société d’aménagement. Ce projet avait pourtant été élaboré en concertation avec la collectivité, mais n’a pas pu aboutir en raison du défaut de raccordement des terrains d’assiette au réseau d’assainissement par la commune qui s’y était portée engagée.

Selon l’arrêt : « l’approbation de cette carte a eu, en l’espèce, pour effet de classer en zone inconstructible la totalité des terrains dont la société d’aménagement du domaine de Château-Barrault est propriétaire. Ce qui a amoindri la valeur vénale de sa propriété, laquelle occupe une part substantielle du territoire de la commune, et a compromis définitivement ses projets d’aménagement. Les dispositions ainsi adoptées doivent être considérées comme ayant fait peser sur cette société une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi. »

 

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References   [ + ]

1. Voir CE, 26 juillet 1982, req n°23604 à propos des dispositions d’un plan d’occupation des sols
2. Voir notre article sur l’arrêt CE, 29 juin 2016, req n°375020

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