Prorogation de l’état d’urgence sanitaire : le Conseil d’Etat attire l’attention du Gouvernement sur ses conséquences en matière de délai et l’invite à légiférer au cas par cas pour ne pas empêcher la reprise de l’activité économique

Catégorie

Droit administratif général

Date

May 2020

Temps de lecture

5 minutes

Projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions

CE avis 1er mai 2020 projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions n° 400104

L’identification du problème : la corrélation originelle entre la fin de l’état d’urgence sanitaire et la reprise des délais

L’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter de son entrée en vigueur pour s’achever le 24 mai 2020 à 0 heure 1)Circulaire de présentation des dispositions du titre I de l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19.

Toutefois, le 2 mai, le Gouvernement a présenté au Sénat un projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions dont l’article 1er prévoit de proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 23 juillet 2020 inclus.

Dans son avis, la Commission permanente du Conseil d’Etat attire l’attention du Gouvernement sur les conséquences d’une telle prorogation sur la durée des mesures apportant des dérogations aux dispositions légales de droit commun, notamment en matière de délais et relève que dans de nombreux cas, ces dérogations ont comme terme la durée de l’état d’urgence augmentée d’un mois.

Cette date correspond au terme de la période juridiquement protégée prévue par l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période qui court du 12 mars 2020 à l’expiration du délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

En vue notamment de « ne pas freiner la relance de l’économie » 2)Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19, cette ordonnance a été modifiée par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19 et par l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l’épidémie de covid-19. Ces deux ordonnances prévoient certes qu’en matière d’urbanisme et de construction certains délais (re)commencent à courir dès la cessation de l’état d’urgence sanitaire et non à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de cette date. Mais la reprise des délais est également conditionnée par la date de la fin de la période d’état d’urgence sanitaire.

Il est donc prévu par ces ordonnances que certains délais ne reprennent leur cours qu’à date de cessation de cette période (notamment certains délais en matière d’urbanisme et de construction) et que d’autres ne reprennent qu’un mois suivant celle-ci.

En conséquence, la prorogation de l’état d’urgence sanitaire aurait automatiquement pour effet d’allonger à nouveau ces délais.

La mise en garde du Conseil d’Etat : le Gouvernement doit dé-corréler fin de l’état d’urgence sanitaire et reprise des délais

Dans son avis, le Conseil d’Etat estime que les dérogations introduites en matière de délai « étaient justifiées par la situation d’arrêt massif de l’activité du pays provoquée par la mesure générale de confinement de la population à partir du 17 mars » et en conclut que « dès lors que ce confinement va être progressivement levé et que l’activité va reprendre, ces dérogations ne pourront plus se fonder sur leurs justifications initiales ».

Aussi le Conseil estime que « la nécessité et proportionnalité de ces dérogations doivent faire, de la part du Gouvernement, l’objet, dans les semaines qui viennent, d’un réexamen systématique et d’une appréciation au cas par cas ».

Des adaptations des différents délais doivent donc être prévues dans les semaines à venir.

Dans leur attente, pour rappel, les délais concernés sont notamment les suivants :

  • Les délais applicables aux recours  (recours administratif et recours contentieux)

Sont concernés les délais applicables aux recours et aux déférés préfectoraux à l’encontre d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable, d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir 3)Article 12 bis de l’ordonnance n°2020-306 :

  • S’ils n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020, ils sont suspendus à compter de cette date et recommencent à courir à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire pour la durée qui restait à courir le 12 mars 2020. Cette durée ne peut être inférieure à sept jours.
  • Si le point de départ de ces délais aurait dû commencer à courir entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l’urgence sanitaire, il est reporté à l’achèvement de celle-ci.

Pour les autres recours qui auraient dû être introduits à peine de forclusion pendant la période juridiquement protégée : ils sont réputés avoir été faits à temps s’ils sont effectués dans un délai qui ne peut excéder le délai légalement imparti pour agir dans la limite de deux mois à compter de la fin de cette même période 4)Article 2 de l’ordonnance n°2020-306.

  • Les délais d’instruction de diverses autorisations

Sont concernés les délais d’instruction des demandes d’autorisation, de certificats d’urbanisme et des procédures de récolement, les délais impartis aux collectivités territoriales et divers organismes pour émettre un avis ou donner leur accord dans le cadre de ces mêmes demandes ou déclaration et les délais d’instruction des demandes d’autorisation de division et des autorisations d’ouverture, de réouverture, d’occupation et de travaux des ERP et IGH dont les travaux ne sont pas soumis à autorisation d’urbanisme 5)Article 12 ter de l’ordonnance 2020-306 :

  • S’ils n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020, ils sont suspendus à cette date et reprennent leur cours à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire.
  • Si le point de départ de ces délais aurait dû commencer à courir entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l’urgence sanitaire, il est reporté à l’achèvement de celle-ci.

Pour les autres délais impartis à l’autorité administrative pour vérifier le caractère complet d’un dossier ou solliciter des pièces complémentaires et les délais à l’issue desquels une décision, un accord ou un avis peut ou doit intervenir, même implicite 6)Article 7 de l’ordonnance 2020-306 :

  • S’ils n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020, ils sont suspendus à cette date jusqu’à la fin de la période juridiquement protégée (fin de l’état d’urgence sanitaire + 1 mois).
  • Si le point de départ de ces délais aurait dû commencer à courir pendant cette période, il est reporté jusqu’à l’achèvement de celle-ci.
  • Les délais en matière de contrôles et de travaux

Sont concernés les délais imposés par l’administration à tout personne pour réaliser des contrôles et des travaux ou se conformer à des prescriptions de toute nature 7)Article 8 de l’ordonnance 2020-306 :

  • S’ils n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020, ils sont suspendus à cette date jusqu’à expiration de la période juridiquement protégée.
  • SI le point de départ de ces délais aurait dû commencer à courir pendant la période juridiquement protégée, il est reporté jusqu’à l’achèvement de celle-ci.
  • Les délais relatifs aux procédures de préemption

Sont concernés les délais relatifs aux procédures de préemption à l’issue desquels une décision, un accord ou un avis d’une autorité administrative peut ou doit intervenir, même implicite 8)Article 12 quater de l’ordonnance 2020-306 :

  • S’ils n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020, ils sont suspendus à cette date et reprennent leur cours à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire pour la durée restant à courir le 12 mars 2020.
  • Si leur point de départ aurait dû commencer à courir entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l’urgence sanitaire, il est reporté à l’achèvement de celle-ci.
  • Les délais de consultation ou de participation du public

Ces délais sont suspendus jusqu’à expiration d’une période de sept jours suivant la fin de l’état d’urgence sanitaire 9)Article 7 de l’ordonnance 2020-306, sous réserve, pour les enquêtes publiques, de la possibilité pour l’autorité qui les organise de décider de leur reprise sous certaines conditions et de l’adaptation de leurs modalités 10)Article 12 de l’ordonnance 2020-306.

 

 

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