Police des déchets : en l’absence de tout producteur ou détenteur connu, le propriétaire négligent doit être considéré comme le détenteur des déchets entreposés sur son terrain

Catégorie

Environnement

Date

October 2013

Temps de lecture

4 minutes

L’arrêt du Conseil d’Etat en date du 25 septembre 2013 (Société Wattelez et autres, req. n° 358923) marque la fin d’une longue saga judiciaire opposant tour à tour le préfet de la Haute-Vienne, au titre de la police des ICPE, puis le maire de la commune du Palais-sur-Vienne, au titre de la police des déchets, à la société Wattelez, ancienne exploitante d’une usine de régénération de caoutchouc.

Pour mémoire, après avoir obtenu des autorisations d’exploitation en 1939 et 1976, la société Wattelez a cédé son fonds de commerce à la société Eureca en 1989. Cette dernière s’est ainsi substituée à la société Wattelez en qualité d’exploitante. La société Wattelez a toutefois conservé la propriété du terrain sur lequel la société Eureca entreposait des pneumatiques usagés.

Par la suite, la société Eureca a fait l’objet d’une liquidation judiciaire. Dans les années 90, le préfet de la Haute-Vienne a donc pris plusieurs arrêtés à l’encontre de la société Wattelez sur le fondement de la législation ICPE.

Ces arrêtés ont tous été contestés avec succès par la société Wattelez, le juge administratif appliquant, en matière d’ICPE, une jurisprudence constante selon laquelle c’est à l’exploitant d’une installation classée, à son ayant-droit ou à celui qui s’est substitué à lui qu’incombe la mise en œuvre des mesures permettant de remettre en état le site. Or, « ni le dépôt de bilan ni la mise en liquidation de biens de la société Eureca en février 1991 (…) n’ont eu pour effet de substituer la société Wattelez à la société Eureca en qualité d’exploitant (…) ». Ainsi, « (…) la société Wattelez ne pouvait, en sa seule qualité de propriétaire des terrains et installations, faire l’objet des mesures prévues à l’article 23 de la loi du 19 juillet 1976 ; que dès lors, le préfet de la Haute-Vienne ne pouvait légalement (…) mettre en demeure la société Wattelez de faire évacuer les déchets de caoutchouc et de vieux pneumatiques entreposés dans l’enceinte de l’usine (…) » (CE 21 février 1997 Min. Env. c/ SA Wattelez, req. n° 160787).

Afin d’obtenir l’élimination de ces pneumatiques usagés, le maire de Palais-sur-Vienne s’est donc tourné vers la police spéciale des déchets et a pris, sur le fondement de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, un arrêté mettant en demeure la société Wattelez de prendre toutes mesures pour éliminer les déchets se trouvant sur sa propriété sous peine d’exécution d’office à ses frais.

Après s’être heurté à la position de la Cour administrative d’appel de Bordeaux qui considérait que la société Wattelez ne pouvait être considérée comme détenteur des déchets en sa seule qualité de propriétaire du terrain sur lequel ils ont été entreposés et ce, en l’absence de tout acte d’appropriation (CAA Bordeaux 6 avril 2009, req. n° 08BX00315), le maire a fini par obtenir gain de cause devant le Conseil d’Etat.

En effet, par un arrêt en date du 26 juillet 2011, la Haute Juridiction a considéré que le propriétaire du terrain sur lequel ont été entreposés des déchets peut, en l’absence de détenteur connu de ces déchets, être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligences à l’égard d’abandons sur son terrain (CE 26 juillet 2011 Commune de Palais-sur-Vienne, req. n° 328651).

Le Conseil d’Etat, après avoir annulé l’arrêt dont il était saisi, a néanmoins renvoyé l’affaire devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux.

C’est à la suite de ce renvoi et du jugement de l’affaire par la Cour le 1er mars 2012 que le Conseil d’Etat vient de confirmer avec vigueur sa position en considérant que :

 « (…) Sont responsables des déchets au sens de ces dispositions [L. 541-1 à L. 541-3 du code de l’environnement], interprétées à la lumière des dispositions des articles 1er, 8 et 17 de la directive du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2006 relative aux déchets, les seuls producteurs ou autres détenteurs des déchets ; qu’en l’absence de tout producteur ou de tout autre détenteur connu, le propriétaire du terrain sur lequel ont été déposés des déchets peut être regardé comme leur détenteur au sens de l’article L. 541-2 du code de l’environnement, notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain, et être de ce fait assujetti à l’obligation d’éliminer ces déchets » (CE 25 septembre 2013 Société Wattelez et autres, req. n° 358923)

 Il en ressort très clairement que lorsque le détenteur initial ou le producteur des déchets a disparu, la responsabilité de leur élimination incombe au propriétaire du terrain sur lequel ces déchets sont entreposés dès lors que ce dernier a un comportement négligent à leur égard.

En outre, en reprenant l’analyse circonstanciée retenue par la Cour administrative d’appel de Bordeaux, la Haute Juridiction en profite pour nous éclairer sur la façon dont ces négligences peuvent être caractérisées.

Ainsi, un propriétaire négligent est notamment celui qui, par un comportement négatif :

−          S’abstient de toute surveillance et de tout entretien du terrain en vue de limiter les risques de pollution et les risques d’incendie ;

−          Ne procède à aucun aménagement de nature à faciliter l’accès au site des services de secours et de lutte contre l’incendie,

−          Ne prend aucune initiative pour assurer la sécurité du site ni pour faciliter l’organisation de l’élimination des déchets.

Notons toutefois que dans cette affaire, le seul comportement actif du propriétaire aurait probablement suffit à caractériser une particulière négligence du propriétaire puisque la société Wattelez et ses gérants ont notamment chargé une entreprise de travaux publics, sans autorisation préalable, d’enfouir les déchets dans les dépressions naturelles du site pour les faire disparaître et refusé à l’ADEME l’autorisation de pénétrer sur le site pour en évacuer les produits toxiques et en renforcer la sécurité.

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