Une clause exorbitante du droit commun ne suffit pas à qualifier un contrat d’administratif si celle-ci bénéficie à une personne privée

Catégorie

Contrats publics

Date

December 2020

Temps de lecture

4 minutes

TC 2 novembre 2020 Société Eveha, req. n° C4196 : Publié au Rec. CE

La communauté d’agglomération du Pays d’Aix a conclu le 21 octobre 2010 avec la société publique locale d’aménagement (SPLA) Pays d’Aix territoires, société anonyme en vertu de l’article L. 327-1 du code de l’urbanisme, un contrat de concession d’aménagement ayant pour objet la réalisation de la zone d’aménagement concerté de la Burlière, située sur le territoire de la commune de Trets dans le département des Bouches-du-Rhône.

Par un arrêté du 27 octobre 2015, le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur a prescrit la réalisation de fouilles d’archéologie préventive sur ce site. LA SPLA Pays d’Aix territoires a alors engagé une procédure d’attribution du contrat de réalisation de ces fouilles. Après qu’une première procédure a été déclarée sans suite en raison de l’avis négatif émis par la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) sur le projet scientifique du candidat retenu, une nouvelle procédure a été engagée en octobre 2016 pour la passation de ce contrat.

Au terme de la procédure de passation, la SPLA Pays d’Aix Territoires a retenu l’offre présentée par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), établissement public à caractère administratif, et a conclu un marché avec ce dernier le 10 mars 2017. La société Eveha, dont l’offre avait été rejetée, a alors saisi le tribunal administratif de Marseille d’une demande tendant à l’annulation de ce contrat. Le tribunal administratif a toutefois rejeté cette demande, par un jugement du 6 novembre 2018 1)TA Marseille 6 novembre 2018 Société Eveha, req. n° 1704880.

La société Eveha a relevé appel de ce jugement. Considérant que se posait une question de compétence, la cour administrative d’appel de Marseille a décidé, par un arrêt du 15 juin 2020 2)CAA Marseille 15 juin 2020 Société Eveha, req. n° 19MA00013, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal des conflits, par application de l’article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles.

La question qui se posait au Tribunal des conflits était celle de la nature juridique du contrat conclu entre la SPLA Pays d’Aix Territoires et l’INRAP. Après avoir écarté la qualification de contrat administratif au seul motif que le contrat conclu comportait des clauses exorbitantes du droit commun (1), le Tribunal des conflits retient tout de même cette qualification et conclut à la compétence du juge administratif, les opérations de fouilles ayant pour objet l’exécution même de la mission de service public de l’archéologue préventive (2).

1           Un critère insuffisant à la qualification de contrat administratif : la présence d’une clause exorbitante du droit commun reconnue à la personne privée contractante

L’INRAP soutenait devant le Tribunal des conflits que la juridiction administrative devait être déclarée compétente, au motif que le contrat avait été conclu entre une personne morale de droit privé (la SPLA Pays d’Aix Territoires) et une personne morale de droit public (l’INRAP) et qu’il comportait des clauses exorbitantes du droit commun. L’INRAP soutenait également que le régime applicable à l’exécution des contrats de fouilles archéologiques était exorbitant du droit commun.

Parmi les différents critères du contrat administratif, celui de la clause exorbitante du droit commun est l’un des plus anciens, puisque l’on en fait traditionnellement remonter l’acte de naissance à 1912 avec le célèbre arrêt Société des granits porphyroïdes des Vosges 3)

CE 31 juillet 1912 Société des granits porphyroïdes des Vosges c/ Ville de Lille, req. n° 30701 : Publié au Rec. CE.

Dans un arrêt Société Axa France Iard de 2014 4)TC 13 octobre 2014 SA Axa France Iard, req. n° C3963 : Publié au Rec. CE, le Tribunal des conflits a renouvelé la définition de la notion de clause exorbitante du droit commun 5)Voir notre article publié sur le blog Adden. Pour être qualifiée d’exorbitante du droit commun, une clause doit satisfaire deux conditions :

  • un rapport fortement inégalitaire au profit de la personne publique, conférant à celle-ci un pouvoir de direction, de contrôle, de sanction ou lui permettant de modifier ou de mettre un terme au contrat de manière quasi discrétionnaire ;
  • un but d’intérêt général conduisant à ne tenir compte, parmi les clauses inégalitaires, que de celles insérées dans un but d’intérêt général.

Reprenant cette dernière définition dans son arrêt Société Eveha, le Tribunal des conflits a toutefois considéré que ces deux conditions n’étaient pas satisfaites :

« la circonstance que le contrat litigieux, passé entre la SPLA Pays d’Aix Territoires et l’INRAP, compte des clauses conférant à la SPLA des prérogatives particulières, notamment le pouvoir de résilier unilatéralement le contrat pour motif d’intérêt général, n’est pas de nature à faire regarder ce contrat comme administratif, dès lors que les prérogatives en cause sont reconnues à la personne privée contractante et non à la personne publique »

En effet, dans le cas d’espèce, les clauses exorbitantes du droit commun avaient été insérées au bénéfice de la SPLA Pays d’Aix territoires, personne privée, et non de l’INRAP, personne publique.

Le Tribunal des conflits précise donc, par son arrêt Société Eveha, qu’un contrat conclu par une personne publique qui comprend des clauses exorbitantes du droit commun ne peut être qualifié de contrat administratif que dans le cas où ces clauses ont bien été conclues au bénéfice de la personne publique, dans un but d’intérêt général.

2          Le critère retenu : celui de l’exécution d’un service public

Le Tribunal des conflits relève toutefois, en se fondant sur les dispositions de l’article L. 521-1 du code du patrimoine, que le législateur a investi l’INRAP d’une mission de service public. Il a donc estimé que le contrat conclu entre la SPLA Pays d’Aix territoires et l’INRAP avait pour objet l’exécution même de la mission de service public conférée à l’INRAP.

En outre, le Tribunal des conflits relève que les opérations de fouille, dès lors qu’elles sont effectuées par l’INRAP dans le cadre d’une mission de service public dont elle a été investie, présentent le caractère de travaux publics. Le Tribunal des conflits a donc fait une exacte application des principes dégagés par les célèbres jurisprudences Effimief 6)TC 28 mars 1955 Effimief, req. n° 01525 : Publié au Rec. CE et Epoux Bertin 7)CE 20 avril 1956 Epoux Bertin et Ministre de l’agriculture c/ consorts Grimouard et autres, req. n° 98637 : Publié au Rec. CE des années 1950.

Le Tribunal des conflits en a donc conclu que le litige relevait bien de la compétence de la juridiction administrative. L’affaire est donc renvoyée devant la cour administrative d’appel de Marseille.

 

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