Recours contre un refus d’adopter les mesures d’application d’une loi : le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité du refus à la date de sa décision

Catégorie

Droit administratif général, Environnement

Date

May 2021

Temps de lecture

4 minutes

CE 27 mai 2021 Association Compassion in World Farming France (CIWF), req. n° 441660

Par une requête introduite le 8 juillet 2020, l’association Compassion in World Farming France (CIWF) a demandé au Conseil d’Etat d’annuler la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d’édicter le décret prévu par l’article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime et d’enjoindre au Premier ministre de prendre ce décret dans un délai de six mois, sous astreinte de 200 EUR par jour de retard.

Dans son arrêt du 27 mai 2021, le Conseil d’Etat juge que l’annulation de la décision refusant de prendre le décret mentionné à l’article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime implique nécessairement l’édiction de ce décret. Il fait droit aux demandes de l’association CIWF.

1          L’obligation pour le pouvoir règlementaire de prendre les mesures qu’implique l’application de la loi

L’article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime, introduit par la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Egalim, prévoit que :

« La mise en production de tout bâtiment nouveau ou réaménagé d’élevage de poules pondeuses élevées en cages est interdite à compter de l’entrée en vigueur de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

Les modalités d’application du présent article sont définies par décret. »

Par une lettre reçue le 23 décembre 2019, l’association CWIF France a demandé au Premier ministre de prendre les mesures nécessaires à la mise en œuvre de cet article.

Ce courrier n’ayant été suivi d’aucune réponse, un refus implicite est né à l’issue d’un délai de deux mois.

C’est pourquoi, l’association CIWF a demandé au Conseil d’Etat d’annuler cette décision implicite et d’enjoindre au Premier ministre de prendre ce décret dans un délai de six mois.

Dans son arrêt du 27 mai 2021, le Conseil d’Etat juge que « L’exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit mais aussi l’obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu’implique nécessairement l’application de la loi, hors le cas où le respect d’engagements internationaux de la France y ferait obstacle ».

Et s’agissant plus précisément des dispositions de l’article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime, le Conseil d’Etat estime que « ces dispositions ne sont pas suffisamment précises pour permettre leur entrée en vigueur en l’absence du décret d’application dont elles prévoient d’ailleurs l’intervention ».

Le Conseil d’Etat confirme ainsi que les dispositions de l’articles L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime impliquaient nécessairement de prendre un décret d’application.

2          Le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité du refus à la date de sa décision

En principe, le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité d’un acte à la date de l’édiction de celui-ci. Comme l’indique René Chapus, c’est en fonction de la situation de fait existant et des règles juridiques à la date de l’édiction de l’acte attaqué que sa légalité doit être apprécié  1)CHAPUS René, Droit du contentieux administratif, Montchestien, 12e édition.

En outre, l’article L. 911-1 du code de justice administratif offre au juge de l’excès de pouvoir la possibilité de prescrire une mesure d’exécution dans un sens déterminé, assorti le cas échéant d’un délai d’exécution. Sur ce point, il a déjà été jugé que l’annulation du refus de prendre les mesures réglementaires nécessaires à l’application d’une loi ou d’un décret implique nécessairement l’édiction de ces mesures 2)CE 26 juillet 1996 Association lyonnaise de protection des locataires, req. n°160515.

En l’espèce, le Conseil d’Etat juge que :

« L’effet utile de l’annulation pour excès de pouvoir du refus du pouvoir réglementaire de prendre les mesures qu’implique nécessairement l’application de la loi réside dans l’obligation, que le juge peut prescrire d’office en vertu des dispositions de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, pour le pouvoir réglementaire, de prendre ces mesures. Il s’ensuit que lorsqu’il est saisi de conclusions aux fins d’annulation du refus d’une autorité administrative d’édicter les mesures nécessaires à l’application d’une disposition législative, le juge de l’excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité d’un tel refus au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision. »

Mettant en application ce principe au cas d’espèce, il constate que l’obligation de prendre un décret d’application devait avoir lieu « dans un délai raisonnable ». Or, il s’est écoulé plus de deux ans et demi depuis l’entrée en vigueur de la loi. C’est pourquoi la Haute juridiction conclut que « le retard dans l’adoption des dispositions réglementaires nécessaires à l’application de l’article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime, issu de cette loi, excède ainsi le délai raisonnable qui était imparti au pouvoir réglementaire pour prendre le décret prévu à cet article ».

Une telle décision s’inscrit dans une jurisprudence constante 3)CE 19 juillet 2019 Association des Américains accidentels, req. n° 424216 – CE 6 novembre 2019 M. B., req. n°416948 parfaitement logique puisque c’est la notion de « délai raisonnable » que le juge est tenu d’apprécier. Il doit évidemment prendre en compte le temps écoulé, et se place donc pour cela, à la date à laquelle il rend sa décision.

Le Conseil d’Etat conclut que l’association CIWF France est fondée à soutenir que la décision du Premier ministre refusant de prendre le décret d’application de l’article L. 214-11 du code rural et de la pêche maritime est illégale et enjoint au Premier ministre de prendre ce décret dans un délai de six mois, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

 

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References   [ + ]

1. CHAPUS René, Droit du contentieux administratif, Montchestien, 12e édition
2. CE 26 juillet 1996 Association lyonnaise de protection des locataires, req. n°160515
3. CE 19 juillet 2019 Association des Américains accidentels, req. n° 424216 – CE 6 novembre 2019 M. B., req. n°416948

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