Recours « Tarn-et-Garonne » : le juge peut annuler un contrat alors même que le requérant n’en demande que la résiliation

Catégorie

Contrats publics

Date

June 2021

Temps de lecture

4 minutes

CE 9 juin 2021 CNB et M. A, req. n° 438047 : Mentionné aux Tables du Rec. CE

Par leur décision CNB et M. A, les 7ème et 2ème chambres réunies du Conseil d’Etat ont apporté des précisions utiles sur les pouvoirs dont dispose le juge lorsque celui-ci est saisi par un tiers de conclusions en contestation de la validité du contrat ou de certaines de ses clauses.

Un bref résumé des faits s’impose. La commune de Sainte-Eulalie (Gironde) a engagé début 2015 une procédure adaptée en vue de la conclusion d’un marché portant sur une mission d’assistance à maîtrise d’ouvrage et d’accompagnement juridique pour la construction et la gestion d’un crématorium. Ce marché a été finalement attribué à la société Maliegui le 17 avril 2015.

Un avocat associé d’un cabinet dont l’offre avait été rejetée a alors formé un recours de pleine juridiction devant le tribunal administratif de Bordeaux tendant à ce que le juge prononce la résiliation du marché. Le requérant estimait que les missions essentielles du marché relevaient d’une activité de consultation juridique devant être accomplie par une personne habilitée à réaliser des prestations juridiques conformément à la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 « portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques » , ce qui n’était pas le cas de la société Maliegui 1)Pour un exemple récent d’annulation d’un marché public pour méconnaissance du « périmètre » du droit : CAA Bordeaux 9 juillet 2020 Société Espélia, req. n° 18BX03424..

Par un jugement du 6 juin 2017 2)TA Bordeaux 6 juin 2017 M. C, req. n° 1503066, le tribunal administratif a rejeté sa demande. Le requérant  a fait appel et le Conseil national des barreaux est intervenu volontairement à l’instance. La cour administrative d’appel a toutefois rejeté la requête pour une question procédurale 3)CAA Bordeaux 28 novembre 2019 M. C, req. n° 17BX02648. Le juge d’appel a estimé que les conclusions de l’appelant tendant à ce que soit prononcée la nullité du marché étaient nouvelles en appel et donc irrecevables, et qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur des conclusions tendant à la résiliation du marché dès lors que l’exécution de celui-ci était achevée à la date à laquelle il statuait.

La cour avait également énoncé dans son arrêt que « le juge du contrat ne [pouvait], sans excéder son office, regarder comme tendant à l’annulation du contrat des conclusions qui tendent uniquement et explicitement à sa résiliation ni, saisi de telles conclusions, prononcer d’office la nullité de ce contrat » 4)CAA Bordeaux 28 novembre 2019 M. C, req. n° 17BX02648. Le juge d’appel avait donc considéré que le juge du contrat ne pouvait pas statuer ultra-petita en allant au-delà de la demande du requérant. Le  requérant et le CNB ont alors chacun formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Les 7ème et 2ème chambres réunies ont tout d’abord rappelé le considérant de principe de la décision Tarn et Garonne :

« Saisi d’un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses par un tiers justifiant que la passation de ce contrat l’a lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine, il appartient au juge du contrat, en présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci » 5)CE 4 avril 2014 Tarn-et-Garonne, req. n° 358994 : Publié au Rec. CE

Considérant que le juge du contrat disposait de l’ensemble de ces pouvoirs et qu’il lui appartenait d’en faire usage, les 7ème et 2ème chambres réunies ont estimé qu’il était en droit de requalifier les demandes dont il était saisi. La rapporteure publique Mireille Le Corre a rappelé à cet égard dans ses conclusions que le Conseil d’Etat avait déjà retenu une telle solution, dans le cadre d’un recours dit Béziers II, en jugeant que des conclusions « aux fins d’annulation » d’une mesure de résiliation pouvaient être regardées comme un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation du contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles 6)CE 27 février 2019 Société Opilo, req. n° 410537 : Mentionné aux Tables du Rec. CE. La rapporteure publique estimait donc que le « juge dispose de la palette bien connue des mesures à sa main, et sa boussole pour retenir la mesure appropriée n’est pas la formulation des conclusions par les parties –dès lors évidemment qu’il est saisi d’un recours en contestation de la validité –mais le type d’irrégularité auquel il est confronté » 7)Conclusions de la rapporteure publique Mireille Le Corre.

La rapporteure publique justifiait également une telle solution par les incohérences pouvant résulter de la solution retenue par la cour. En l’occurrence, en suivant le raisonnement de la cour, le juge aurait pu être conduit à constater un vice d’une particulière gravité, voire à le soulever d’office comme il en a l’obligation, mais sans pouvoir en tirer toutes les conséquences qui s’imposent en prononçant l’annulation du contrat, dans le cas où il n’aurait été saisi que de conclusions tendant à sa résiliation.

Enfin, Mireille Le Corre a rappelé qu’une solution analogue avait été consacrée depuis près de quinze ans par le Conseil d’Etat s’agissant de l’office du juge du référé précontractuel 8)CE 20 octobre 2006 Commune d’Andeville, req. n° 289234 : Publié au Rec. CE ; CE 15 décembre 2006 Société Corsica Ferries, req. n° 298618 : Publié au Rec. CE. Il y avait donc quelque logique à élargir cette solution à l’hypothèse d’un recours de pleine juridiction.

Les 7ème et 2ème chambres réunies ont suivi les conclusions de la rapporteure publique en jugeant que la cour administrative d’appel de Bordeaux avait commis une erreur de droit en jugeant que les conclusions dont elle était saisie, tendant à ce que soit prononcée la nullité du marché, étaient nouvelles en appel et donc irrecevables, alors que celles-ci « devaient être regardées dès l’introduction de la requête devant le tribunal comme contestant la validité du contrat et permettant au juge, en première instance comme en appel […] de prononcer, le cas échéant d’office, l’annulation du contrat ».

Le Conseil d’Etat a donc annulé sur ce point l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux et a renvoyé l’affaire devant cette même cour.

 

 

 

 

 

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