Une nouvelle censure des conditions d’utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation

Catégorie

Environnement

Date

September 2021

Temps de lecture

8 minutes

CE 26 juillet 2021, req. n° 437815 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Par une décision du 26 juillet 2021, le Conseil d’Etat a prononcé l’annulation de l’article 1er du décret n°2019-1500 du 27 décembre 2019, relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation et l’article 8 de l’arrêté du 27 décembre 2019, relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques et modifiant l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime.

Le décret du 27 décembre 2019, entré en vigueur le 1er janvier 2020, a été pris en application du paragraphe III de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, relatif aux mesures de protection des personnes habitants à proximité des lieux où sont utilisés des produits phytopharmaceutiques. En application de cette disposition, les mesures de protection sont formalisées par les utilisateurs dans une charte d’engagement prise à l’échelle départementale, « après concertation avec les personnes, ou leurs représentants, habitant à proximité des zones susceptibles d’être traitées avec un produit phytopharmaceutique ». Il est précisé que ces mesures doivent prendre en compte les « techniques et matériels d’application employés » et elles doivent être « adaptées au contexte topographique, pédoclimatique, environnemental et sanitaire ».

Ainsi, le décret du 27 décembre 2019 a inséré plusieurs dispositions dans le code rural et de la pêche maritime, dont notamment, en vertu de l’article 1er du décret, l’article D. 253-46-1-2, qui précise le contenu des chartes d’engagements pour l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, ainsi que les articles D. 253-46-1-3, D. 253-46-1-4 et D. 243-46-1-5 qui définissent les modalités d’approbation des chartes.

L’article 2 de ce décret a complété le second alinéa de l’article D. 253-45-1 relatif aux distances minimales de sécurité à respecter.

L’arrêté du 27 décembre 2019 définit les conditions d’utilisation des produits phytopharmaceutiques au voisinage des zones d’habitation et des zones accueillant des groupes vulnérables ainsi que leur utilisation en fonction des conditions météorologiques.

Au terme de sa décision, le Conseil d’Etat annule, d’une part, l’article 1er du décret dans la mesure où il n’impose pas que les chartes d’engagements des utilisateurs prévoient les modalités d’information des résidents et des personnes présentes préalablement à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques et où il insère les articles D. 253-46-1-3 à D. 253-46-1-3 dans le code rural et de la pêche maritime. D’autre part, il a prononcé l’annulation l’article 8 de l’arrêté du 27 décembre 2019, dont notamment les mots « approuvés par le préfet » qui ont été insérés par cet arrêté au premier alinéa du paragraphe II de l’article 14-2 de l’arrêté du 4 mai 2017 et les dispositions relatives aux distances de sécurités, dès lors que ces dernières sont insuffisantes pour les produits classés comme suspectés d’être cancérogène mutagène ou toxique pour la reproduction. Il annule également l’arrêté du 27 décembre 2019 dans la mesure où il ne prévoit pas de dispositions destinées à protéger les personnes travaillant à proximité des zones d’utilisation des produits pharmaceutiques.

Par la présente décision, le Conseil d’Etat a enjoint au Gouvernement, sauf pour ce qui concerne les dispositions portant sur les modalités d’élaboration et d’approbation des chartes d’engagement des utilisateurs, d’édicter les mesures réglementaires dans un délai de 6 mois à compter de la notification de la décision, éventuellement sous peine d’astreinte.

1             L’historique contentieux de la décision

La présente décision s’inscrit dans un cadre contentieux déjà fourni quant aux conditions d’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

Toute d’abord, il apparaît que l’arrêté du 27 décembre 2017 a été adopté à la suite de l’annulation partielle, par le Conseil d’Etat 1)CE, 26 juin 2019, n°s 415426, 415431, de l’arrêté du 4 mai 2017, au motif qu’il ne prévoyait ni de restriction à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques en cas de forte pluie ni dispositions assurant la protection des riverains des zones traitées par des produits phytopharmaceutiques.

Par ailleurs, le juge des référés 2)CE, 14 février 2020, n° 437814 avait rejeté le recours en suspension formé contre le décret du 27 décembre 2019 et l’arrêté du 27 décembre 2019, en raison du défaut d’urgence.

Enfin, la décision commentée a été rendue à la suite du renvoi, par le Conseil d’Etat, d’une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, portant sur la constitutionnalité du paragraphe III de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime au regard de l’article 7 de la Charte de l’environnement 3)CE, 31 décembre 2020, n° 439127. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 19 mars 2021 4)Conseil constitutionnel, n° 2021-891 QPC, du 19 mars 2021, a finalement déclaré contraire à l’article 7 de la Charte de l’environnement cette disposition, au motif, d’une part, qu’elle ne définit par les conditions et les limites d’exercice du droit de participation du public pour l’élaboration des chartes d’engagements et, d’autre part, que ce droit peut être exercé par les seuls représentants des habitants. Le commentaire aux cahiers du Conseil constitutionnel met en évidence que l’article 7 de la Charte exige que la loi détermine le dispositif de participation du public, et ce d’autant que la procédure mise en œuvre en l’espèce constitue « une procédure particulière de participation du publique faisant obstacle à l’application de la procédure subsidiaire de participation du public prévue à l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement » et, ce faisant, assure à toute personne la faculté d’exercer son droit de participation 5)Commentaire de la décision du Conseil constitutionnel, n° 2021-891 QPC du 19 mars 2021.

Il a donc prononcé l’annulation des termes « après concertation avec les personnes, ou leurs représentants, habitant à proximité des zones susceptibles d’être traitées avec un produit phytopharmaceutique », de cette disposition avec un effet immédiat.

Dès lors, pour statuer sur le recours exercé contre le décret du 27 décembre 2019 et l’arrêté de la même date, le Conseil d’Etat était tenu de tirer les conséquences de cette annulation.

2             La compétence pour définir les modalités d’élaboration des chartes d’engagement

Les requérants invoquaient ainsi l’incompétence du pouvoir règlementaire d’une part, au regard du partage de compétence pour définir les modalités d’élaboration (articles D. 253-46-1-3 et D. 253-46-1-4 du code rural et de la pêche maritime) et d’approbation (article D. 253-46-1-5 du même code) des chartes d’engagement, ainsi que leur contenu (article D. 253-46-1-2 du code précité), et d’autre part, pour contraindre à faire respecter des distances minimales d’épandage lorsque la diffusion des produits phytopharmaceutiques est réalisée à proximité des lieux d’accueil d’enfants, de personnes âgées ou de personnes handicapées.

Le Conseil d’Etat juge, dans un premier temps, que les dispositions issues de l’article 1er du décret, relatives aux conditions d’élaboration et d’approbation des chartes d’engagement, participent de manière « indivisible à la définition des conditions et limites dans lesquelles s’exerce le droit de participation du public ». Par conséquent, le pouvoir règlementaire était incompétent. Le Conseil d’Etat tire ici les conséquences nécessaires de la décision précitée du Conseil constitutionnel du 19 mars 2021, en vertu de laquelle la loi doit encadrer les conditions dans lesquelles les procédures de consultation du public ont lieu.

Dans un second temps, il considère, qu’en précisant le contenu des chartes d’engagement et en prévoyant que des restrictions complémentaires à la détermination des distances de sécurité, le pouvoir règlementaire n’a pas méconnu sa compétence.

L’annulation n’est donc prononcée que pour ce qui concerne les articles D. 253-46-1-3 à D. 253-46-1-5 du code rural et de la pêche maritime.

3             Le caractère insuffisant des mesures de protection des riverains et des travailleurs

En premier lieu, les requérants estimaient que les mesures prévues assuraient une protection insuffisante des riverains et des personnes présentes, au sens du règlement (UE) n° 284/2013 de la Commission du 1er mars 2013 établissant les exigences en matière de données applicables aux produits phytopharmaceutiques, dans la mesure où les chartes n’avaient pas pour obligation de définir les modalités d’information préalable à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

Fiché sur ce point, la décision met en évidence que le simple fait de prévoir que les chartes d’engagement doivent obligatoirement définir modalités d’information des résidents est insuffisant pour assurer la protection adéquate des riverains et des personnes présentes lors de l’épandage. En effet, le Conseil d’Etat considère que les chartes doivent nécessairement prévoir, afin de limiter les risques liés à l’exposition des riverains aux produits phytopharmaceutiques, que l’information doit être délivrée préalablement à l’épandage ainsi que les modalités dans lesquelles cette obligation d’information préalable est mise en œuvre.

Le Conseil d’Etat considère qu’une telle obligation d’information participe pleinement à la gestion des risques liés à l’exposition aux produits phytopharmaceutiques et que son impact sur la compétitivité sur le secteur agricole ne porte pas atteinte à la proportionnalité de la mesure

Partant, il juge que l’article 1er du décret du 27 décembre 2017 est illégal.

En second lieu, les requérants soulevaient une atteinte au principe d’égalité en ce que l’arrêté ne prévoyait pas de mesure de protection des personnes travaillant à proximité des zones d’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

A ce titre, la décision met en évidence que les parties ont invité le Conseil d’Etat a posé une question préjudicielle sur ce point, aux fins notamment d’apporter un éclairage sur la notion de personne résidente visée par le point 7.2 de l’annexe au règlement n° 284/2013 de la Commission du 1er mars 2013, précité.

Le Conseil d’Etat a jugé qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer la question préjudicielle et a considéré que les personnes travaillant à proximité des zones d’épandage doivent être considérées comme des personnes résidentes au sens de ce règlement.

Dès lors, il fait droit à l’argumentation des requérants et déclare illégal l’arrêté du 27 décembre 2019 en tant qu’il ne prévoit pas de mesure de protection des personnes travaillant à proximité des zones d’utilisation des produits phytopharmaceutiques, au même titre que les riverains.

4             Les distances minimales d’épandage

Enfin, étaient contestées les distances de sécurité, fixées par l’arrêté du 27 décembre 2019, en ce qu’elles étaient insuffisantes pour assurer la protection des riverains et violaient ainsi le principe de précaution, protégé par l’article 5 de la Charte de l’environnement.

Dans un premier temps, pour déterminer si le principe de précaution trouvait effectivement à s’appliquer, le Conseil d’Etat a souligné qu’il n’existait pas de risque avéré quant aux conséquences de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. Pour ce faire, il a rappelé qu’aucun lien de causalité entre l’exposition à des produits phytopharmaceutiques et l’état de santé des personnes habitant à proximité des zones traitées avec de tels produits n’était établi.

Partant, le principe de précaution pouvait trouver à s’appliquer, sous réserve qu’est établi un risque de dommages graves ou irréversibles.

Le Conseil d’Etat s’intéresse, dans un deuxième temps, à l’existence d’un tel risque aux regards des données scientifiques qu’il a à sa disposition. Il relève ainsi que la méthodologie actuelle d’évaluation des risques développée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments et harmonisée à l’échelle de l’Union européenne est fondée sur des données des années 1980 et fait l’objet d’une actualisation, de sorte que les estimations qui en découlent ne sont plus nécessairement d’actualité.

Il reconnaît également l’existence de plusieurs études, dont certaines sont en cours, mettant en évidence des incertitudes quant aux effets de ces produits sur le développement des maladies, notamment chez les femmes enceintes et les nourrissons.

Enfin, il retient que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail a édicté, le 14 juin 2019, des recommandations quant aux distances de sécurité à respecter et qu’elle en fait référence dans un avis du 17 décembre 2019, relatif à l’efficacité des combinaisons des moyens de réduction de la dérive pour la protection des riverains lors de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

Eu égard à l’ensemble de ces éléments, le Conseil d’Etat admet l’application du principe de précaution.

Dans un troisième temps, le Conseil d’Etat procède à l’analyse des distances prévues par l’arrêté litigieux, au regard notamment des recommandations établies par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.

L’arrêté prévoyait qu’une distance minimale de 20 mètres par rapport aux zones d’habitation devait être respectée pour les seuls produits, visés par l’article 14-1 de l’arrêté du 4 mai 2017, contenant une substance considérée comme ayant des effets perturbateurs endocriniens néfastes pour l’homme et ceux dont la cancérogénicité, la mutagénicité ou la toxicité pour la reproduction est avérée ou présumée.

En revanche, pour les autres produits visés à l’article 14-2 de l’arrêté du 4 mai 2017, seule une distance minimale de 10 mètres était prévue pour les cultures hautes et de 5 mètres pour les cultures basses. Or, de telles distances sont contraires aux recommandations auxquelles l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail fait référence dans son avis du 14 juin 2019 et qui, selon le Conseil d’Etat, constituent le socle des données scientifiques actuellement disponibles. En application de ces recommandations, une distance de sécurité d’au moins 10 mètres était nécessaire dès lors qu’il s’agit d’un produit classé cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction, indépendamment du classement du produit par le règlement (CE) n° 1107/2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil.

Le Conseil d’Etat censure donc l’arrêté en ce qu’il modifie les distances de sécurité prévues aux articles 14-1 et 14-2 de l’arrêté du 4 mai 2017.

En revanche, il confirme, eu égard au respect des recommandations de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, les dispositions de l’arrêté déterminant les modalités d’utilisation des produits phytopharmaceutiques en fonction des conditions météorologiques.

 

Partager cet article

References   [ + ]

1. CE, 26 juin 2019, n°s 415426, 415431
2. CE, 14 février 2020, n° 437814
3. CE, 31 décembre 2020, n° 439127
4. Conseil constitutionnel, n° 2021-891 QPC, du 19 mars 2021
5. Commentaire de la décision du Conseil constitutionnel, n° 2021-891 QPC du 19 mars 2021

3 articles susceptibles de vous intéresser