Précisions sur la notion de « bâtiment à usage principal d’habitation » et d’« atteinte grave aux conditions d’éclairement »

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

December 2019

Temps de lecture

4 minutes

CE 22 novembre 2019 req. n° 420948 ; mentionné aux tables du recueil Lebon

Par un arrêté du 27 octobre 2016, la Mairie de Paris a délivré un permis de construire à la société immobilière d’économie mixte de Paris pour la réalisation d’une résidence d’autiste senior, comprenant 27 logements dans le 14e arrondissement de Paris.

Suite à la requête de riverains du projet, le tribunal administratif de Paris a annulé le permis de construire, en ce qu’il ne respectait pas les articles UG 12.3 et UG 10.2 du PLU de Paris, et rejeté le surplus de la requête, par un jugement du 8 février 2018 (n° 1622372).

Les requérants ont alors interjeté appel auprès de la cour administrative d’appel de Paris afin de demander l’annulation du permis eu égard aux autres moyens soulevés. Par une ordonnance du 23 mai 2018, la cour administrative d’appel de Paris s’est estimée incompétente et a renvoyé au Conseil d’Etat le pourvoi, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative.

Par un arrêt du 22 novembre 2019, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi des riverains de la résidence projetée et le surplus des conclusions de la ville de Paris et de la société Elogie-Siemp, venue aux droits de la société immobilière d’économie mixte de Paris.

Cet arrêt a permis de réaffirmer (i) l’importance croissante de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative et (ii) la conception toujours plus restrictive de l’atteinte grave aux conditions d’éclairement, telle que prévue par le plan local d’urbanisme (PLU) de Paris.

En premier lieu, s’agissant de la compétence du Conseil d’Etat, l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative énonce que « Les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application, à l’exception des permis afférents aux opérations d’urbanisme et d’aménagement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 mentionnées au 5° de l’article R. 311-2 ».

Cette dérogation au principe du double degré de juridiction a pour but, rappelons-le, de réduire le délai de traitement des recours afin de ne pas retarder la réalisation d’opération de construction de logement dans les « zones tendues » 1)« La dérogation prévue par l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative supprimant l’appel pour les recours dirigés contre certaines autorisations d’urbanisme ne s’applique pas aux refus d’autorisation » AdDen le blog, décembre 2015. ; la ville de Paris étant évidemment sur la liste des « zones tendues » posée par le décret du 10 novembre 2016.

Le Conseil d’Etat avait déjà eu l’occasion de préciser l’application de cet article et notamment la notion de « bâtiment à usage principal d’habitation » pour l’application de ces dispositions.

Ainsi, si cette qualification ne vaut pas pour une résidence hôtelière de tourisme 2)CE 29 décembre 2014, req. n° 385051. , tel n’est pas le cas pour un immeuble destiné à recevoir des logements collectifs et des bureaux 3)CE 20 mars 2017, req. n° 401463. ou un centre d’hébergement d’urgence 4)CE 19 juin 2017, req. n° 394677.. Dans le cas de projets immobiliers mixtes, le Conseil d’Etat vérifie que la surface de plancher destinée à l’habitation représente plus de la moitié de la surface de plancher totale du projet.

A noter que le Conseil d’Etat a rejeté la qualification d’immeuble à usage principal d’habitation pour un établissement pour personnes âgées dépendantes aux motifs qu’il relevait de la destination constructions nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif 5)CE 30 décembre 2015, req. n° 390346..

Le présent arrêt permet donc de préciser les contours de la notion de bâtiment à usage principal d’habitation.

Pour venir au soutien de cette qualification, le Conseil d’Etat souligne qu’elle « résulte d’ailleurs aussi de l’article 2 de l’arrêté du 10 novembre 2016 pris en application de l’article R. 151-27 du code de l’urbanisme » portant sur les nouvelles destinations et sous-destinations des constructions entrées en vigueur le 1er janvier 2016. C’est donc que cette qualification est sensiblement liée à la destination juridique de la construction au sens de la réglementation de l’urbanisme.

On ne manquera tout de même pas de relever que le Conseil d’Etat a statué près de deux ans après le jugement du tribunal administratif de Paris, et plus d’un an après le mémoire complémentaire des requérants.

En deuxième lieu, concernant le bien-fondé du pourvoi, le Conseil d’Etat a jugé que le tribunal administratif de Paris n’avait pas commis d’erreur de droit dans l’appréciation souveraine qu’il avait fait de l’article UG. 7.1 du PLU de Paris qui énonce :

Nonobstant les dispositions du présent article UG.7 et de l’article UG.10.3, l’implantation d’une construction en limite séparative peut être refusée si elle a pour effet de porter gravement atteinte aux conditions d’éclairement d’un immeuble voisin ou à l’aspect du paysage urbain, et notamment à l’insertion de la construction dans le bâti environnant (…) “.

Le tribunal avait effectivement jugé, eu égard aux faits de l’espèce, qu’il fallait prendre « en compte l’éclairement tant direct qu’indirect des immeubles en question » pour apprécier l’application de cette dérogation de l’article UG.7.1.

Il précisait également : « si la construction de cet immeuble aura d’importantes répercussions sur l’ensoleillement et aboutira, pour certains des appartements situés les moins en hauteur, à priver ces derniers des rayons directs du soleil, il ne ressort pas des pièces du dossier que les étages les plus exposés à cette perte d’ensoleillement seraient privées de toute lumière ».

Le Conseil d’Etat considère que le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit et n’a pas entaché son appréciation de dénaturation.

Dans un arrêt du 30 avril 2019 6)CE 30 avril 2019, req. n° 420427., la haute juridiction avait déjà entériné sa conception restrictive de la portée de cet article du PLU en considérant que la diminution d’ensoleillement établie par une étude ne pouvait, eu égard à son importance, être qualifiée d’atteinte grave aux conditions d’éclairement de la propriété des requérants. L’atteinte grave « suppose une obstruction significative de la lumière qui ne saurait se réduire à une simple perte d’ensoleillement ».

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References   [ + ]

1. « La dérogation prévue par l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative supprimant l’appel pour les recours dirigés contre certaines autorisations d’urbanisme ne s’applique pas aux refus d’autorisation » AdDen le blog, décembre 2015.
2. CE 29 décembre 2014, req. n° 385051.
3. CE 20 mars 2017, req. n° 401463.
4. CE 19 juin 2017, req. n° 394677.
5. CE 30 décembre 2015, req. n° 390346.
6. CE 30 avril 2019, req. n° 420427.

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