Petits rappels sur l’indemnisation des candidats irrégulièrement évincés d’un marché public

Catégorie

Contrats publics

Date

September 2016

Temps de lecture

5 minutes

CAA Bordeaux 11 octobre 2016 Centre hospitalier de Capesterre-Belle-Eau, req. n° 16BX00695 et 16BX0096 Cinq sociétés ont candidaté en groupement à un appel d’offre passé par l’hôpital local de Capesterre-Belle-Eau sur le fondement des dispositions du code des marchés publics de 2004. Après avoir reçu notification du rejet de leur offre, elles ont exercé un recours pour excès de pouvoir contre la décision d’attribution du marché et celle de le signer. Par un jugement rendu le 10 novembre 2011, le tribunal administratif de Guadeloupe a fait droit à leurs demandes. Estimant avoir été irrégulièrement évincées du marché, les cinq sociétés ont en outre demandé à l’hôpital de les indemniser du préjudice subi. A la suite du rejet de leur demande, les cinq sociétés ont été conduites à saisir le tribunal administratif de Guadeloupe cette fois-ci d’un recours de plein de contentieux par lequel elles demandaient à être indemnisées. Par une décision rendue le 19 novembre 2015, le tribunal administratif de Guadeloupe a condamné l’hôpital à verser des indemnités à chacune des cinq sociétés requérantes allant jusqu’à la somme de 1 091 6547 EUR. L’hôpital a relevé appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Bordeaux. La cour a eu à déterminer si l’éviction des cinq sociétés requérantes composant le groupement était irrégulière (1), si elles étaient fondées à solliciter une indemnisation à ce titre (2) et, enfin, le montant exacte de cette indemnisation (3). 1 Sur le caractère irrégulier de l’éviction du marché 1.1 Tout d’abord, la cour définit la notion d’offre inacceptable, dès lors que celle-ci n’était pas précisée par le code des marchés publics de 2004. Dans le même sens que la définition donnée par l’article 35 du code des marchés publics de 2006 1) « Une offre est inacceptable si les conditions qui sont prévues pour son exécution méconnaissent la législation en vigueur». , la cour considère qu’est inacceptable « une offre qui, si elle avait été retenue, aurait conduit à la signature d’un contrat dont les conditions d’exécution auraient été contraires à la loi ». Elle juge en conséquence que : « Par suite, une offre méconnaissant les règles d’urbanisme applicables sur le territoire d’implantation du projet de construction constituant l’objet du contrat, même si ces règles ne se rapportent pas à la passation des marchés publics, devait être regardée comme inacceptable et ne pouvait dès lors qu’être rejetée » (point 9 de l’arrêt) 2) Pour sa part, le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de juger que l’illégalité d’une ZAC au regard de la « loi Littoral » avait pour conséquence l’illicéité de l’objet de la convention en concédant l’aménagement « et qu’une telle irrégularité du contrat était susceptible de conduire le juge à en prononcer l’annulation » (CE 10 juillet 2013 Commune de Vias, req. n° 362304).. 1.2 Au cas présent, l’offre de la société attributaire était inacceptable dès lors qu’elle méconnaissait le règlement du plan d’occupation des sols s’agissant du nombre de places de stationnement requises pour le projet de construction objet du contrat. 1.3 A cet égard, une offre qui méconnait la législation applicable est désormais une offre non pas « inacceptable » mais « irrégulière » 3) Article 59-I du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.. Et cette modification sémantique n’est pas sans conséquence car, dorénavant, les offres irrégulières sont régularisables sur autorisation de l’acheteur public dans le cadre des procédures d’appel d’offres et des procédures adaptées sans négociation 4) Article 59-II du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.. 2 Sur le principe de l’indemnisation du candidat irrégulièrement évincé 2.1 Ensuite, afin de déterminer si l’éviction irrégulière des cinq sociétés requérantes (au profit d’un candidat dont l’offre n’aurait pas dû être retenue) leur donnait droit à une indemnisation, la cour rappelle une jurisprudence constante 5) Voir en ce sens : CE 7 juin 2010 Société des transports Galiero, req. n° 308883 : mentionné aux tables du Rec. CE – CE 27 janvier 2006 Commune d’Amiens, req. n° 259374 : publié au Rec. CE – CE 18 juin 2003 Groupement d’entreprises solidaires Etpo Guadeloupe société Biwater société aqua TP, req. n° 249630 : mentionné aux tables du Rec. CE. :

    ► Si le candidat évincé était dépourvu de toute chance de remporter le marché, il n’a droit à aucune indemnité. Tel est le cas d’un candidat qui a présenté une offre inappropriée, irrégulière ou inacceptable 6) Voir par exemple en ce sens : TA Cergy-Pontoise 21 mars 2013 Société TRM, req. n° 1003154.. ► Si le candidat évincé n’était pas dépourvu de toute chance de remporter le marché, il a droit au remboursement des frais qu’il a engagés pour présenter son offre. Ce droit s’apprécie notamment au regard des garanties techniques et financières du candidat et du prix qu’il était susceptible de pratiquer 7) CAA Paris 25 octobre 1995 Société Actek, req. n° 93PA01355 : mentionné aux tables du Rec. CE.. Mais encore faut-il que le candidat puisse prouver les frais qu’il a été tenu d’exposer dans le cadre de son offre et notamment les coûts salariaux dont il demande la prise en compte 8) Même arrêt.. ► Si le candidat avait des chances sérieuses d’emporter le marché, il a droit d’être indemnisé de son manque à gagner incluant nécessairement, sauf stipulation contraire du marché, les frais de présentation de l’offre (qui n’ont donc pas à faire l’objet d’une indemnisation spécifique).

2.2 En l’espèce, la cour juge que l’offre du groupement formé par les cinq sociétés requérantes avait effectivement une chance sérieuse de remporter le marché dès lors qu’elle était classée en deuxième position pour l’ensemble des critères derrière l’offre du groupement attributaire et que la commission technique avait souligné le caractère satisfaisant de son projet 9) Voir également en ce sens la décision CAA Paris 20 octobre 2015 SA Teamnet, req. n° 14PA00872 : dans cette espèce le juge a refusé d’indemniser la société requérante de son manque à gagner dès lors qu’elle était classée en troisième position et qu’elle n’établissait pas que les notes attribuées à l’offre classée en deuxième position étaient mal évaluées. . La cour juge en conséquence que les cinq sociétés composant le groupement étaient fondées à demander une indemnisation de leur manque à gagner. 3 Sur le montant de l’indemnisation du candidat irrégulièrement évincé 3.1 Le juge procède ensuite au calcul du manque à gagner de chacune des cinq sociétés irrégulièrement évincées selon la méthode suivante :

    ► Premièrement, le juge prend pour base la quote-part du marché de travaux qui aurait dû être réalisée par chaque société évincée. ► Deuxièmement, le juge déduit de cette somme les primes éventuelles versées aux candidats par le pouvoir adjudicateur 10) En l’espèce des primes ont certainement été attribuées aux candidats sur le fondement de l’article 69 du code des marchés publics de 2004 relatif aux marchés de conception-réalisation. Ces primes visent à rembourser partiellement les candidats pour les études de conception qu’ils ont réalisées dans le cadre de leur candidature. Le nouveau décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics donne aussi la possibilité aux candidats de percevoir une prime notamment lorsque les exigences des documents de la consultation du marché impliquent un investissement significatif (art. 57-III du décret), ou encore dans le cadre d’une procédure de dialogue compétitif (art. 76-V du décret), de concours (art. 88 et 90-III du décret ), de l’attribution d’un marché de conception-réalisation (art. 91 du décret) ou de marchés publics globaux de performance (art. 92 du décret). . ► Troisièmement, le juge applique à cette somme le taux de marge nette réalisée durant les années au cours desquelles aurait dû être exécuté le marché, pour passer du chiffre d’affaires perdu au bénéfice net que la société aurait dû percevoir. Rappelons sur ce point qu’il convient de prendre en compte le bénéfice net qu’aurait procuré le marché à l’entreprise sans déduction de l’impôt sur les sociétés 11) CE 19 janvier 2015 Société SPIE Est, req. n° 384653 : mentionné aux tables du Rec. CE .

3.2 Ainsi, par exemple, le manque à gagner de la société GTM Guadeloupe mandataire du groupement a été calculé comme suit : [(Quote-part du marché de travaux qui aurait dû être réalisée par la société – éventuelle prime reçue au titre de sa candidature) x taux de marge nette réalisée durant les années au cours desquelles aurait dû être exécuté le marché] / 100 = [(42 034 884,85 – 11 223,83) x 3,08] / 100 = 1 294 328,759 EUR.

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1. « Une offre est inacceptable si les conditions qui sont prévues pour son exécution méconnaissent la législation en vigueur».
2. Pour sa part, le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de juger que l’illégalité d’une ZAC au regard de la « loi Littoral » avait pour conséquence l’illicéité de l’objet de la convention en concédant l’aménagement « et qu’une telle irrégularité du contrat était susceptible de conduire le juge à en prononcer l’annulation » (CE 10 juillet 2013 Commune de Vias, req. n° 362304).
3. Article 59-I du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.
4. Article 59-II du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.
5. Voir en ce sens : CE 7 juin 2010 Société des transports Galiero, req. n° 308883 : mentionné aux tables du Rec. CE – CE 27 janvier 2006 Commune d’Amiens, req. n° 259374 : publié au Rec. CE – CE 18 juin 2003 Groupement d’entreprises solidaires Etpo Guadeloupe société Biwater société aqua TP, req. n° 249630 : mentionné aux tables du Rec. CE.
6. Voir par exemple en ce sens : TA Cergy-Pontoise 21 mars 2013 Société TRM, req. n° 1003154.
7. CAA Paris 25 octobre 1995 Société Actek, req. n° 93PA01355 : mentionné aux tables du Rec. CE.
8. Même arrêt.
9. Voir également en ce sens la décision CAA Paris 20 octobre 2015 SA Teamnet, req. n° 14PA00872 : dans cette espèce le juge a refusé d’indemniser la société requérante de son manque à gagner dès lors qu’elle était classée en troisième position et qu’elle n’établissait pas que les notes attribuées à l’offre classée en deuxième position étaient mal évaluées.
10. En l’espèce des primes ont certainement été attribuées aux candidats sur le fondement de l’article 69 du code des marchés publics de 2004 relatif aux marchés de conception-réalisation. Ces primes visent à rembourser partiellement les candidats pour les études de conception qu’ils ont réalisées dans le cadre de leur candidature. Le nouveau décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics donne aussi la possibilité aux candidats de percevoir une prime notamment lorsque les exigences des documents de la consultation du marché impliquent un investissement significatif (art. 57-III du décret), ou encore dans le cadre d’une procédure de dialogue compétitif (art. 76-V du décret), de concours (art. 88 et 90-III du décret ), de l’attribution d’un marché de conception-réalisation (art. 91 du décret) ou de marchés publics globaux de performance (art. 92 du décret).
11. CE 19 janvier 2015 Société SPIE Est, req. n° 384653 : mentionné aux tables du Rec. CE

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