Recours en contestation de validité d’un marché public : la communication d’un document interne à l’administration qui évalue les risques et faiblesses de la procédure de passation du marché public en cause porte atteinte au déroulement équitable du procès

Catégorie

Contrats publics

Date

October 2016

Temps de lecture

5 minutes

CE 28 septembre 2016 société Armor Développement et autres, req. n° 390760 : mentionné aux tables du Rec. CE

Plusieurs sociétés ont saisi le tribunal administratif de Paris d’un recours en contestation de validité d’un marché public passé par le ministère de l’intérieur et attribué à une entreprise concurrente.

Parallèlement, ces mêmes sociétés ont demandé au ministère de l’intérieur de leur communiquer plusieurs documents relatifs au marché en cause et notamment un avis interne de l’administration émis par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques évaluant les risques et faiblesses juridiques de la procédure de passation. Le ministère de l’intérieur ayant refusé de leur communiquer les documents demandés, elles ont également saisi le tribunal administratif d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre du refus opposé par le ministère de l’intérieur. Par un jugement rendu en dernier ressort 1) R. 811-1 CJA., le tribunal n’a pas fait droit à l’ensemble de leurs demandes ce qui a conduit les sociétés requérantes à se pourvoir en cassation.

1 Sur la communication de l’avis interne de l’administration sur les risques et faiblesses juridiques de la procédure de passation du marché contesté

L’une des questions examinées portait sur la portée des dispositions de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978, aujourd’hui abrogé et codifié à l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration, en vertu desquelles les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ne sont pas communicables.

Le Conseil d’Etat avait déjà considéré que la seule circonstance qu’une communication de document administratif soit de nature à affecter les intérêts d’une partie à une procédure ne constitue pas en elle-même une telle atteinte 2) CE 16 avril 2012 Ministre du budget des comptes publics et de la fonction publique c/ Mme Tarditi, req. n° 320571 : mentionné aux tables du Rec. CE.. Il avait également jugé que l’administration n’était pas fondée à refuser de communiquer un avis interne de ses services au seul motif qu’il pourrait servir au demandeur dans le cadre d’un litige à l’encontre d’un tiers 3) « Considérant, que la seule circonstance que l’avis qu’a émis le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique préalablement à la conclusion du bail conclu le 8 novembre 2004 entre la société ISDH et l’établissement public Cité de la Musique est susceptible d’être utilisé dans la procédure juridictionnelle engagée par Mme A devant le tribunal de grande instance de Paris ne saurait par elle-même l’autoriser à en refuser la communication ; qu’en se bornant à soutenir que cette communication serait de nature à altérer l’égalité des armes entre les parties au procès engagé devant le tribunal de grande instance de Paris, le ministre ne fonde pas légalement sa décision de refus ; qu’il résulte enfin de l’examen des documents constituant l’avis en litige auquel s’est livré le Conseil d’Etat en application de sa décision du 24 novembre 2010 qu’au vu de leur contenu, la communication à Mme A des avis du service des domaines relatifs à la conclusion d’un bail entre l’établissement public Cité de la Musique et une société privée pour la prise à bail de la salle Pleyel est dénuée de toute incidence sur la conduite, par la juridiction qui en est saisie, de la procédure engagée ; que dès lors, Mme A est fondée à demander l’annulation de la décision par laquelle le ministre a refusé de lui communiquer cet avis » (CE 16 avril 2012 Ministre du budget des comptes publics et de la fonction publique c/ Mme Tarditi, précité). .

Mais en l’espèce, le document dont la communication était sollicitée avait précisément pour objet d’évaluer les risques et faiblesses juridiques de la procédure de passation d’un marché contesté par les mêmes requérantes.

Il s’agissait donc clairement d’un document susceptible de desservir la propre cause de l’administration en portant à la connaissance du juge des éléments en sa défaveur, de nature à rompre l’égalité des armes et à porter atteinte au déroulement équitable du procès :

    « Cet avis a été rédigé dans la perspective d’un contentieux afin d’évaluer les risques et faiblesses juridiques de la procédure de passation du marché en cause. La demande de communication de cet avis émane de sociétés qui ont contesté devant le tribunal administratif de Paris l’attribution du marché à une société concurrente. Compte tenu de l’identité de parties dans les deux litiges, la communication de l’avis aux sociétés requérantes permettrait de porter à la connaissance du juge chargé d’apprécier la légalité du marché des éléments émanant de la partie défenderesse et de nature à plaider contre la cause de cette dernière, portant ainsi atteinte au déroulement équitable du procès ».

2 Sur la communication de documents relatifs à l’offre de l’entreprise retenue et à la passation du marché

Le Conseil d’Etat confirme ensuite sa récente décision du 30 mars 2016 « Centre hospitalier de Perpignan » par laquelle il a jugé que le bordereau de prix unitaires de l’attributaire du marché n’est en principe pas communicable dès lors qu’il reflète la stratégie commerciale de l’entreprise 4) CE 30 mars 2016 Centre hospitalier de Perpignan, req. n° 375529 : publié au Rec. CE – http://www.adden-leblog.com/?p=7876 .

Depuis cette décision, la commission d’accès aux documents administratifs (ci-après CADA) a été amenée à ajuster ses solutions et considère désormais que le détail quantitatif estimatif n’est plus communicable 5) Voir par exemple en ce sens : CADA 9 juin 2016 Conseil départemental de l’Eure, n° 20161778 – CADA 7 juillet 2016 CNAMTS, n° 20162657 – CADA 7 juillet 2016 Communauté de communes de la Plaine de l’Ain, n° 20162113 – pour une appréciation contraire avant la décision du Conseil d’Etat du 30 mars 2016 « Centre hospitalier de Perpignan » voir par exemple : CADA 12 septembre 2013 Communauté de communes de la côté des Mégalithes, n° 20132915. – ce que le Conseil d’Etat vient également confirmer.

Concernant l’offre finale détaillée du candidat retenu, la CADA considérait jusqu’à présent qu’elle était communicable 6) CADA 26 mai 2016 Communauté de communes du Val d’ouest et de Lanvaux, avis n° 20161732 – CADA 12 septembre 2013 Communauté de communes de la côté des Mégalithes, avis n° 20132915. à l’exception des mémoires techniques 7) CADA 24 octobre 2013 Autoroutes Paris-Rhin-Rhône, avis n° 20132924.. Le Conseil d’Etat clarifie les choses et juge que l’offre finale détaillée du candidat retenu n’est plus communicable dans son ensemble. En revanche, la possibilité de se voir communiquer le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire n’est pas remise en cause par le Conseil d’Etat 8) Voir par exemple en ce sens : CADA 7 juillet 2016 Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, avis n° 20162657 – CADA 25 mai 2016 Grand delta habitat, avis n° 20161692..

Enfin, le Conseil d’Etat, dans la lignée des avis rendus par la CADA 9) CADA 26 mai 2016 Grand Delta Habitat, avis n° 20161692 – CADA 14 juin 2001 président de la communauté urbaine de Courly, avis n° 20012061 – CADA 14 mai 2009 directeur régional des affaire sanitaires et sociales d’Ile de France, conseil n° 20091744., juge que les occultations du rapport d’analyse des offres auxquelles a procédé le ministre de l’intérieur avant communication sont justifiées par la préservation du secret industriel et commercial. Il adopte en outre la même position au sujet du rapport d’analyse des candidatures et du rapport de présentation final.

C’est au regard de l’ensemble de ces éléments que le Conseil d’Etat rejette en conséquence le pourvoi formé par les sociétés requérantes.

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References   [ + ]

1. R. 811-1 CJA.
2. CE 16 avril 2012 Ministre du budget des comptes publics et de la fonction publique c/ Mme Tarditi, req. n° 320571 : mentionné aux tables du Rec. CE.
3. « Considérant, que la seule circonstance que l’avis qu’a émis le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique préalablement à la conclusion du bail conclu le 8 novembre 2004 entre la société ISDH et l’établissement public Cité de la Musique est susceptible d’être utilisé dans la procédure juridictionnelle engagée par Mme A devant le tribunal de grande instance de Paris ne saurait par elle-même l’autoriser à en refuser la communication ; qu’en se bornant à soutenir que cette communication serait de nature à altérer l’égalité des armes entre les parties au procès engagé devant le tribunal de grande instance de Paris, le ministre ne fonde pas légalement sa décision de refus ; qu’il résulte enfin de l’examen des documents constituant l’avis en litige auquel s’est livré le Conseil d’Etat en application de sa décision du 24 novembre 2010 qu’au vu de leur contenu, la communication à Mme A des avis du service des domaines relatifs à la conclusion d’un bail entre l’établissement public Cité de la Musique et une société privée pour la prise à bail de la salle Pleyel est dénuée de toute incidence sur la conduite, par la juridiction qui en est saisie, de la procédure engagée ; que dès lors, Mme A est fondée à demander l’annulation de la décision par laquelle le ministre a refusé de lui communiquer cet avis » (CE 16 avril 2012 Ministre du budget des comptes publics et de la fonction publique c/ Mme Tarditi, précité).
4. CE 30 mars 2016 Centre hospitalier de Perpignan, req. n° 375529 : publié au Rec. CE – http://www.adden-leblog.com/?p=7876
5. Voir par exemple en ce sens : CADA 9 juin 2016 Conseil départemental de l’Eure, n° 20161778 – CADA 7 juillet 2016 CNAMTS, n° 20162657 – CADA 7 juillet 2016 Communauté de communes de la Plaine de l’Ain, n° 20162113 – pour une appréciation contraire avant la décision du Conseil d’Etat du 30 mars 2016 « Centre hospitalier de Perpignan » voir par exemple : CADA 12 septembre 2013 Communauté de communes de la côté des Mégalithes, n° 20132915.
6. CADA 26 mai 2016 Communauté de communes du Val d’ouest et de Lanvaux, avis n° 20161732 – CADA 12 septembre 2013 Communauté de communes de la côté des Mégalithes, avis n° 20132915.
7. CADA 24 octobre 2013 Autoroutes Paris-Rhin-Rhône, avis n° 20132924.
8. Voir par exemple en ce sens : CADA 7 juillet 2016 Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, avis n° 20162657 – CADA 25 mai 2016 Grand delta habitat, avis n° 20161692.
9. CADA 26 mai 2016 Grand Delta Habitat, avis n° 20161692 – CADA 14 juin 2001 président de la communauté urbaine de Courly, avis n° 20012061 – CADA 14 mai 2009 directeur régional des affaire sanitaires et sociales d’Ile de France, conseil n° 20091744.

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