Précisions sur l’application du principe d’impartialité et sur l’office du juge des référés en matière de suspension d’une demande de modification d’un PLUi en cours d’élaboration

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

January 2021

Temps de lecture

6 minutes

Conseil d’Etat 30 décembre 2020 communauté de communes de la Ténarèze, req. n° 441075, mentionné aux tables du recueil Lebon

Par une délibération du 17 décembre 2019, le conseil communautaire de la communauté de communes de la Ténarèze a approuvé son plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) valant programme local de l’habitat.

Toutefois, par une décision du 15 janvier 2020, la préfète du Gers a demandé, sur le fondement de l’article L. 153-25 du code de l’urbanisme 1)Article L. 153-25 du code de l’urbanisme : « Lorsque le plan local d’urbanisme porte sur un territoire qui n’est pas couvert par un schéma de cohérence territoriale approuvé, l’autorité administrative compétente de l’Etat notifie, dans le délai d’un mois prévu à l’article L. 153-24, par lettre motivée à l’établissement public de coopération intercommunale ou à la commune, les modifications qu’il estime nécessaire d’apporter au plan lorsque les dispositions de celui-ci : (…) 2° Compromettent gravement les principes énoncés à l’article L. 101-2, sont contraires à un projet d’intérêt général, autorisent une consommation excessive de l’espace, notamment en ne prévoyant pas la densification des secteurs desservis par les transports ou les équipements collectifs, ou ne prennent pas suffisamment en compte les enjeux relatifs à la préservation ou à la remise en bon état des continuités écologiques ; (…) ». , à l’autorité compétente d’apporter trois modifications à ce PLUi, impliquant, en premier lieu, de supprimer ou de localiser dans des parties déjà anthropisées du territoire de la communauté de communes trois zones destinées à accueillir des installations photovoltaïques, en deuxième lieu, de classer en zone UX l’emprise de la voie d’accès au futur site de l’abattoir de Condom, en troisième lieu, de définir de façon plus précise les critères permettant le changement de destination des bâtiments isolés en zones agricole et naturelle, afin de limiter le nombre et la dispersion des bâtiments concernés, et de traduire ces nouveaux critères dans les documents graphiques.

La communauté de communes a alors demandé au juge des référés du tribunal administratif de Pau de suspendre l’exécution de cette décision sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.

Après rejet de sa demande, cette même communauté de communes s’est pourvue en cassation contre l’ordonnance rendue le 27 mars 2020 par le tribunal administratif de Pau.

Par une décision du 30 décembre 2020, le Conseil d’Etat apporte d’utiles précisions sur l’application du principe d’impartialité (1) puis sur l’office du juge des référés en matière de suspension d’une décision préfectorale de modification d’un PLUi (2 et 3).

1          L’intervention d’un même magistrat au stade d’une enquête publique puis en tant que juge des référés ne constitue pas une méconnaissance du principe d’impartialité

La communauté de communes requérante soutenait que le juge des référés du tribunal administratif de Pau avait méconnu le principe d’impartialité applicable au juge administratif.

Il était en effet reproché à la présidente du tribunal administratif de Pau d’être intervenue le 21 novembre 2019 pour demander au commissaire enquêteur de compléter ses conclusions sur l’enquête publique préalable à l’approbation du PLUi 2)Conformément à l’article R. 123-20 alinéa 3 du code de l’environnement qui permet au président du tribunal administratif compétent d’enjoindre au commissaire enquêteur de compléter les motivations incomplètes de ses conclusions remises au tribunal à l’issue de l’enquête publique R. 123-20 alinéa 3 du code de l’environnement. puis d’avoir, ensuite, statué en qualité de juge des référés sur la demande de suspension de la décision de la préfète du Gers ayant demandé plusieurs modifications de ce même PLUi, qu’elle a rejeté par ordonnance du 27 mars 2020.

Certes, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de juger qu’un magistrat ayant donné son avis sur une décision après sollicitation d’un préfet 3)Article R. 212-1 du code de justice administrative ; ne pouvait statuer, ensuite, en tant que juge des référés sous peine de méconnaître le principe d’impartialité 4)CE 7 août 2008 association des terres minées, req. n° 312022. .

A l’inverse, la Haute Assemblée juge qu’un magistrat ayant déjà eu à connaître d’une décision administrative sans avoir « préjugé de l’issue du litige » 5)Voir, par analogie, la possibilité pour un juge administratif de statuer en tant que juge du référé puis de statuer au fond dans la même affaire (CE Section du contentieux 12 mai 2004 commune de Rogerville, req. n° 265184). peut statuer, ensuite, en tant que juge des référés sur la demande de suspension de cette même décision.

Toutefois, le Conseil d’Etat juge, en l’espèce, que l’intervention du 21 novembre 2019 ne portait que sur la « nécessité de compléter l’avis de la commission d’enquête et non sur le bien-fondé de cet avis et des réserves émises » sur le PLUi et ne faisait, ainsi, pas obstacle à ce que la présidente du tribunal administratif de Paul se prononce, en qualité de juge des référés, sur la demande de la communauté de communes de la Ténarèze tendant à la suspension de la décision de la préfète du Gers portant sur le même document 6)Considérant n°3..

Ainsi, le Conseil d’Etat écarte le premier moyen tiré de la méconnaissance du principe d’impartialité.

2          L’urgence est présumée en cas de référé contre une décision préfectorale suspendant l’entrée en vigueur du PLUi

Examinant ensuite si les conditions de suspension d’une décision administrative sont remplies, le Conseil d’Etat rappelle, de manière classique, que la condition d’urgence doit être regardée comme satisfaite lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre 7)Voir la jurisprudence de principe : CE 19 janvier 2001 confédération nationale des radios libres, req. n° 228815, publié au Rec. CE. p. 29..

Cependant, à la différence des référés suspension à l’encontre des décisions de non-opposition à déclaration préalable, de permis de construire, d’aménager ou de démolir pour lesquelles l’urgence est présumée satisfaite en application des dispositions du code de l’urbanisme 8)Article L. 600-3 alinéa 2 du code de l’urbanisme., il n’en va pas de même en cas de référé à l’encontre une décision ayant pour effet de subordonner l’entrée en vigueur du PLUi à l’accomplissement de la modification demandée.

A cet égard, le Conseil d’Etat vient préciser que dans la mesure où « la mise en œuvre de cette modification est de nature à retarder l’entrée en vigueur du document d’urbanisme approuvé par le conseil communautaire » 9)Considérant n°11., la conditions d’urgence doit également être considérée comme étant satisfaite.

C’est donc l’effet de la demande de modification sur l’entrée en vigueur PLUi qui fonde, selon le juge, la présomption d’urgence.

3          Le juge des référés méconnait son office lorsqu’il estime qu’un motif crée un doute sérieux quant à la légalité de la décision mais qu’il neutralise ce motif au profit de deux autres motifs qui lui paraissent de nature à fonder légalement la décision

Aux termes de son ordonnance du 27 mars 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Pau avait jugé que l’un des motifs de la décision de la préfète du Gers créait un doute sérieux quant à la légalité de la décision, sans pour autant suspendre son exécution en considérant que la préfète aurait pris la même décision si elle n’avait retenu que les deux premiers motifs qui lui semblaient pouvoir légalement fonder sa décision.

Certes, le juge du référé-suspension vérifie habituellement, après avoir constaté l’existence d’un doute sérieux sur la légalité d’un motif d’une décision, si d’autres motifs légaux auraient permis à l’administration de prendre une décision identique 10)CE Ord. 12 mai 2005, req. n° 279011 : T. p. 1031 – Pour la décision de principe, voir CE Ass. 12 janvier 1968 Dame Perrot, req. n° 70951..

Cependant, en l’espèce, le Conseil d’Etat précise que dès lors que le juge du référé identifie un moyen, parmi d’autres, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, il ne peut, sans méconnaitre son office, rejeter la demande de suspension, mais il lui appartient de suspendre l’exécution de cette décision uniquement en tant qu’elle porte sur la partie de la décision litigieuse :

« Dès lors que le juge des référés, saisi d’une demande de suspension de l’exécution de la décision du préfet prise sur le fondement de ces dispositions, estime qu’un moyen est propre à créer un doute sérieux sur la légalité de l’une des demandes de modification du plan local d’urbanisme, il lui appartient de suspendre la décision préfectorale contestée en tant qu’elle a enjoint à la commune ou à l’établissement public de coopération intercommunale d’apporter la modification en causePar conséquent, en estimant qu’était de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée le moyen dirigé contre la demande de modification du plan en tant qu’il porte classement de la voie d’accès au projet d’abattoir de Condom, mais en rejetant l’ensemble des conclusions dont il était saisi au motif que la préfète aurait pris la même décision si elle n’avait retenu que les deux premiers motifs qui lui paraissaient de nature à fonder légalement sa décision, le juge des référés a méconnu son office » 11)Considérant n° 4.

En conséquence, le Conseil d’Etat annule l’ordonnance du juge des référés et, statuant par la voie de l’évocation, contrôle l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de chacune des demandes de modification.

Ainsi, s’il écarte les moyens tirés de l’existence d’un tel doute pour les demandes de modifications consistant d’une part à supprimer ou à localiser dans des parties déjà anthropisées du territoire de la communauté de communes trois zones destinées à accueillir des installations photovoltaïques et d’autre part à définir de façon plus précise les critères permettant le changement de destination des bâtiments isolés en zones agricole et naturelle, il retient que la demande tendant au classement en zone UX de l’emprise de la voie d’accès au futur abattoir de Condom est entaché d’erreur de droit et crée un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat prononce la suspension de l’exécution de la décision de la préfète du Gers en tant seulement qu’elle a enjoint à la communauté de communes de la Ténarèze de modifier le PLUi pour intégrer dans la zone UX l’emprise de la voie d’accès au futur site de l’abattoir de Condom.

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References   [ + ]

1. Article L. 153-25 du code de l’urbanisme : « Lorsque le plan local d’urbanisme porte sur un territoire qui n’est pas couvert par un schéma de cohérence territoriale approuvé, l’autorité administrative compétente de l’Etat notifie, dans le délai d’un mois prévu à l’article L. 153-24, par lettre motivée à l’établissement public de coopération intercommunale ou à la commune, les modifications qu’il estime nécessaire d’apporter au plan lorsque les dispositions de celui-ci : (…) 2° Compromettent gravement les principes énoncés à l’article L. 101-2, sont contraires à un projet d’intérêt général, autorisent une consommation excessive de l’espace, notamment en ne prévoyant pas la densification des secteurs desservis par les transports ou les équipements collectifs, ou ne prennent pas suffisamment en compte les enjeux relatifs à la préservation ou à la remise en bon état des continuités écologiques ; (…) ».
2. Conformément à l’article R. 123-20 alinéa 3 du code de l’environnement qui permet au président du tribunal administratif compétent d’enjoindre au commissaire enquêteur de compléter les motivations incomplètes de ses conclusions remises au tribunal à l’issue de l’enquête publique R. 123-20 alinéa 3 du code de l’environnement.
3. Article R. 212-1 du code de justice administrative ;
4. CE 7 août 2008 association des terres minées, req. n° 312022.
5. Voir, par analogie, la possibilité pour un juge administratif de statuer en tant que juge du référé puis de statuer au fond dans la même affaire (CE Section du contentieux 12 mai 2004 commune de Rogerville, req. n° 265184).
6. Considérant n°3.
7. Voir la jurisprudence de principe : CE 19 janvier 2001 confédération nationale des radios libres, req. n° 228815, publié au Rec. CE. p. 29.
8. Article L. 600-3 alinéa 2 du code de l’urbanisme.
9. Considérant n°11.
10. CE Ord. 12 mai 2005, req. n° 279011 : T. p. 1031 – Pour la décision de principe, voir CE Ass. 12 janvier 1968 Dame Perrot, req. n° 70951.
11. Considérant n° 4.

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