Validation par le Conseil d’Etat de la double casquette du préfet pour examiner au cas par cas et autoriser un projet

Catégorie

Environnement

Date

March 2022

Temps de lecture

5 minutes

CE 16 février 2022 association France Nature Environnement, req. n° 442607 : mentionné dans les tables du recueil Lebon

Par cette décision, le Conseil d’Etat juge le décret n° 2020-844 du 3 juillet 2020 relatif à l’autorité environnementale et à l’autorité chargée de l’examen au cas par cas  conforme au droit de l’Union Européenne.

L’association requérante attaquait l’article 2 du décret créant un nouvel article R. 122-3 dans le code de l’environnement qui désigne l’autorité chargée de l’examen au cas par cas.

Depuis son entrée en vigueur, cette disposition a été modifiée par le décret n° 2021-837 du 29 juin 2021 portant diverses réformes en matière d’évaluation environnementale et de participation du public dans le domaine de l’environnement, dont l’article 8 a supprimé la référence aux projets élaborés par les services interministériels.

La transposition de la directive 2011/92/CE du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement ne s’est pas faite sans difficulté. En effet, le Conseil d’Etat s’est déjà prononcé sur l’autonomie de l’autorité environnementale dans le cadre de l’examen d’un projet 1)CE 25 septembre 2019 association France nature environnement, req. n° 427145 : aux T.

Cette transposition a en outre été critiquée par la Commission européenne, qui a rappelé l’obligation « de veiller à ce que les autorités compétentes accomplissent leurs missions de manière objective et ne se trouvent pas en situation de conflit d’intérêts » 2)Lettre de mise en demeure complémentaire de la Commission européenne du 18 février 2021. En l’espèce le Conseil d’Etat considère toutefois que le décret respecte ces principes.

1.      C’est d’abord les conditions dans lesquelles le décret a été édicté que le Conseil d’Etat se penche. La requérante soutenait que la consultation du public avait été insuffisante, le public n’ayant pas pu, selon elle, disposer d’une information sincère et pertinente, en violation des dispositions de l’article L. 120-1 et L. 123-19-1 du code de l’environnement.

Tel n’est pas l’avis du Conseil d’Etat qui rappelle que la consultation s’est déroulée par voie électronique et qu’elle s’est accompagnée d’une mise à disposition d’une note de présentation, qui :

décrivait le contexte et les objectifs du projet,

mentionnait que l’un des objets du décret était de remédier à l’annulation par la décision du Conseil d’Etat du 6 décembre 2017 3)CE 6 décembre 2017 association France nature environnement, req n° 400559 : aux T. des dispositions du IV de l’article R. 122-6 du code de l’environnement en tant qu’il prévoyait la désignation du préfet de région comme autorité environnementale,

mettait à disposition un tableau synthétisant les autorités désignées selon les cas comme autorités environnementales ou comme autorités chargées de l’examen au cas par cas,

faisait apparaître, dans un tableau, l’évolution des dispositions réglementaires du code de l’environnement,

était accompagnée d’un commentaire explicatif.

Ce contenu a été considéré aux yeux du Conseil d’Etat comme suffisant pour permettre la participation du public. Le Conseil d’Etat a sur ce point rappelé, conformément à l’analyse du rapporteur public, M. Stéphane Hoynck, dans ses conclusions sur cette décision, d’une part, que l’avis de l’autorité environnementale n’a pas à figurer dans la synthèse des observations du public, et d’autre part, que les recommandations de l’autorité environnementale n’ont pas à être retenues par l’auteur du projet.

2.     La requérante soutenait ensuite que les dispositions désignant l’autorité en charge de l’examen au cas par cas et l’autorité environnementale chargée de rendre un avis, telles que modifiées par le décret attaqué, méconnaissaient le principe de clarté et d’intelligibilité de la norme.

Rappelant les dispositions de l’article L. 122-1 du code de l’environnement et des articles R. 122-3 et R. 122-24-2 dont la rédaction est issue du décret attaqué, le Conseil d’Etat relève que ces dispositions permettent d’identifier de manière suffisamment précise l’autorité chargée de l’examen au cas par cas en fonction du projet, et ce même en cas de conflit d’intérêts. Il rappelle aussi que le texte prévoit un dispositif de notification à la personne ayant présenté la demande d’autorisation en cas de conflit d’intérêt du transfert qu’il implique. Cette notification précise ainsi l’autorité chargée de la demande et la date à laquelle sera rendue la décision.

Si la complexité du dispositif est évidente, elle est aussi nécessaire selon la Haute juridiction. Le rapporteur public, M. Stéphane Hoynck, a d’ailleurs souligné que « la sophistication à laquelle on arrive en confiant à des autorités différentes les deux missions d’examiner si une évaluation environnementale est nécessaire et de donner un avis sur sa qualité, ne va pas jusqu’à une atteinte par le pouvoir règlementaire de l’objectif d’intelligibilité de la norme ».

3.     La décision traite ensuite de la conventionalité de la compétence du préfet de région, qui en application de ce texte est à la fois l’autorité compétente pour décider, après examen au cas par cas, si le projet nécessite une évaluation environnementale et pour l’autoriser.

Le Conseil d’Etat a déjà admis, sur le fondement de l’article 9bis de la directive 2011/92/CE du 13 décembre 2011, concernant les demandes d’enregistrement pour une ou plusieurs installations classées pour la protection de l’environnement, qu’une autorité chargée de procéder à l’examen au cas par cas puisse également statuer sur l’autorisation administrative 4)CE 25 septembre 2019 association France nature environnement, req. n° 427145 : aux T. Cette double casquette n’est toutefois possible que, ainsi que le relève le rapporteur public, M. Stéphane Hoynck, « sous réserve qu’elle ne soit pas chargée de l’élaboration du projet ou en assure la maitrise d’ouvrage ».

Les conditions dans lesquelles l’autorité compétente peut autoriser son projet et dans le même temps rendre un avis sur celui-ci sont fixées par la directive 2011/92/CE du 13 décembre 2011. Pour juger qu’il n’y a pas lieu de renvoyer une question préjudicielle sur ce point, le Conseil d’Etat se fonde sur l’interprétation de la Cour de justice des dispositions de l’article 6 de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement 5)CJUE 20 octobre 2011 Department of the Environment for Northern Ireland, req. n° C-474/10 et la circonstance que ces deux dispositions issues de ces deux directives ont une « finalité identique ». Il en conclut ainsi que l’article 6 de la directive 2011/92/CE du 13 décembre 2011 ne fait pas obstacle à ce qu’une même autorité se prononce sur l’autorisation du projet et rende un avis requis de l’autorité environnementale, dès lors qu’une « séparation fonctionnelle est organisée au sein de cette autorité ». La séparation fonctionnelle suppose alors une autonomie réelle de l’entité administrative, c’est-à-dire qu’elle doit être pourvue de moyens administratifs et humains propres.

Cette solution s’applique également lorsque l’évaluation environnementale est requise à la suite d’un examen au cas par cas. Pour le Conseil d’Etat, les obligations ci-dessus rappelées sont respectées dès lors que, comme l’impose l’article 9 bis de la directive 2011/92/CE du 13 décembre 2011, les missions accomplies par les autorités sont réalisées de manière objective et ne donnent pas lieu à un possible conflit d’intérêt. Dès lors, la validité du mécanisme dépend de la faculté d’exercer un contrôle sur la décision de soumettre ou non le projet à une évaluation environnementale ainsi que du pouvoir des tiers d’exercer un tel contrôle et, en cas de manquement, de contraindre l’autorité décisionnaire à respecter cette obligation, éventuellement par voie juridictionnelle 6)CJUE 30 avril 2009 Christopher Mellor, req. n° C-75/08.

Transposant ce raisonnement, le Conseil d’Etat juge que décret n’est pas contraire à la directive 2011/92/CE du 13 décembre 2011 même en l’absence de disposition excluant la compétence du préfet pour autoriser le projet lorsqu’il est également chargé de l’examen au cas par cas, sauf en cas de situation de conflit d’intérêt. Cette conclusion vaut même si, ainsi que cela a été invoqué par l’association, le préfet représente dans la grande majorité des décisions le maître d’ouvrage ou assiste ce dernier dans le développement du projet.

4.     Enfin, était critiqué la faculté de procéder à une régularisation des études d’impacts, le Conseil d’Etat a écarté ce moyen puisqu’elle ne découlait pas du décret litigieux.

 

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References   [ + ]

1. CE 25 septembre 2019 association France nature environnement, req. n° 427145 : aux T
2. Lettre de mise en demeure complémentaire de la Commission européenne du 18 février 2021
3. CE 6 décembre 2017 association France nature environnement, req n° 400559 : aux T.
4. CE 25 septembre 2019 association France nature environnement, req. n° 427145 : aux T
5. CJUE 20 octobre 2011 Department of the Environment for Northern Ireland, req. n° C-474/10
6. CJUE 30 avril 2009 Christopher Mellor, req. n° C-75/08

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