Précisions sur le point de départ de la prescription quadriennale d’une demande indemnitaire présentée par le propriétaire d’une construction illégalement établie (CE 22 octobre 2012 Epoux B. et a., req. n° 330650)

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

November 2012

Temps de lecture

4 minutes

Le 24 octobre 1987, M. et Mme B. ont obtenu du maire de Saint-Mathurin-sur-Loire un permis de construire une stabulation destinée à accueillir une soixantaine de bovins mais cette autorisation a ensuite été annulée par le tribunal administratif de Nantes et cette annulation est devenue définitive à la suite d’un arrêt du Conseil d’Etat le 31 juillet 1996. Ils ont ensuite été condamnés par la juridiction judiciaire à démolir la stabulation par décision de la cour d’appel d’Angers du 17 avril 2001 passée en force de chose jugée. A la suite de ces décisions, les époux se sont finalement trouvés contraints de transformer leur stabulation en bâtiment de stockage.

Le 8 juin 2006, les époux B. ont formé une demande d’indemnisation tendant à ce que l’Etat et la commune soient condamnés à réparer notamment le préjudice résultant des frais engagés pour la transformation de leur stabulation en bâtiment de stockage.

La commune a logiquement soulevé une fin de non-recevoir tirée de la prescription de cette action indemnitaire ce qui a donné au Conseil d’Etat la possibilité de clarifier la question du point de départ de cette prescription dans le cadre du préjudice invoqué par les requérants.

Rappelons à cet égard que l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics (couramment appelée prescription quadriennale) dispose que :

« Sont prescrites, au profit de l’Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ».

Et l’article 2 de cette même loi précise que :

« La prescription est interrompue par : (…) tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l’auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l’administration qui aura finalement la charge du règlement n’est pas partie à l’instance (…) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ».

Par ailleurs, l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, dans sa version alors applicable, prévoyait que :

« Lorsqu’une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l’ordre judiciaire du fait de la méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir ou son illégalité a été constatée par la juridiction administrative. L’action en responsabilité civile se prescrit, en pareil cas, par cinq ans après l’achèvement des travaux ».

Dans ce cadre, la cour administrative d’appel de Nantes a considéré que M. et Mme B. avaient eu connaissance des préjudices dont ils se prévalaient au plus tard à l’occasion de la notification de la décision du 31 juillet 1996 par laquelle le Conseil d’Etat a confirmé l’annulation du permis de construire et a ainsi retenu que leur éventuelle « créance » indemnitaire se trouvait prescrite le 31 décembre 2000 (CAA Nantes 23 avril 2009, req. n°08NT01929).

Ce raisonnement a été censuré par le Conseil d’Etat pour erreur de droit, celui-ci considérant que la prescription de l’action indemnitaire court en ce qui concerne le préjudice tiré de la transformation de cette stabulation à compter de la notification de la décision judiciaire définitive ordonnant la démolition de cette construction.

Cette décision repose sur le raisonnement suivant :

Premier temps : Si les requérants reprochent à l’Administration une faute tirée de la délivrance illégale du permis de construire du 24 octobre 1987, le préjudice invoqué ne résulte pas automatiquement de la constatation de cette illégalité par le juge administratif de sorte que ce préjudice n’était pas certain à la date du 31 juillet 1996 à laquelle ce permis de construire a été définitivement annulé. La Haute Juridiction en déduit donc que, contrairement à ce que les juges du fond ont jugé, les requérants n’avaient pas connaissance de ce préjudice particulier à cette date.

Second temps : Le préjudice est devenu certain à la date à laquelle les époux B. ont eu connaissance de leur condamnation définitive par le juge judiciaire à démolir la construction litigieuse soit le 3 juillet 2001, jour de la signification de l’arrêt de la cour d’appel d’Angers aux époux B.

Ce raisonnement plus favorable aux requérants que celui des juges du fond ne leur a cependant pas profité dès lors que leur demande d’indemnisation du 8 juin 2006 était, en tout état de cause prescrite depuis le 31 décembre 2005.

Reste que, sur un plan purement théorique, un point nous semble poser problème dans le raisonnement du Conseil d’Etat. Comment, en effet, justifier que le préjudice tiré de la transformation d’un bâtiment illégalement établi serait certain à compter de la date d’une décision qui n’ordonne pas cette transformation mais la démolition de ce bâtiment. Ne devait-on pas considérer que les époux B. n’étaient ainsi pas certains de devoir engager des frais de transformation de leur bâtiment à la date de la décision de la cour d’appel d’Angers puisque ce n’est pas ce à quoi ils ont été condamnés. Mais cette difficulté peut certainement être contournée en retenant qu’ils avaient connaissance de manière certaine de la nécessité d’engager de manière générale des frais de mise en conformité de leur bâtiment de sorte que l’existence du préjudice tirée de ces frais était alors certain même si cette mise en conformité s’est finalement concrétisée par une transformation du bâtiment plutôt que par sa démolition.

Voir la décision CE 22 octobre 2012 Groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) de la Vallée, req. n° 330650

 

 

Partager cet article

3 articles susceptibles de vous intéresser