Résiliation du contrat de partenariat de la cité municipale de Bordeaux à compter du 1er octobre 2015 : absence de complexité du projet justifiant le recours à un tel contrat

Catégorie

Contrats publics

Date

March 2015

Temps de lecture

6 minutes

TA Bordeaux 11 février 2015 Syndicat national des entreprises du second œuvre (SNSO), req. n° 1200574

En septembre 2008, le maire de Bordeaux avait publiquement annoncé sa volonté de réunir au sein d’une cité municipale environ 850 agents pour pallier l’éparpillement géographique et le manque de fonctionnalité de certains locaux municipaux.

Par une délibération du 19 juillet 2010, le conseil municipal a approuvé le principe du recours au contrat de partenariat pour la conception, la construction, l’exploitation, l’entretien, la maintenance et le financement de cette cité municipale.

Le 22 décembre 2011, le maire a donc signé le contrat de partenariat en cause, après avoir été autorisé à le faire par une délibération du 19 décembre de la même année.

La construction de la cité municipale, dont le permis de construire avait d’ailleurs été attaqué 1) Saisi d’un autre contentieux relatif à la cité municipale, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté le recours contre le permis de construire (TA Bordeaux 15 janvier 2015 association Sauvegarder Mériadeck, req. n° 1203161)., a été achevé en été 2014 et ouvert au public en septembre de la même année.

Cette fois-ci, le tribunal a été amené à se prononcer sur le choix du contrat, le Syndicat national des entreprises du second œuvre (« SNSO ») demandant :

    ► d’annuler la délibération du 19 décembre 2011 approuvant les termes du contrat de partenariat et autorisant le maire à signer et la décision du 22 décembre 2011 par laquelle le maire a signé le contrat, et
    ► d’enjoindre la commune de Bordeaux de résilier le contrat de partenariat.

Le tribunal administratif de Bordeaux a ainsi annulé les délibérations attaquées par le SNSO – actes détachables du contrat de partenariat – et, se muant en juge de l’exécution, a enjoint la ville de Bordeaux de résilier le contrat à compter du 1er octobre 2015 2) La jurisprudence Tarn et Garonne met un terme à cette configuration contentieuse (CE 4 avril 2014 Département de Tarn et Garonne, req. n° 358994)..

Revenons plus en détails sur les éléments du jugement qui méritent d’être soulignés.

1 – Tout d’abord, la commune de Bordeaux invoquait l’irrecevabilité de la requête du SNSO, au regard d’un défaut de qualité pour agir du requérant.

Selon le tribunal, en vertu de ses statuts 3) Notamment, l’article 4 des statuts prévoit que le SNSO a pour objet « de défendre les intérêts généraux de l’ensemble des entreprises de second œuvre du bâtiment », « de promouvoir et de développer le progrès de l’ensemble des entreprises du second œuvre du bâtiment » et « de promouvoir la règlementation nécessaire à leur sauvegarde »., le SNSO a qualité pour agir contre le contrat en cause, étant donné que :

    ► ce contrat porte notamment sur la réalisation de prestations relevant de façon prépondérante du second œuvre ;
    ► le choix de recourir au contrat de partenariat, en lui-même, limite en pratique la soumission des petites et moyennes entreprises, et
    ► toute petite ou moyenne entreprise adhérente du SNSO était susceptible de soumissionner à ce contrat, le caractère géographique étant inopérant.

Par conséquent, le tribunal administratif de Bordeaux admet la qualité pour agir du SNSO 4) En ce sens : CAA Bordeaux 1er octobre 2013 SNSO, req. n° 12BX00319, CAA Lyon 6 octobre 2011 SNSO, req. n° 10LY01121..

2 – Après avoir rappelé le cadre juridique applicable au contrat de partenariat notamment concernant les conditions de recours à tel montage contractuel 5) Article L. 1414-2 du CGCT : « II.-Les contrats de partenariat ne peuvent être conclus que si, au regard de l’évaluation, il s’avère :
1° Que, compte tenu de la complexité du projet, la personne publique n’est pas objectivement en mesure de définir seule et à l’avance les moyens techniques répondant à ses besoins ou d’établir le montage financier ou juridique du projet ;
2° Ou bien que le projet présente un caractère d’urgence, lorsqu’il s’agit de rattraper un retard préjudiciable à l’intérêt général affectant la réalisation d’équipements collectifs ou l’exercice d’une mission de service public, ou de faire face à une situation imprévisible ;
3° Ou bien encore que, compte tenu soit des caractéristiques du projet, soit des exigences du service public dont la personne publique est chargée, soit des insuffisances et difficultés observées dans la réalisation de projets comparables, le recours à un tel contrat présente un bilan entre les avantages et les inconvénients plus favorable que ceux d’autres contrats de la commande publique. Le critère du paiement différé ne saurait à lui seul constituer un avantage». Article L. 1414-5 du même code : « Si, compte tenu de la complexité du projet et quel que soit le critère d’éligibilité retenu en application de l’article L. 1414-2 pour fonder le recours au contrat de partenariat, la personne publique est objectivement dans l’impossibilité de définir seule et à l’avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins ou d’établir le montage financier ou juridique du projet, elle peut recourir au dialogue compétitif dans les conditions prévues à l’article L. 1414-7. Elle indique le choix de la procédure dans l’avis de publicité.».
, le tribunal juge tout d’abord que l’absence de réunion des conditions de recours au contrat de partenariat peut être invoquée à l’encontre de la délibération autorisant à signer le contrat et contre l’acte par lequel le contrat est effectivement signé 6) CE 30 juillet 2014 commune de Biarritz, req. n° 363007, commenté sur ce blog : http://www.adden-leblog.com/?p=5996 .

En l’espèce, l’illégalité de la délibération du 19 juillet 2010 admettant le principe de recourir au contrat de partenariat peut être invoquée à l’appui de la demande d’annulation de la délibération autorisant à signer et de la décision de signer le contrat.

Ensuite, le tribunal rappelle que le contrat de partenariat est un contrat dérogatoire de la commande publique, c’est pourquoi le recours à tel contrat est réservé aux seules situations répondant à certains motifs d’intérêt général précédemment décrits et dont la démonstration revient à la personne publique.
En l’espèce, le tribunal administratif de Bordeaux conclut au défaut de complexité du projet, en raison de plusieurs éléments :

    ► D’une part, le projet ne revêtait pas de complexité urbanistique, les éléments invoqués par la commune de Bordeaux étant inhérents à tout projet de construction ;
    ► D’autre part, bien que la commune de Bordeaux ait eu des exigences particulières en termes de performances énergétiques, le tribunal administratif considère toutefois que ces exigences auraient pu être mises en œuvre en ayant recours à un autre type de contrat 7) Le tribunal prend pour exemple celui invoqué par la SNSO : la Région Aquitaine qui a réalisé un lycée polyvalent à énergie positive en maîtrise d’ouvrage publique et en allotissant ;
    ► Enfin, aucun élément, pouvant justifier la complexité juridique ou encore la complexité financière, n’a été retenu par le tribunal.

Aussi, au regard de ces éléments, le tribunal juge que « la commune de Bordeaux ne justifie pas qu’elle n’était pas en mesure, compte tenu de la complexité du projet de cité municipale qu’elle invoque, de définir seule et à l’avance les moyens techniques répondant à ses besoins ou établir le montage financier ou juridique du projet ».

3 – Puis, le tribunal administratif rappelle la démarche du juge de l’exécution en cas d’annulation d’un acte détachable :

    « Considérant que l’annulation d’un acte détachable d’un contrat n’implique pas nécessairement la nullité dudit contrat ; qu’il appartient au juge de l’exécution, après avoir pris en considération la nature de l’illégalité commise, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, d’enjoindre à la personne publique de résilier le contrat, le cas échéant avec un effet différé, soit, eu égard à une illégalité d’une particulière gravité, d’inviter les parties à résoudre leurs relations contractuelles ou, à défaut d’entente sur cette résolution, à saisir le juge du contrat afin qu’il en règle les modalités s’il estime que la résolution peut être une solution appropriée » 8) CE 21 février 2011 Société Ophrys, req. n° 337349 – CE 10 décembre 2012 Société Lyonnaise des Eaux France, req. n° 355127..

En l’espèce, parmi les choix offerts, le tribunal administratif enjoint la commune de Bordeaux de résilier le contrat de partenariat avec effet différé, soit à compter du 1er octobre 2015, permettant ainsi aux parties d’éviter les difficultés pratiques et juridiques liées à la remise en cause rétroactive de leurs rapports contractuels.

Il convient de noter à ce sujet que la décision « Tarn et Garonne » du Conseil d’Etat ouvre aux tiers justifiant d’un intérêt à agir la possibilité de contester directement la validité du contrat, et en ferme la voie du recours en excès de pouvoir contre les actes détachables 9) CE 4 avril 2014 Département de Tarn et Garonne, req. n° 358994 : Publié au Rec. CE, commenté sur ce blog : http://www.adden-leblog.com/?p=5515 . Par conséquent, la portée d’une telle injonction paraît limitée pour l’avenir.

La commune de Bordeaux ayant manifesté sa volonté de faire appel de ce jugement, il semble que le contentieux relatif à la cité municipale soit loin d’être fini. Affaire à suivre !

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References   [ + ]

1. Saisi d’un autre contentieux relatif à la cité municipale, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté le recours contre le permis de construire (TA Bordeaux 15 janvier 2015 association Sauvegarder Mériadeck, req. n° 1203161).
2. La jurisprudence Tarn et Garonne met un terme à cette configuration contentieuse (CE 4 avril 2014 Département de Tarn et Garonne, req. n° 358994).
3. Notamment, l’article 4 des statuts prévoit que le SNSO a pour objet « de défendre les intérêts généraux de l’ensemble des entreprises de second œuvre du bâtiment », « de promouvoir et de développer le progrès de l’ensemble des entreprises du second œuvre du bâtiment » et « de promouvoir la règlementation nécessaire à leur sauvegarde ».
4. En ce sens : CAA Bordeaux 1er octobre 2013 SNSO, req. n° 12BX00319, CAA Lyon 6 octobre 2011 SNSO, req. n° 10LY01121.
5. Article L. 1414-2 du CGCT : « II.-Les contrats de partenariat ne peuvent être conclus que si, au regard de l’évaluation, il s’avère :
1° Que, compte tenu de la complexité du projet, la personne publique n’est pas objectivement en mesure de définir seule et à l’avance les moyens techniques répondant à ses besoins ou d’établir le montage financier ou juridique du projet ;
2° Ou bien que le projet présente un caractère d’urgence, lorsqu’il s’agit de rattraper un retard préjudiciable à l’intérêt général affectant la réalisation d’équipements collectifs ou l’exercice d’une mission de service public, ou de faire face à une situation imprévisible ;
3° Ou bien encore que, compte tenu soit des caractéristiques du projet, soit des exigences du service public dont la personne publique est chargée, soit des insuffisances et difficultés observées dans la réalisation de projets comparables, le recours à un tel contrat présente un bilan entre les avantages et les inconvénients plus favorable que ceux d’autres contrats de la commande publique. Le critère du paiement différé ne saurait à lui seul constituer un avantage». Article L. 1414-5 du même code : « Si, compte tenu de la complexité du projet et quel que soit le critère d’éligibilité retenu en application de l’article L. 1414-2 pour fonder le recours au contrat de partenariat, la personne publique est objectivement dans l’impossibilité de définir seule et à l’avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins ou d’établir le montage financier ou juridique du projet, elle peut recourir au dialogue compétitif dans les conditions prévues à l’article L. 1414-7. Elle indique le choix de la procédure dans l’avis de publicité.».
6. CE 30 juillet 2014 commune de Biarritz, req. n° 363007, commenté sur ce blog : http://www.adden-leblog.com/?p=5996
7. Le tribunal prend pour exemple celui invoqué par la SNSO : la Région Aquitaine qui a réalisé un lycée polyvalent à énergie positive en maîtrise d’ouvrage publique et en allotissant
8. CE 21 février 2011 Société Ophrys, req. n° 337349 – CE 10 décembre 2012 Société Lyonnaise des Eaux France, req. n° 355127.
9. CE 4 avril 2014 Département de Tarn et Garonne, req. n° 358994 : Publié au Rec. CE, commenté sur ce blog : http://www.adden-leblog.com/?p=5515

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